Facebook story
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J
FACEBOOK STORY
Je ne fais plus rien de ma vie.
J’étais un homme bien élevé et inquiet, j’avais femme et enfants, une grande maison avec des camélias et une piscine au milieu, des pots après le bureau avec les copains, des dîners aux chandelles, des plans baise en voyage, ski l’hiver, club med l’été, ça aurait pu durer des siècles, j’ai tout cassé.
Depuis que ma femme est partie, la maison est vide sauf mon « Mont-Blanc Meisterstuck», ton symbole phallique, elle disait, et mon ordi que j’avais planqué .
Ce matin était calme, l’air sentait le citron confit et le tabac froid,
le café était noir, le pain moisi .
L’ordi éclairait le vide, je le laisse toujours branché ,quand je ne dors pas, je navigue sur facebook ou tente d’appeler un pote sur Skype, mais je raccroche aussitôt.
À six heures, j’avais l’humeur érotique et poussiéreuse.
Première clope, premier message, demande d’ami.
J’en ai déjà trois mille trois cent trente trois, j’aime les nombres pairs, je clique oui : sur son mur, la photo la rend désirable, excitante, elle se dit septuagénaire en pleine activité littéraire, sorbonnarde après un lycée catho, est connectée en discussion instantanée.
Moi - Bonjour
Elle - Bonjour
Moi – Vous vous levez tôt.
Elle – Vous aussi.
Moi - Vous êtes souvent sur facebook ?
Elle - Pas mal et vous
Moi - Moi aussi, sauf quand je lis.
Elle - Quel est votre auteur préféré ?
Moi – Pierre Guyotat, vous connaissez ?
Elle - Oui, mais j’aime pas.
Moi – C’est pourtant un des grands auteurs contemporains.
Elle – Possible mais j’ai jamais accroché, j’avais acheté « Eden, Eden, Eden, je l’ai refilé à mon fils.
Moi - Bizarre !
Elle - On est pas obligé de tout adorer en littérature
Moi - Vous avez raison
Elle - Vous lisez quoi en ce moment ?
Moi - Nicholson BaKer, vous connaissez ?
Elle - J’ai lu un truc, ça s’appelait comment ? ah oui, « Mezzanine »
Moi – C’est excellent, vous connaissez « Vox » ?
Je regarde le jeu du soleil sur les rayons vides de la bibliothèque.
Elle - Non
Moi - C’est très différent de « Mezzanine » c’est un dialogue érotique, superbe, mais le livre est épuisé, vous aimez la littérature érotique ?
Elle – J’ai pas trop l’habitude , et puis vous savez j’ai soixante dix ans
Moi- Il n’y a pas d’âge pour cela j’espère
Elle- Vous comprendrez ça plus tard, jeune homme.
La garce, elle avait bien repéré mon âge, quarante cinq sans poussières.
Moi – Mais vous aimez la littérature érotique?
Elle - Je vous laisse, on m’appelle sur Skype
Je sens que je suis tombé sur la bécassine du coin, elle oublie de se déconnecter. Je la rappelle.
Moi - Vous êtes revenue ?
Elle - Vous voyez !
Moi – ça vous gêne ce genre de conversation ?
Elle - Vous êtes un drôle de zèbre.
Moi – Vous croyez ?
Elle- Ben oui, je ne vous connais pas et vous chattez avec une dame de soixante et onze ans et des poussières
Moi – C’est chouette !
Je la sens rougir, j’examine le trou dans ma chaussette, me gratte l’oreille, hausse les épaules, mal barré ce matin.
Elle – j’ai envie de faire un tour sur le périphérique, de tourner dans la ville, de prendre l’air du matin.
Moi- On pourrait se rencontrer ?
Elle – C’est mieux sur facebook
Moi – Sur la photo, vous êtes en pantalon, j’aimerais vous voir en jupe courte et escarpins à hauts talons
Elle - Pourquoi ?
Moi – C’est plus érotique.
Elle – Bon je vous laisse, j’ai du boulot
Moi- À une autre fois ?
Elle- On verra, jeune homme, on verra.
Quelle pétasse !
Il est sept heures, j’ai froid, je vide les cendriers dans la gamelle du chien, il aboie, je pleure.