Là où pousse l’herbe verte :

finotier-annoure

Là où pousse l’herbe verte :

Chapitre 1 :

-          Mais bordel, sur quoi on a roulé ? L’impact avait été soudain pour Pierre, la tête plongée entre ses genoux, cherchant le cd Midnight Marauders sous le siège passager. Le portail de bois sec avait éclaté comme une allumette sous la pression du par-buffle fixé au châssis de son Land Rover ; couchant du même fait la barrière adjacente. Des fenêtres ouvertes, par lesquelles s’engouffrait désormais un épais nuage de poussière, on sentait nettement l’odeur de la gomme brulée.

-          C’était rien de plus que la boite aux lettres. Luc répondit sans un accros dans la voix. Le regard éveillé et les gestes appliqués, il enclenchait déjà la marche arrière – en prenant soin de vérifier l’angle mort, avant de se réengager  au plus vite sur la maigre piste en terre qui bordait le lotissement. L’assurance de son visage surprenait Pierre plus encore que le choc lui-même. Des clameurs et les jappements affolés d’un dogue argentin accompagnaient le bouillonnement sourd d’un moteur encore froid qui s’emballe. Après quelques mètres, la poussière en amont commençait à retomber et l’on distinguait maintenant quelques silhouettes mouvantes. Pierre, la tête retournée et les deux mains cramponnées à la poignée avant du tableau de bord (située juste au-dessus de la boite à gant), plissait les yeux, scrutait les ombres, les formes, cherchant à savoir si ils étaient suivis.

-          Oh putain, o putain, baisse toi ! Une balle vint frapper la vitre arrière à la deuxième détonation. Une dernière fut tirée avant que le véhicule ne disparaisse dans la nuit sans qu’on se lance à sa poursuite.

Pierre tremblait de tout son corps ; bras, jambes, mains, échappaient à son contrôle. Sa mâchoire était crispée et ses pupilles dilatées ;  les mots restaient coincés dans sa gorge.

Pourtant, tout avait si bien commencé ce soir là. Deux heures auparavant, à la sortie du Solander Lake Bowls Club, on invitait deux jeunes Frenchies à venir terminer la soirée dans un pavillon en bord de plage. Bien qu’on n’en ait jamais vu auparavant sur l’île on était, à Bribie, hospitalier avec les français ; et un brin curieux. Après tout, qu’est-ce qui avait bien pu les pousser à venir dans un lieu si conservé de l’Australie ? Eux même ne savaient qu’en dire. Peut-on avouer que l’on est en fuite ? Un concours de circonstance, résuma Luc, nous sommes venus pêcher, précisa Pierre.

Si on offrit ensuite, très volontiers, bières fraiches et whisky aux deux visiteurs ; on voyait d’un plus mauvais œil qu’une des beautés de l’île, une fille nommée Ashley, accompagne l’un d’eux pour une ballade nocturne au bord de l’océan.

Pierre était sans nul doute le plus charmeur. Il savait les mots pour briser la glace et repasser (à la perfection) ses chemises à fleurs ; dont on ne cessait de lui faire des compliments.

Mais, c’était bien Luc qui marchait sous la lune ce soir là. Cela ne lui ressemble pas, s’interrogea Pierre. En effet, son ami s’était toujours désintéressé du parfum sucré de ces petites aventures volages, comme pour mieux préserver, sans altérer, l’essence et la finesse des plus grandes. Trop occupé à éclaircir ce point d’ombre, il ne se rendit pas compte du changement d’humeur ambiant, ils n’étaient plus les bienvenus.

Il regretta amèrement cette inattention passagère lorsqu’il reçut un violent coup de poing dans la tempe gauche. Lui qui avait milité pour une sortie diplomatique n’avait néanmoins pas hésité à s’interposer entre son ami et le propriétaire des lieux ; dans l’espoir que la situation ne s’envenime pas de mal en pis, et pis encore …

Le tout-terrain roula plusieurs minutes sans que l’on échange un seul mot, instinctivement poussé vers le pont permettant de quitter l’île. Ce n’est qu’une fois celui-ci franchis que Pierre laissa enfin s’échapper ses émotions dans une virulente mais confuse colère ; partagé entre animosité, soulagement, et incompréhension.  Puis, d’autres minutes s’écoulèrent, lentes, pesantes, un brin d’éternité.

-          Ca y est, tu t’es calmé ? Luc, resté impassible, les yeux fixés sur la route, comme si il n’existait plus qu’elle, venait de se ranger sur le bas côté ; et coupa le contact.

-          T’es vraiment inconscient, on aurait peut y rester ! Sa voix peinait à retrouver son équilibre.

-          J’aurais du le laisser la traiter de pute ? dit-il, un brin désinvolte.

-          C’est pas ça qui me dérange. Qu’est ce qui t’as pris d’aller fricoter avec l’ex de notre hôte ? Et pourquoi fallait-il défoncer son entrée en partant ? S’agaçant de voir son ami prendre un ton condescendant fort déplacé.

