Flash back Africa
kitty95
Flash-back Africa (1990)
« Si tu es riche sans être généreux, tu es pauvre. » Proverbe togolais
Le grand douanier, là, à gauche, avec son sourire carnassier, je suis sûre qu’il va fouiller mes bagages.
- Cette boîte, c’est quoi?
- De l’Intetrix... pour le mal de ventre » , lui ai-je répondu en détachant bien chaque syllabe pour qu’il me comprenne. Sa réponse ne se fait pas attendre.
- Ben, j’ai mal au ventre, moi aussi...
Les Dieux sont sûrement tombés sur la tête, quelque part en Afrique... A la sortie de l’aéroport de Lomé, une nuée de jeunes se répand autour de nous tandis que nous nous dirigeons vers notre voiture de location. Ce qu’ils veulent ? Des sous, bien sûr, en échange d’un petit service : porter nos bagages, ouvrir les portières, nettoyer le pare-brise, et j’en passe. Pour ma première nuit africaine, mon compagnon a pris soin de réserver une chambre dans un grand hôtel de Lomé, aseptisé, international, incolore et inodore, beau et froid en ce lieu humide et chaud. Je lui en suis reconnaissante, car poser le pied en territoire africain a, la première fois, de quoi impressionner. Lomé de nuit, c’est quelque chose. Plus tard, je m’apercevrai que, de jour, c’est tout aussi déroutant.
Le lendemain, adieu la capitale, en route pour l’aventure. Bien à l’abri derrière ma vitre à peine baissée pour laisser filtrer un peu d’air, je ne rate rien du spectacle sans cesse renouvelé qui se déroule sous mes yeux. Ils sont drôlement nombreux, les Togolais, sacrément noirs et très peu vêtus. Les femmes portent des charges incroyables sur la tête. Quant aux hommes, à les regarder flâner, on se demande franchement en quoi consistent leurs tâches. Combien d’enfants compte chaque famille ?
Avant de répondre à une telle question, il s’agirait de recenser le nombre d’épouses par individu mâle en âge de procréer.
— Pas plus de deux, nous apprend une jeune serveuse de restaurant, célibataire et indépendante. Plus, cela coûte trop cher. L’homme, lorsqu’il se marie, doit offrir une robe neuve à son épouse. S’il n’a pas les moyens d’en acheter plus de deux, il se contente alors d’être bigame. Toi, l’homme blanc, explique-moi pourquoi tu as besoin de plusieurs femmes.
Etonné et hilare, mon compagnon lui répond :
— Minute! Je n’ai qu’une femme, moi !
Sans tenir compte de cette remarque, la jeune femme reprend, obstinée :
— Pour le moment oui, mais pourquoi en veux-tu plusieurs ?
— Pas du tout, une seule, c’est bien assez !
Tant pis si cette réponse ne la satisfait pas, à notre tour de poser des questions.
— Comptes-tu te marier, un jour ?
— Oui, bien sûr, mais j’arrêterai de travailler.
— Pourquoi ? lui avons-nous demandé dans un même élan étonné.
— Pour surveiller mon mari, pardi ! Si je travaille, il ira voir d’autres femmes pendant ce temps-là, or je ne suis pas d’accord.
Après plusieurs jours de balade sur les pistes de terre rouge qui nous conduisent du sud au nord du Togo (et vice versa), nous finissons par avoir mal aux mâchoires, à force de sourire. Partout où nous passons, on nous salue. Bien obligés de répondre ! Parfois, le sourire ne nous quitte pas de la journée tant nous croisons de monde.
« Victor la Frime », jeune guide que j’ai secrètement surnommé ainsi nous a fait la leçon. Au Togo, le touriste circule librement à condition de se plier à certaines règles élémentaires : ralentir devant les postes-frontières, faire un signe amical de la main au douanier et, si ce dernier ne dort pas, attendre qu’il réponde à notre geste avant de reprendre une allure normale. Ça marche à tous les coups. Heureusement, car s’il fallait s’arrêter à chaque barrage routier, la traversée du Togo prendrait des mois.
« Victor la Frime » est plutôt fier de sa personne, de son expérience et... de son frère douanier, profession estimable entre toutes au Togo. L’argent, il en connaît la valeur et ses talents de guide expérimenté lui procurent largement de quoi vivre. A ce qu’il paraît, Victor aurait participé à l’élaboration des pages sur le Togo du Guide du Routard.
Quoi qu’il en soit, merci « Victor la Frime », car sans toi, nous ne saurions toujours pas reconnaître l’arabica du robusta. Désormais, nous sommes des amateurs de café avertis.
