Fleurs de peaux

etcaetera

Début du roman


La peau doit permettre de maintenir le milieu corporel isolé…

Le manège s'ébranle doucement. Me voici maladroitement agrippée à la barre, regard planté droit devant. Mes paumes, brûlantes, sont collées au métal glacé. Là derrière, à quelques chevaux de moi, les enfants d'Alice et Etienne rient à gorge déployée. Leurs parents, non moins hilares, jouent aux jeunes mariés dans leur carrosse. Mon gamin s'est installé au guidon d'une harley davidson rutilante. Il sourit de toutes ses dents, moins celles du devant, jette un œil vers moi puis vers son père resté, lui, sur le bord. C'était à mon tour de faire preuve d'abnégation. Je fais ce que je peux pour paraître à l'aise mais les ombres rôdent, le vertige menace déjà. Je me défends, idiote, que vas-tu craindre d'un tour de manège ?

Mais une sensation oubliée de l'enfance ressurgit déjà, déformée, presque laide. J'y retrouve ce tournis insupportable qui s'accélère sans qu’on ne puisse rien changer. Emballement, course aveugle et sans but du mécanisme qui pourrait bien devenir fou... Les autres rient, sourient, s'espionnent, gloussent bientôt à mesure que le rythme s'accélère. Je ferme les yeux.

Pour les gamins on a fait passer un "pompon", singe désarticulé dont il paraît urgent de décrocher la queue. Le frôlement du tissu sur mon visage me ramène à la réalité.

Quelques instants étirés plus tard, la fête est finie, et je suis délivrée. Tous mes adorables sourient sans arrière-pensées.  Le frisson me parcourt l'échine lorsque nous passons devant le stand de tir. Une idée saugrenue a déjà commencé à germer,  voici qu'elle se précise. Sourire en coin, il me prend l'envie de disparaître. Irrépressible attirance pour la transparence, pour un jeu, encore un jeu, juste pour voir, on dirait que tu ne me vois plus. Qui parle alors, qui tient les rênes de cette impulsion-là ? Je sens juste que c'est précisément maintenant que je dois, que je peux partir.

Et tout se fait dans la plus grande évidence.

Je choisis de m'échapper par une petite contre-allée, juste quand ça devient possible. Par ce côté mon absence ne se remarquera pas immédiatement. J'ai vérifié, Thomas est solidement accroché à la main de son père.
A pas de loup, j'avance, sûrement. Rien ne change, rien que mon euphorie grandissante. Dépasser les familles aux pas lancinants, franchir la grande grille du parc, traverser la route.

Puis, le défilé. Les rues, les avenues, à perte de vue.


J'ai un sourire malicieux qui se dessine sur la figure, et qui ne me lâche plus. Sans culpabilité, je me vois gamine capricieuse s'enfuyant avant même d'y avoir bien réfléchi.

Puis j'accélère, m'embarque dans une course étrange et effrénée, sans que le souffle ne me manque un seul instant. J'entends les inspirations et expirations sortir régulièrement de ma poitrine.

Cela peut durer une minute, une heure, est-ce que je sais ? Indéniable, ma présence au monde frappe et claque, hors de question pour le moment de m'arrêter. Je passe, je sens, tout !

Les gens, l'air, les vitrines, les pavés tordus, rien ne m'échappe. Et mes jambes déroulent, l’une après l’autre et sans heurts, comme dans de la ouate. Je me rêve prenant la fuite tout en la prenant réellement. Pur instant de grâce, premier joyau de mon départ : son amorce.

Je me suis arrêtée dans un café, au hasard, attirée par sa chaleur arrivant par bouffées sur le trottoir.

Première halte, première confrontation avec mon souffle coupé. J'ai l'impression de ne pas l'avoir entendu depuis des années. A chaque exhalation des images me viennent brutalement à l'esprit. Se bousculent pêle-mêle des scènes insignifiantes, visages familiers, souvenirs heureux ou pâleur de moments tristes...
Quelle sensation ! Mon bagage défile dans un joyeux fourre-tout.

J'étale sur la petite table à laquelle je me suis assise tout ce que j'ai avec moi. Un petit sac, les clés de l'appartement, un paquet de chewing-gums, mon portefeuille, un stylo au bout mâchonné. Il me reste un ticket de manège. Mes yeux s'y attardent. Ticket rose, écriture noire à l'ancienne. Je le triture puis en fait une boule pour le cendrier de la table d'à côté.

Ce que je fais là ? J'ouvre une parenthèse. Ils se poseront des questions, évidemment, sans doute m'en voudront-ils d'être partie comme ça. J'y répondrai, ce ne sera pas grave. Pas grave du tout. Ce sera juste un souvenir en bulle dans laquelle je déchargerai ce que je veux.

Je ne suis capable aujourd'hui que de cette fuite urgente, qui me brûle tout le corps dès que je m'y attarde en pensée. C'est cela, c'est l'urgence qui me commande.

Un café s'il-vous-plaît.

Je contemple son noir intense : le nez au-dessus de sa fumée chaude et réconfortante, y trouve confirmation de mon geste.

Sûrement s'agit-il de sauver ma peau.

Je ne sais s'il y avait beaucoup de gens alors autour. S'ils étaient là ils n'ont pas existé pour moi. 

Synopsis

Le personnage principal est une jeune mère de famille, entourée par des proches et amis attentifs et aimants, mais prise d'un enivrant besoin de s'échapper qu'elle finit par réaliser brusquement. D'abord récréation réjouissante, cette fuite tourne mal : témoin involontaire d'une scène qu'elle n'aurait pas du voir, elle se trouve bientôt menacée et forcée de s'éloigner et pour de bon, laisser derrière elle son environnement familier.

Au cours de son errance, d'abord dans les quartiers proches puis dans une petite ville éloignée et en Grande-Bretagne, elle fait la rencontre de personnes étonnantes aux vies très différentes de la sienne. Elle demande à chacune d'entre elles d'écrire un témoignage libre dans un carnet qui la suivra partout. Son contenu ne sera dévoilé, pour elle comme pour le lecteur, qu'à la fin du récit.
Parmi les personnages phares de ces rencontres : un jeune homme Africain, le premier qui lui tendra la main, la vendeuse peu rassurante d'une boutique de vêtements, un vieil homme au passé énigmatique, un dandy écossais, une petite fille.

Elle sera forcée de faire des choix parfois difficiles pour protéger les siens et sa propre vie. Entre inquiétude, obligation de se cacher et découvertes humaines enrichissantes, elle traversera plusieurs états psychologiques.
La réalité des choses prendra parfois des contours assez flous, au gré de l'état du personnage (état-limite, personnes inventées ou fantasmées,...).

Le récit alternera principalement entre monologue intérieur et scènes dialoguées, laissant parfois la parole à des personnages extérieurs.

Plus tard, la jeune femme découvrira par le biais d'un écrit dans son carnet le décès récent de la personne qui la menaçait. Si cet évènement signifiera un possible retour vers tout ce qu'elle a du fuir, l'étape s'avérera chaotique et difficile à franchir. Elle y oscillera entre enthousiasme et peur, allant jusqu'à provoquer un accident.   

La fin du récit débouchera sur de nouvelles questions, et une instabilité certaine du personnage qui pensera de nouveau à la fuite.

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