Plaisirs solitaires

valjean

Plaisirs solitaires

Un sourire sort de la porte du café, rehaussant deux yeux clairs sur une jupe beige, il fait beau.

Au dessus de l’église, là près du clocher alors que la demi heure sonne, déclenchant des volées de cartables angoissés, volent quelques mouettes surprises par le frimas hivernal. Le ciel est bleu froid.

Mon cœur est chaud, léger.

Et si le printemps n’était pas aussi loin, si ces boutons de vert perçant les branches affaiblies allaient chasser cet hiver bougon cracheur de neige ?

Je me sens aérien, doté de semelles de vent… tiens j’ai encore attrapé un sourire, je ne suis pourtant pas frais, la barbe anti brume ne chasse pas que le crachin froid, et il me semblait que seuls les enfants pouvaient être indulgents.

C’est drôle la vie, plus je suis bouffi plus j’attire ; les gros seraient ils devenus tendance, réconfortants.

Je marche, libre… que les façades sont belles ! Là, une maison qui semble lutter pour sa survie entre deux immeubles. La pierre contre le béton, la petite cheminée cabossée contre le système de climatisation, qui va l’emporter ?

Au rez de chaussée, sur la fenêtre de droite protégée par de solides barreaux, des boules de graisse que picorent avidement nonnettes, mésanges charbonnières ou à tête bleue, parfois chassées par des moineaux, farouches et effrontés.

Plus en retrait, voletant sur la haie dénudée, le prince des buissons, monsieur rouge gorge en personne.

Il paraît qu’il n’y en a qu’un par maison. C’est fou ce qu’il y a comme oiseaux à Paris ; en ont ils pris l’accent quand ils piaillent ?

J’avance sur le pavé disjoint de la ville, c’est de plus en plus rare un pavé disjoint.. ils sont maintenant tous retaillés, « calibrés » pour employer leurs propres termes, polis et policés. Les pavés qui dormaient sous le bitume en sont impitoyablement chassés à chaque campagne de travaux ; avec un peu de chance ils sont rapetissés, pour être alignés, anonymes et silencieux sur les nouvelles chaussées des quartiers dits tranquilles.

Je traverse le boulevard Soult, un nom à ne plus prononcer en cette période de non commémoration d’Austerlitz.

Aux armées de grognards victorieux ont succédé les légions de grognons matinaux, cuirassés dans leur véhicule de fer, de plus en plus plastifiés.

Mon cheminement me fait border la défunte ceinture verte et ses immeubles de brique rouge, bons soldats des années 30 bâtis sur les « fortifs », puis me voilà enjambant le ruban bruyant et asphyxiant du « périph. ».

Mais où diable se cache la nationale 7 ?

Au dessus de moi, le bleu froid à pâli mais reste toujours intense.

C’est curieux Paris nous tourne à peine le dos que l’urbanisation semble desserrer ses mâchoires avides, soudain, les immeubles sont plus bas, les maisons plus présentes, les bruits moins uniformes et plus variés, et les trottoirs plus larges.

Impression de rue avec ces froissi froissa de lycéennes enjouées ; c’est vendredi, devant moi, une robe de chambre couleur rouge couverture promène son chien, mignon le chien.

L’air est plus froid et vert sec, parfum de nature ; devant le bois s’entrouvre aux passants. Sourit il aux promeneurs audacieux du matin, dont le pas alerte dérange les canards tentant de trouver une partie du lac non gelée ?

Dérangera t’il le renard, là haut sur la butte de terre, dont le museau roux dépasse du terrier ?

Sur l’ancienne route, au delà de l’étendue d’eau, quelques belles de nuit se sont transformées en fanées de jour, leurs camionnettes de couleur claire abritent leur désespoir muet.

Leurs ébats font ils débat ? Elles ne brûleront pas de cierge à Saint Nicolas.

Tiens, cela fleure bon le cheval, cela tombe bien en voici des chevaux brillants, même leurs sabots sont brillants, et les drôles d’humains qui les chevauchent aussi.

A qui vont ils dresser contravention ? A la barquette de frites qui a manqué son panier de basket lors de son dernier essai ou au tronc d’arbre, chu tristement une journée de décembre 1999, et que l’on n’a pas garé réglementairement ?

Les chevaux s’éloignent déjà, suivis tels des fantômes de brume par leur fumée, halos majestueux habitant leur sillage.

Qui s’agite là haut sur le donjon, l’ombre de Sade tentant une nouvelle évasion libertine ou le spectre du dernier des Condé tachant d’échapper au peloton d’exécution impérial ? Peut être tout simplement un ouvrier occupé au lent démontage de l’armature métallique asphyxiant le donjon.

Et là qu’est ce qui semble surgir de l’herbe jaunie par les ravages de l’hiver ? Une fleur, un petit bout de fleur tout croquignolet dans ses dessous violets, tout neuf et apeuré, pas encore dévisagé.

C’est donc vrai, je serai le premier à contempler ce signe avant coureur du Printemps.

Il fait bon flâner quand l’hiver desserre son carcan.

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