Francine connection

petisaintleu

Je me suis fait engueuler par mon épouse. Elle souhaitait préparer une tarte aux pommes et elle n'a pas voulu me croire quand je lui ai dit que j'avais fait cinq supermarchés sans trouver un paquet de farine.

Je n'habite pas très loin d'un quartier chaud. Depuis un mois, je voyais passer des cohortes de grosses berlines allemandes. Les conducteurs me dévisageaient non pas avec leur regard de haine habituel mais d'un air qui m'aurait presque soutiré une larme de compassion. Je compris que pour eux aussi, les temps étaient durs. En fouillant tous les placards, j'ai réussi à trouver un fond de paquet de Francine coincé entre un presse-purée et un gratte ail qui n'avait pas dû servir depuis la chute de l'Empire romain. Je l'oubliai, certain qu'il ne suffirait pas à confectionner ne serait-ce qu'une tartelette.

Un soir, j'étais confortablement installé dans mon canapé. J'aime dans la très grande majorité des cas regarder des reportages scientifiques ou des récits de voyage. Je pense que le destin me soit venu en aide lorsque, par le plus pur des hasards, j'optai pour Mon père, Francis le Belge. Pour être honnête, je m'étais endormi devant le programme. Allez comprendre les arcanes de la pensée. Je me suis réveillé d'un coup avec l'évidence que fortune était faite.

J'habite à trois kilomètres de l'Outre-Quiévrain. Ceci explique sans doute la raison pour laquelle mon système neuronal a fait le lien entre le baron de la drogue et la boulange. J'ai commencé petitement. On ne se lance pas comme cela dans le deal. Cela demande un minimum d'organisation et, plus encore, d'avoir une bonne résistance au stress. Dans ma vie d'avant, je devenais liquide au moindre contrôle de police alors que je n'avais à me reprocher que mon permis de conduire légèrement écorné.

J'ai commencé avec les cinquante grammes qui me restaient à la maison. En quinze minutes, les cinq doses s'écoulèrent comme des petits pains. J'en étais à compter le montant de mes transactions quand on frappa à ma porte. Quand j'ouvris, mon sang ne fit qu'un tour. Je reconnus immédiatement l'un des loulous qui passait régulièrement devant chez moi au volant d'une Audi R8 un joint au bec. Il était souriant, poli et s'exprima de manière urbaine, bien loin de ce que l'on peut imaginer du langage des cités.

Cher ami, me dit-il, vous m'épatez. J'ai eu écho de votre petit trafic. Mais, voyez-vous, on ne s'improvise pas professionnel au pied levé. Personnellement, il m'a fallu des années pour monter les échelons et me construire un réseau. Et un accident est si vite arrivé, n'est-ce pas ? Je suis certain que nous pouvons nous entendre en bonne intelligence. Combien en avez-vous ?

J'y suis allé au culot. Je lui ai répondu que j'en possédais vingt kilos planqués hors de chez moi.  Il sortit sa calculette. Après un rapide estimation, il me proposa un 50/50, considérant que l'on pouvait écouler la came à 5 euros les dix grammes. Il me mettait à disposition ses petites mains, des ensacheurs aux charbonneurs de treize ans. Il me fit même miroiter qu'à l'issue du confinement, quand les affaires reviendraient à la normale, il pourrait envisager de prolonger notre collaboration. L'économie française était exsangue, mes perspectives professionnelles compromises. Je me dis que plutôt que de tirer la langue, une reconversion n'était pas à négliger.

Il n'a pas été trop compliqué pour m'approprier les quantités que j'avais affirmé être en ma possession. Il est très rare que les boulangeries se fassent braquer et qui auraient l'idée, hormis les rats ou des émeutiers de la faim sortis d'une faille spatio-temporelle de venir les dévaliser ? À trois heures du matin, je me suis introduit dans celle située à deux pâtés de maisons de mon domicile. En perspective de mes futures affaires, j'ai subtilisé un sac de farine blanche et un autre de blé dur dont la couleur m'a fait penser à du brown sugar.

Mon acolyte est extrêmement satisfait. S'il a perdu 30 % de sa clientèle en volume, il s'avère que ce commerce soit deux fois plus rentable que l'héroïne. Il envisage sérieusement sa reconversion. Il a même contacté des mafieux albanais spécialisés dans le détournement de poids lourds. Le vol de deux d'entre eux suffiraient à faire notre bonheur.

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