Eyeliner

Elle est arrivée un matin, sans prévenir.
La veille, je suis certaine qu'elle n'y était pas.
Éclosion spontanée dont je me serais volontiers passée.

C'était l'année de mes trente ans. Je me sentais belle et puissante. Une guerrière capable d'avaler le monde au petit déjeuner, d'embrasser mon mari pour lui souhaiter une bonne journée, et d'être à l'heure pour déposer les enfants à l'école avant d'aller travailler.  Le tout en étant toujours ravissante et apprêtée. WonderWoman du quotidien.

Seulement voilà, un matin, elle apparut.
Ma première ride.

A priori, pas de quoi fouetter mon chat.
Le temps passe inéluctablement, et depuis quelques années, le senior est d'or. Mais enfin, à trente ans, je n'étais pas préparée !
Fine et discrète, on la devinait à peine. Là, juste au coin externe de mon œil gauche.
Moindre mal, pour commencer, elle était seule. Pourquoi d'ailleurs ? Mystère du relâchement cellulaire.
Mon homme la qualifiait de « délicieuse petite ride d'expression »…
Pas encore une patte d'oie. Certes. A peine un sillon. Mais un creux dans lequel l'encre de mon eyeliner se glissait immanquablement.
Ainsi, je ne m'en suis pas rendue compte tout de suite. Me demandant, avec autant de rage que de perplexité, pourquoi, ce matin-là, je n'arrivais pas à réaliser le rituel trait noir qui transformait mon regard endormi en œillade de chatte.

Le glamour patinait sur la fin du tracé. Immonde bavure dans l'infime fissure.

Le jour même, j'offrais à mon visage sa première crème antirides.
Bien entendu, sans effet révolutionnaire.

Il m'a fallu apprendre à ruser. A finir le dessin de mon maquillage juste au-dessus de cette ridule traîtresse.