Folle Jeunesse
Robert Arnaud Gauvain
Folle jeunesse
Alors là, c’ est pas pour critiquer, vous avez d’ailleurs sans doute remarqué que ce n’ était pas du tout mon genre, mais ils ont vraiment l’ air d’ être un cru mémorable. Rien qu’ à voir leurs faciès bovins ça impressionne. Après une demi-heure en leur compagnie, pour avoir la paix, je leur impose un problème de maths indigeste, un exercice avec rien moins que deux opérations. Ca démarre trop fort pour la majorité d’entre-eux, bien fait.
Pendant qu’ils rament en tirant leur langue sur le coin de la bouche pour les plus drôles, je me remémore méthodiquement les classes successives que j’ ai rencontrées depuis une vingtaine d’ années. Je crois sans me tromper que celle-ci va figurer facilement dans le top des trois plus vaines. Je parais amer, mais en fait c’est rassurant de constater que les stéréotypes rencontrés il y a dix ans sont plus que jamais d’actualité. C’est réconfortant de retrouver un cadre familier, d’évoluer en terrain connu, un endroit où les routes qui mènent à l’ignorance crasse et satisfaite sont clairement balisées, où les repérages sont effectués et effectifs depuis longtemps.
Au même titre que le Travail, l’ Argent ou le Libéralisme, la Bêtise est indubitablement une des belles valeurs essentielles du monde moderne. C’est formidable cette faculté qu’elle a de se transmettre de père en fils : cette pérennité est un des fondement de notre société, le pilier de notre monde républicain: Liberté, Égalité, Imbécillité. Les enfants marchent dignement sur les traces ineptes de leurs parents. Quelle constance dans la médiocrité !
Tout de suite, le feu sacré de l’éducation s’embrase à l’ idée que pour les filles, le plus grand événement de cette année scolaire ne sera pas le passage en sixième, mais la gagnante de la nouvelle émission de tévé-réalité-chanson, et pour les garçons, la plus grande découverte émotionnelle de leur CM2 ne sera pas les chambres à gaz mais le nouveau salon du tuning. Dussiez-vous vous outrager pour ce négativisme, honteux pour un professionnel de l’ enfance, j’en rougirais si je n’avais que ça à foutre. Ca tombe bien, tous ces gamins rendus débiles par la télévision, les jeux vidéos ou les équipementiers sportifs, je n’en ai vraiment rien à foutre pour la simple et bonne raison que ce ne sont pas les miens et je croise les doigts jusqu’à ce qu’ils blanchissent pour qu’ aucun d’entre-eux ne soit jamais la chair de ma chair et la connerie de ma connerie.
Mais quand même, pauvres gosses, prisonniers de la complaisante apathie intellectuelle et culturelle de leurs minables géniteurs. En même temps doit-on leur en vouloir pour autant ? Ce ne sont pas les vrais responsables de toute cette perdition culturelle. Plutôt les victimes -consentantes hélas-, d’ un consortium du complot, ourdi en des offices et officines multiples par des exécuteurs de basses besognes, puis relayé par des exécutants aux bas salaires. Une civilisation des loisirs atteint son apogée lorsque la communauté humaniste est réduite aux acquêts. Tant pis pour ceux qu’elle exclut. Ils comptent pour des clopinettes, ça tombe bien, c’est ce qu’on les paye… quand on les paye. Et on ne peut même pas espérer que ces indigents se révoltent contre toutes les Bastille du monde, trop occupés, ces vulgaires, à se démener pour nourrir leur marmaille, sûrement surnuméraire, donc superfétatoire, souvent superchiante dans nos écoles…
Les lendemains qui chantent reportés à la semaine des quatre jeudis, le grand soir n’aura pas lieu cette nuit car y’ a foute balle à la télé. La disparition programmée de la vigilance souveraine des peuples, lentement négociée en échange de biens de consommation accessibles au plus grand nombre, permet aux gouvernants toutes les audaces. Le confort consumériste aurait-il ainsi tué toute velléité de revendication politique ou sociale ? De nos jours, il n’est plus besoin de construire d’ antiques arènes romaines pour donner à la populace son pain et ses jeux, un moderne centre commercial suffit. Le petit livre rouge troqué contre un téléphone portable.
… Et c’est ensuite à l’ école de lutter désespérément contre le poids de cet embrigadement oppressant, ce gigantesque fourneau destiné à couler un peuple dans un même moule ovin, sans espoir de succès, les élèves portant sur leur frêles épaules le lourd cartable d’ un héritage d’ encouragement à la paresse intellectuelle, la seule qui est inexcusable.
Heureusement, il existe quelques exceptions, même dans cette classe perfectible (c’ est rien de le dire !). Elles sont malgré tout très stéréotypées : quatre ou cinq gosses qui ont compris l’ essence même de l’ éducation et se démènent, avec des résultats inégaux, pour en profiter, plus deux ou trois enfants d’immigrés, qui, bien que tentés par le troupeau braillard des casquettes à l’envers, font honneur –et leurs parents également- à ce que des esprits malintentionnés nomment leur race. Pour moi, ces étrangers me sont bien moins étrangers que ces bons petits Français de souche, qui ne sont pas Français comme Maupassant, Brassens ou De la Tour, mais Franchouillards comme Paris-Match, TF1 et Castaldi.
Je ne fais pas partie de ce pays-là, cette nation n’est plus la mienne, cette patrie ne vaut pas une seule seconde que le moindre petit imbécile ne meure pour elle sur son sol ombragé, encore moins dans n’importe lequel des déserts brûlant où l’ humanisme fond sous la chaleur des bombes. Cette France que j’aurais toujours adoré aimer, je souffre souvent de me complaire à la détester.
Je paraphrase en deux temps un auteur plus talentueux que votre serviteur, car désormais, ceux n’osant pas dire non dépassant en nombre considérable ceux qui osent dire non, la France est une nouvelle fois rendue au poker en ligne et à Youtube qui sont les belotes et les Tino Rossi de notre temps.
J'ai failli passer à côté de ce texte là, j'en ai un manque rétrospectif!
· Il y a presque 14 ans ·Sabine, merci de notifier aussi les tiens!
pointedenis
Une analyse qui me semble juste et honnête de notre société médiatisé à outrance, perfusée des innombrables conneries qui remportent les suffrages...
· Il y a presque 14 ans ·leo