(‘Femme se coiffant’ de Felix Vallotton) : Les retrouvailles

whyannieis

Une femme s’est coiffée dans mon miroir. Puis elle s’habillée.
Malgré sa robe épanouie, je ne vois qu’une femme triste.
Elle, c’est mon reflet dans le miroir. Ce soir, je dois assister à une soirée que mon père va organiser chez nous.
Il invite souvent des hommes au pouvoir à dîner pour progresser dans son entreprise, et aussi pour me chercher un conjoint idéal.
Mon père a l’habitude d’intervenir dans ma vie.
Je le déteste, mais je ne peux rien faire.

Assis dans le salon, des invités de mon père.
Le moins âgé dans ce groupe, c’est un homme qui n’a pas l'air d’être à sa place.
Il reste si calme, et il se contente de tirer sur sa cigarette en écoutant les autres.
Quand j'arrive parmi eux, mon père fait les présentations.
Il me regarde avec ses yeux gentils.
Je me souviens de son regard doux mais apparemment il m’a oublié.

De naissance, j’ai une intelligence exceptionnelle et une mémoire photographique sans défauts.
Par contre, mon père m'interdit tous les métiers qui ne se conforment pas à ceux d'une jeune fille : les sciences, les sports, et le poker bien sûr.
Je suis mordue de poker parce que je gagne toujours.
Autrefois, les tournois de poker importants étaient interdits aux filles.
Gamine, pour tenter de faire échouer les garçons dans un grand tournois, je portais un béret pour cacher mes cheveux longs.
Tout allait bien jusqu'au dernier tour : mon béret est tombé.
Un ange est passé et puis un grand brouhaha.
Tout le monde dans la salle s’est moqué de moi. Évidemment, ils m’ont méprisée. 
Par contre, mon concurrent a gardé son sang froid et m’a dit simplement : « Alors, on va jouer plus tard, ailleurs. »
Malgré mes grosses larmes, nos regards se sont croisés.
Je me souviens de lui, et je regrette tellement d’avoir raté ce tournois important.

Après le dîner, je propose une partie de poker.
Malgré les protestations de mon père, il accepte.
C’était vraiment l’homme le plus intelligent que j’aie rencontré parce qu’il a toujours gagné.
Il est tard, quand les autres sont tous partis.
Je veux le retenir donc je propose un jeu de cartes de deux personnes.
Il me regarde. Il ne dit pas oui, ni non.
Il m'embarrasse seulement, comme on réconforte quelqu'un qui vient de subir un échec.
Il me semblait qu’il manque de présence d’esprit.
A-t-il hâte de rejoindre sa femme chez lui ? Ou ses enfants qui lui manquent ?
Je recule, et il se sauve doucement.
Je lui emboîte le pas mais il ne tourne pas la tète.

Il est presque minuit quand je rentre dans ma chambre.
Je me déshabillé. Je me regarde dans le miroir. Je vois qu’une femme plus triste me regarde.
Je n’arrive pas à comprendre : pourquoi se rencontre-t-on par hasard, puis se perd-on de vu.
Qui nous réunit ? Et qui nous sépare ?
Est-ce qu’on se retrouve ? Et après est-ce qu’on nous rend inséparables ?
Soudain, j’entends un drôle de bruit.
On dirait plusieurs coups de revolver, ou une grande explosion.
J'ai très peur, mais étrangement, la peur me pousse à sortir quand même.
Ce que je vois non loin du palier, c'est une grande mare de sang dans lequel il est allongé.
J'essaye de le réveiller en caressant son visage et sa poitrine mais je sens que sa chaleur disparaît rapidement.
Je sors le revoler de son poche. Il est si brillant dans ce monde maléfique.
Est-ce qu'il s'est privé de sa vie ? Il me dégoûte tant. Je le jette dans l’égout.
Même s'il est à peine éveillé, je crie en pleurant : « Lève-toi, Franky. On va jouer encore ? Tu m’as promis… »

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