Venir jusqu’en Afrique et ne pas visiter une réserve animalière aurait été franchement dommage. Alors, de bon matin, sur le coup de six heures, nous partons à l’aventure accompagnés d’un garde-forestier. Les bêtes à cornes sont au rendez-vous, en revanche pas de lion, pas de panthère. Un éléphant a tout de même eu la délicatesse de laisser une trace de son passage sur la piste que nous empruntons : une énorme crotte encore fraîche qui aura le don d’arracher un cri d’admiration à notre guide. Stationnés sous un arbre, nous la contemplons avec respect pour le majestueux animal. Pas longtemps, car une colonie de singes nous bombarde de pommes de pin. Par égard pour la carrosserie de notre voiture de location, nous ne nous attardons pas davantage.
Le réseau routier du Togo est en assez bon état, mais la carte dont nous disposons n’est pas complète, loin de là, ce qui nous vaudra quelques déboires dont nous nous serions volontiers passés. Les pistes les plus fréquentées y figurent, de même que « le goudron », entendez par là les routes asphaltées. Truffées de nids de poule, ces dernières requièrent une conduite prudente.
Alors que d’ordinaire nous croisons un tas de gens sur les routes que nous empruntons, le jour où nous avons éclaté un pneu, pas âme qui vive aux alentours. Quant au malheureux matin où nous nous sommes égarés en pleine brousse, pas une des personnes que nous avons croisées ne parlait le français. Allez donc demander votre chemin dans de telles conditions ! Nous avons roulé des heures sur des pistes accidentées, avec la crainte de nous enliser ou de ne plus retrouver notre route. Une crise de tétanie me guettait. Mon compagnon ne valait guère mieux. Les mains crispées sur le volant, il me répétait toutes les cinq minutes que nous allions nous en sortir. Son ton manquait toutefois de conviction. De retour à l’hôtel, sains et saufs, rien n’y fait, hélas. La crise étant bel et bien là, il faut intervenir... par le biais d’une injection de Valium. Piqûre... un mot qui a de quoi faire frémir en Afrique. Lorsque le médecin me demande si je ne vois aucune objection à recevoir une injection, je mens effrontément:
- Non, non, allez-y, j’ai confiance.
Imaginez mon soulagement lorsque je l’ai vu sortir une seringue neuve de son emballage plastique. J’étais sauvée, « il » ne passerait pas par moi...
Ainsi, il existe des châteaux forts au Togo ? Pas question de rater ça ! A nous enfin le pays des Tambermans. Grâce à deux auto-stoppeurs locaux, nous avons le privilège de visiter une « tata », château fort d’argile habité par une famille adorable : un homme, ses deux épouses et quatre enfants en bas âge dont un, le plus petit, se prend aussitôt d’affection pour moi. Sa mère, gênée, finit par le prendre dans ses bras en m’adressant un sourire d’excuse. Le gamin a un ventre proéminent qui ne m’inquiète pas sur le moment. Mais, à notre retour, lorsque j’apprends par un ami médecin à qui j’ai montré la photo des Tambermans, que le petit garçon souffre de malnutrition et qu’il est impossible de se prononcer quant à ses chances de survie, vu son trop jeune âge, une profonde tristesse s’abat sur moi... A quelques jours du départ, nous regagnons le sud du Togo et décidons de séjourner à l’Hôtel du Lac, près de Togoville. Un tour en pirogue s’impose pour nous rendre sur un îlot gouverné par un roi authentique à qui l’usage veut que tout nouveau venu rende visite. Ne pas se plier à cette volonté est paraît-il risqué. Le visiteur ne bénéficie dans ce cas d’aucune protection, ce qui signifie qu’il peut lui arriver les pires mésaventures. A quoi bon tenter le diable ? Nous décidons sagement de rendre hommage au roi qui nous accueille chaleureusement. Au moment de le quitter, notre guide nous presse de signer le livre d’or et de laisser une obole. Plus disciplinés que jamais, nous nous soumettons.
A peine sortis de la demeure royale, nous sommes les témoins d’une scène irréelle qui restera gravée dans notre mémoire. Une jeune fille au crâne rasé, d’une beauté rare dans sa quasi nudité, avance vers nous d’une démarche aérienne. Un sourire de béatitude flotte sur son visage lorsqu’elle nous croise sans nous voir. Une ceinture de corde la relie à deux chèvres qui l’entraînent dans une direction connue d’elles seules. Notre guide à qui nous demandons ce que signifie ce rite détourne les yeux sans répondre et nous invite à le suivre. Le mystère demeurera entier...
Le jour du départ est arrivé. Au revoir Togoville. L’avion s’envole de nuit emportant nos regrets de n’avoir pu prolonger notre séjour. Dans un demi-sommeil, je revois « Victor la Frime », la jeune serveuse du restaurant, l’enfant des Tambermans et je pense : « Si je savais écrire, vous seriez les héros de mon roman... »
Je reconnais bien là l'Afrique où j'ai vécu dix ans, rien n'a changé ! Mon coeur y est toujours attaché...
· Il y a plus de 11 ans ·nilo