Faisons une pose et tapons-nous la tête contre les murs

Thierry Kagan

 

- Puisque je vous dis que je peux pas faire un truc pareil ! C'est contre ma nature. Je peux pas la contrarier, ma nature, je peux pas la changer comme ça ! Comment vous faire comprendre ? Par exemple... vous voyez mes cheveux ?

- Oui, ils sont gras.

- Non, mais en dessous du gras, qu'est-ce que vous voyez ?

- Bah, la couche est épaisse, Georges , hein, quand même !

- Bon, allons à l'essentiel : ils sont... frisés. Hein ! Fri - sés. Et frisés, mes cheveux, c'est leur nature. Ils l'ont pas choisie. Et ce que vous me demandez là, c'est comme si vous me disiez : " Mais faites un effort, Georges, mais arrêtez d'être frisé !" Eh bien non, je peux pas ! J'suis frisé. Et frisé, c'est un truc, mes cheveux, i' peuvent pas s'empêcher. Comprenez mieux, là ?

 

 

- Mais qu'est-ce qu'il t'arrive, mon chéri ? T'as les yeux tout hagards, t'as le front tout moite. On dirait que tu t'es essuyé avec une chips...

- Moite et hagards, moite et hagards... MOITE ET HAGARDS ! Ca sonne bien, ça fait... ça fait champagne millésimé... MOITE ET... HAGARDS...

- Ca va bien, mon chéri ?

- Vous allez bien,  cher Georges ?

- Ecoute chérie, écoutez belle-maman : vous n'allez sûrement pas me croire.

- Dis toujours.

- Je suis enfin passé cadre dynamique.

- Arrête !

- Si, si, je vous assure, j'ai le certificat dans mon sac, c'est écrit ! Attendez, de mémoire... : "Cher Monsieur, nous avons le plaisir de vous annoncer que vous êtes ENFIN passé - LES DOIGTS DANS LE NEZ  - cadre dynamique ".

- Arrête !

- Ouais, t'as raison, vaut mieux que j'arrête.

- Les doigts dans le nez, cher Georges, je me disais aussi...

- J'sais plus quoi faire, moi, "Cadre dynamique" ! Si vous saviez comme j'en ai marre de courir après un statut...

- Une statue, voulez-vous dire ?

- C'est ça, une statue, belle-maman, une statue...

- Faite donc l'amour à ma fille, Georges, ça vous calmera. Pendant ce temps, j'irai vous acheter du fromage...

- Mon chéri, faut vraiment que tu reposes.

- Très bonne idée, ma fille : des vacances !

- Ouais ! Des vacances… tout seul, sous un cocotier, MON cocotier... avec la musique du sable et la mer qui chanterait du Trenet...

- Tout seul ! Tu ne m'emmènerais pas avec toi, sur ton île, mon chéri ?

- Et moi non plus, Georges, vous me laisseriez là ?

 

Si elles savaient, toutes les deux !

Je les emmènerais, loin, très loin, sur une île déserte.

Je porterais leurs valises, j'y aurais mis tous leurs produits de beauté, tous leurs bigoudis...

Et je les y laisserais !

Et je retournerais sous mon cocotier... à moi, avec mon sable… à moi et j'écouterais ma mer chanter son homme...

 

- Belle-maman, vous avez raison, je vais aller acheter du fromage, ça me détendra.

- Mais non, mais vous ne m'avez pas comprise : Georges, le fromage, c'est moi...

- Non, pas encore : vous valez mieux que ça. Faites donc vous-même l'amour à ma femme, ça lui fera du bien. Vous ne serez pas déçue, je vous assure...

 

 

- Tiens, Georges ! Alors ! Paraît que t'as renoncé à passer ''cadre dynamique''. C'est dommage, vraiment dommage ! Puis t'as été gâté : faire le poirier / à poil / dans le hall / à l'heure du déjeuner / le corps peint en bleu. Une seule fois, dans ta vie !

Moi, c'est la semaine prochaine. J'aurais juste à traverser le parking à cloche pied. Sans les chaussures, hein, attention !

Allez, t'en fais pas, Georges, t'essayeras l'année prochaine...

Cadre dynamique, c'est pas la mer à boire !

 

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