-          Elle avait des faux airs de Marah, tu ne trouves pas ? Et la discussion fut close…

Chapitre 2 :

Luc était arrivé sur le continent Australien 10 mois auparavant. Ce brun à l’allure élancé, idoine, et mensongère avait quelque peu perdu de sa superbe en posant le pied du Boeing 767 - après un voyage turbulent. Sa plus belle veste, toujours portée avec soin, sentait désormais le vomis (et un peu la noix de coco). Passé l’odeur, il ne différait alors guère de ce qu’il était avant son envol : le pur produit de son époque, un écrivain qui ne trouvait pas les mots (ni les maux), un artiste sans œuvre.

A ceci prêt qu’il avait eu la force de partir. Le monde se plierait dorénavant pour lui plaire de peur de courroucer sa détermination nouvelle. Du moins, c’est ce qu’il se plaisait à penser. Car mis devant le fait accomplis, avoir 500 dollars en poche et un sac élimé sur le dos pour refaire sa vie paraissait soudain une toute autre affaire. Et si Fortuna décidait, finalement, de ne pas lui sourire ? Mais la peur de l’échec était  plus grande encore que ses doutes, et il se remit en marche, persuadé que l’avenir appartient à ceux qui poursuivent leur rêve.

Synopsis

 

Trois parties :

I.

Départ : Arrivé à Sydney

Fin : Fuite de Bundy

Résume : Luc voyage pour « découvrir de nouvelles couleurs ». Il pense n’avoir pas assez vécu, et dit du langage et des mots le composant qu’ils ont perdu leurs sens et leurs valeurs car trop et trop mal utilisés.

Rencontre Pierre avec qui il quitte Sydney et s'installe à Bundy. Y trouve une copine (Marah) et un travail dans une ferme de fraises. Il s’afflige de voir une mafia exploiter les travailleurs étrangers et régner sur l’économie locale. Il y participe malgré tout à travers son travail avec un patron l’impliquant de plus en plus dans ses manœuvres.  Il fait le même rêve chaque soir tandis que commence son dégout du monde et des hommes. « C'est la même merde à l'autre bout de la planète ». Devenus méprisant à l’égard de l’argent, qu’il considère avoir gagné sans scrupules, et cherchant à s’en débarrasser il achète un diamant qu’il offre à Marah, elle par laquelle il respire – elle lui rendra à leur séparation. Alors que son désir de s’en aller se dessine en pointillé, Marah arrête de prendre la pilule dans une vaine tentative de le retenir près d’elle. Désormais trahis en plus de son dégoût pour son environnement et pour lui-même, il fuit la vie qu’il s’était construite ici. Pierre et lui décident de séparer leurs routes après une visite sur l’île de Bribie.

II.

Départ : Retour à Sydney

Fin : Départ pour Thaïlande

Résume : Rencontre un Chaman Chilien (Julian) qui l’initie à la médecine traditionnelle d’Amérique du sud (et ses plantes). Notamment le cactus San Pedro qu’il vole dans le Botanic Garden de Sydney et boit sous forme de Wachuma. Commence à vivre dans la nature. Loin du monde des hommes (faisant des cérémonies rituelles et divinatoires), il trouve un certain équilibre. Mais, toujours poursuivi par son rêve il se sent comme incomplet. Peu à peu, il commence à en être certain, il doit se rendre en Asie. Tous les indices de son rêve y concordent. Il quitte la forêt et revient à la civilisation.

III.

Départ : Arrivé à Bangkok

Fin : L'éléphanteau meurt.

Résumé : Découvre Bangkok et les Thaïlandais. Cherche un sens à son rêve. Il se retrouve coincé par de fortes inondations et ne peut quitter une ville frappée de plein fouet par cette catastrophe et ou l’on choisit de volontairement inonder des quartiers pauvres et fortement peuplé pour protéger les zones touristiques des eaux. Un soir, reconnait la fille de son rêve. Elle lui fait signe et l'appel à l'aide (il le croit, c’est elle). Il la suit à travers le marché aux fleurs. Découvre un éléphanteau blessé en train de se vider de son sang, coincé par le courant, une barre métallique lui transperçant l'abdomen. Il pleure avec la petite fille et lui offre le diamant.

Suite à cela, il trouve enfin les mots :

Je ne suis l’enfant de personne, je suis l’enfant du monde, d’un monde.

 

Le temps. Le temps qu’il me reste. Pris partie pour un temps imparti. L’un part, l’autre prend, qui donne ?

 

Heures perdues, Perdues pour toujours. Perdues à jamais. Toujours perdues, jamais retrouvées perdues.

 

Un cœur perdu, un cœur à manquer. Manquer un cœur perdu.

Jamais consolé, toujours manquer.

 

Cœur incomplet. Incomplet de nature. De nature perdue. Perdu de désespoir. Océan de désespoir, d’humaine fonction, d’inhumaine nature.

Humaine fonction, combler le manque, combler le vide. Vider le manque.

 

Telle est la complémentarité des hommes et des cœurs.

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