Fred en fuite

teluber

Ce dont on a besoin tient en peu de choses, finalement. Voilà ce qui me traverse l’esprit alors que je fourre quelques vêtements dans un grand sac à dos de randonnée. Huit caleçons, trois jeans, deux pulls, cinq t-shirts et huit paires de chaussettes. Un livre. « Gone, Baby, gone », emprunté à la bibliothèque. Tant pis pour la bibliothèque, je ne suis plus à ça près. Une enveloppe contenant un peu d’argent. Tout ce qui restait sur mon compte, en fait. 154,35€. Et ma dernière boîte d’antidépresseurs. Quelque chose me dit que je pourrais en avoir besoin. Pendant une seconde, je suis pris de vertige. Je m’assieds sur la moquette défraîchie, je prends ma tête entre mes mains et je ferme les yeux. Bon Dieu, c’était ma dernière nuit dans mon lit et je me sens déjà épuisé. Toute la nuit je me suis posé la question : Est-ce que je vais vraiment le faire ? Et à chaque fois, en écho, une autre question : Ai-je vraiment le choix ?

J’essaie de me souvenir l’instant précis où j’ai pris ma décision. Bien sûr j’y ai longtemps pensé. Tout plaquer, partir loin, faire ma vie ailleurs. J’ai fantasmé la fuite, comme tout le monde, je crois. A la mort de ma mère, j’ai fugué, j’ai disparu pendant vingt-sept heures, le psy a dit que je cherchais à vérifier que le reste de ma famille serait là pour moi, qu’ils allaient me rechercher, s’inquiéter. Mais cette fois c’est pour de bon. Je n’ai plus quinze ans, et je fuis parce que je n’ai pas le courage de me foutre en l’air.

Je crois que j’ai commencé à y penser sérieusement le jour où j’ai dû aller chercher à bouffer aux Restos du Cœur. J’avais tourné autour du bâtiment pendant vingt minutes. Quand je suis entré, je regardais mes pieds. Quand j’en suis sorti, j’ai cru que j’allais chialer. Jusqu’à ce jour j’avais toujours réussi à faire mes courses. J’achetais de la merde, dans des magasins de merde, mais je l’achetais, putain. Et puis, deux semaines plus tard, pour la première fois, je n’ai pas pu régler mon loyer. Alors ça m’est apparu de plus en plus clairement. Je n’avais pas d’autre solution. Pour mes amis j’étais Fred, le mec-triste-mais-sympa. Le mec-qui-sait-si-bien-écouter. Hors de question que je devienne Fred, le-mec-qui-dort-dehors-et-va-aux-Restos-du-cœur. Je voyais ça d’ici. A la fin du mois, pour la seconde fois, je ne pourrais pas payer mon loyer. La procédure d’expulsion prendrait des mois mais elle aurait lieu, ça ne faisait aucun doute. Je me retrouverais dehors en septembre, au plus tard. Hors de question que je vienne grossir les chiffres de la misère. Hors de question de devenir un SDF « officiel ». Qu’ils aillent se faire foutre, avec leurs statistiques. Je serai une personne disparue.

Je regarde l’intérieur de mon sac avant de le refermer. C’est effrayant. Je pensais qu’il serait rempli des choses sans lesquelles je ne pourrais pas vivre. De fait il est désespérément vide. Alors c’est tout. Je n’ai plus qu’à enfiler mon blouson, prendre mon sac et fermer la porte. C’est si simple et si terrifiant. L’escalier craque sous mes pieds. En arrivant au rez-de chaussée, je glisse mon trousseau de clés dans ma boîte à lettres. Mon ancien trousseau de clés. Mon ancienne boîte à lettres.

 Le type qui doit m’emmener à Paris est un étudiant qui vit près de l’université. J’ai trouvé ses coordonnées sur Internet, sur un site de covoiturage. Avantage du covoiturage : c’est moins cher que le train. Avantage de Paris : je pourrai facilement m’y fondre. Plus de possibilités de travail, plus de possibilités d’hébergement. Et peu de risque de tomber sur une connaissance. Pendant des nuits, j’ai réfléchi à la façon dont j’allais devoir procéder. L’argent sera, de loin, l’aspect le plus compliqué. Le gagner, bien sûr, mais le dépenser également. J’ai contracté trop de dettes pour pouvoir utiliser mon compte bancaire. Dès qu’il sera approvisionné, mon opérateur téléphonique, le Trésor Public et divers organismes de crédit se serviront allègrement. Je devrai donc tout gérer en espèces et, par conséquent, travailler au noir. Payer en liquide, même le loyer. Tout et autant que j’aie un loyer à payer. Je ne sais pas où tout ça me mènera. Je ne sais même pas quel est mon projet, à termes. Attendre que l’ensemble de mes dettes ait atteint le délai de prescription ? Il me semble avoir lu quelque part qu’il était de cinq années. J’ignore si je tiendrai si longtemps dans une situation aussi merdique. Tout ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui je n’ai aucune autre option.

