Infidèle comme une ombre

David Humbert

Je n'ai jamais cru aux voyantes, pas plus qu'aux tarots ou autres "arts" divinatoires. 
Je suis plutôt adepte de Saint-Thomas : je crois ce que je vois. 
Et mardi dernier, j'ai vu mon futur.

J'ai remarqué quelque chose d'anormal avec mon ombre. Alors que je marchais dans une petite rue du centre-ville : mon ombre ne suivait plus mes mouvements. 
Elle ne levait pas les bras lorsque je les levais, pas plus qu'elle ne se mettait sur un pied lorsque je le faisais. 
Je me tenais là, incrédule et immobile alors que mon ombre continuait à marcher. 
J'ai pensé à un rêve conscient, j'ai pensé à un cancer du cerveau. 
Je continuais à l'observer. 
Mon ombre mimait une marche énergique, puis trébucha et continua en regardant vers l'arrière pour s'assurer, j'imagine, que personne n'avait assisté à ce faux pas. 
J'ai pensé à un retour d'acide, à une tumeur au cerveau. 
Le soleil disparu derrière des nuages et mon ombre avec lui.

Je me hâtai de rentrer chez moi, effrayé par ce phénomène que je ne comprenais pas, prenant soin de n'emprunter que les trottoirs à l'ombre. 
À une centaine de mètres de mon appartement, je trébuchai, manquant de peu de tomber. Je regardais par-dessus mon épaule pour contrôler que personne n'avais assisté à ce moment ridicule. Je me rendis compte que j'avais perdu l'équilibre de la même manière que mon ombre quinze minutes plus tôt. 
Pour un esprit cartésien comme le mien, il me fut difficile de reconnaître que mon ombre me montrait mon futur.
Une fois arrivé chez moi et après avoir retourné le problème sous tous les angles, je décidai de regarder à nouveau mon double.
J'allumais la lampe du salon et me plaçais entre elle et le mur blanc.
L'ombre marchait, sans se déplacer, mais les mouvements étaient sans équivoque. Ensuite, je compris qu'elle entrait quelque part. 
Ses mouvements, pareils à un théâtre d'ombres chinoises, me laissaient penser qu'elle était au comptoir d'un bar. 
Tout cela, bien que fascinant, m'effrayait énormément.
Je pensais au delirium tremens, je pensais à une camisole de force.
J'éteignis la lumière. 
Je me cuisinai un repas, dans la pénombre. 
On dit que l'on réfléchit mieux l'estomac plein. 
Ma curiosité l'emporta sur la réflexion et sitôt mon repas avalé, je rallumai la lampe. 

Mon ombre était en plein coït. 
Je la voyais, tenant entre ses mains un cul invisible, tout en donnant des coups de reins secs et énergiques. Je sentais l'excitation monter. 
J'allais niquer dans un quart d'heure ! 
Je sortis de chez moi en hâte et fonçais vers le seul bistrot du quartier. 
J'allais sûrement la rencontrer dans ce bar. 
Je m'installai au comptoir et commandai un whisky. 
Tout se passait comme l'ombre me l'avait montré. 
Je portais le verre à mes lèvres puis avalais des cacahouètes, en balançant la tête en arrière. 
Je scrutais autour de moi. Il n'y avait pas grand monde dans le rade. Seulement une femme, et pas vraiment à mon goût. 
Je commandais un autre verre, pour me donner du courage. 
La femme sortit du bar avec un homme.
Je regardai ma montre, j'étais censé baiser dans trois minutes... 
À moins d'un miracle j'étais bien parti pour me la mettre derrière l'oreille. 
Deux minutes.
Mon ombre s'était foutue de ma gueule. 
Une minute.
Résigné, je payai le barman qui me rendit la monnaie en me demandant si ça allait. 
Je ne répondis pas. 
J'empoignai juste ma monnaie et me dirigeai vers la sortie. Je regardais la pièce de 2 euros dans ma main et je me dis, quitte à être la, autant me faire une partie de flipper.  

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