A dix-huit heures un vendredi, les abords de l’université sont plus que calmes. La plupart des étudiants sont sortis prendre un verre, rentrés chez eux ou ont pris la route pour le doux foyer de papa et maman. Comme prévu, mon chauffeur m’attend près de l’entrée principale de la fac de sciences. Trois autres personnes attendent avec lui. Deux filles et un garçon qui partageront également les frais de route. Ces trois-là ont l’air de se connaître, ils chahutent et le garçon en profite pour peloter une des filles. J’arrive délibérément avec quelques minutes de retard. Je n’avais aucune envie de faire la conversation en attendant que l’équipage soit complet, une fois dans la voiture je pourrai faire semblant de dormir. Tant bien que mal nous parvenons à faire entrer mon sac à dos dans le coffre de la voiture, déjà bien encombré de sacs, de bouffe et de packs de bière.

Synopsis

A vingt-quatre ans, Fred Nouvel se trouve dans une situation de précarité importante. Depuis plusieurs années, il vivote de petits boulots, souvent à temps partiel. Mais même les petits boulots se font rares et Fred est aujourd’hui acculé. La dégradation de sa situation s’est manifestée récemment par deux évènements très concrets : pour la première fois, Fred a dû faire appel aux Restos du Cœur pour manger. De plus, pour la première fois également, il n’a pas pu régler son loyer. Fred refuse de subir, à terme, une expulsion locative qu’il considère comme inéluctable. Il refuse aussi d’être étiqueté comme « pauvre » par ses amis à qui il a, tant bien que mal, caché ses difficultés. Ne voyant aucune autre option, il décide de prendre la fuite et d’aller se perdre à Paris, dans l’espoir d’y vivre de la façon la plus autonome possible, en travaillant au noir et en dormant là où il pourra. Fred quitte son studio un jour de printemps, avec 154,35 € - tout ce qui lui reste, et qui servira à payer ses premières nuits dans une auberge de jeunesse.

A Paris, Fred doit faire face à tout ce qui caractérise la grande précarité, l’errance et la solitude. Le roman déclinera les stratégies qu’il met en place pour survivre – en termes très concrets, pour gagner de l’argent, se loger, manger, mais également en termes de relations humaines, pour pallier à sa solitude – et les stratégies qu’il met en place pour continuer à fuir. En effet, Fred réalisera rapidement que ses proches ont signalé sa disparition et que celle-ci est considérée comme préoccupante par les autorités, considérant la dépression chronique dont il souffre depuis plusieurs années. A plusieurs reprises le passé de Fred sera évoqué, et apportera des éclaircissements sur l’ensemble de sa trajectoire, et sur les raisons qui le poussent aujourd’hui à prendre la fuite.

L’histoire de l’errance de Fred est une histoire de galères, de débrouille, de solitude, mais c’est également une histoire de rencontres. Certaines viendront en soutien et lui permettront de respirer quelques jours, quelques semaines. D’autres, au contraire, le tireront vers le bas. On verra alors tout ce que la précarité sociale induit comme complications dans les relations entre les personnes. On verra notamment que certaines « aides » ne sont pas totalement désintéressées, et que la situation d’exclusion qui est celle de Fred l’amène à subir différentes sortes de violence. Fred devra se positionner face à cette violence, s’en protéger, y répondre parfois. Epuisé et déprimé, il finira par mettre sa vie en danger, ce qui mettra fin à sa fuite. Commencera alors pour lui un long travail de « reconstruction », dans lequel il devra accepter d’être soutenu par ses proches. Ce processus n’interviendra qu’en épilogue, comme une ouverture sur l’avenir de Fred.

Ce roman, s’il se veut réaliste, n’a pas la prétention d’être un travail sociologique sur la précarité et l’exclusion. L’histoire de Fred est celle d’un homme pris dans une multitude de carcans – économiques, sociaux, psychologiques, familiaux – et qui pense qu’il s’en libèrera en prenant la fuite.

  • Ce n'est pas autobio, non, et heureusement pour moi ... je ne connaissais pas le concours VSD, merci pour le tuyau, je vais y réfléchir !

    · Il y a plus de 11 ans ·
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    teluber

  • Pitch tout simple mais très réussi. J'ai plongé dans l'histoire de Fred, ptet parce ce que j'ai souvent envie de faire comme lui ;)
    Si c'est pas auto bio encore plus bravo du coup, on sent bien le perso ;)
    Pour ton premier roman tu connais le concours VSD sinon ?

    · Il y a plus de 11 ans ·
    P1140230 orig

    Mathieu Cesa

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