Freddy

polgara

Freddy longeait la rue, la pluie dégoulinait le long de sa nuque. Il aimait bien ce temps, il était plus tranquille, à marcher seul dans la rue. Il leva la tête et regarda les immeubles avec leurs fenêtres allumées. Lui aussi aurait aimé être chez lui, au chaud, à siroter un verre en regardant les infos. Il aimait bien ça les infos, tous ces morts, tous ces désastres, ça le mettait de bonne humeur…Mais ce soir, il n’avait pas le temps de traîner chez lui…

Freddy rentra sa tête dans ses épaules, en plus de la pluie, le froid lui glaçait les os. Il accéléra le pas, il avait hâte d’arriver au petit parc situé au centre de la ville. Il aimait bien ce petit parc, un peu de verdure au milieu de la ville, cette satanée ville, toujours bruyante, toujours grise et impersonnelle. Oui ce petit parc était son terrain de jeux préféré, toujours plein de monde, d’enfants avec leurs parents, de jeunes filles qui rigolaient entre elles. Freddy aimait bien les jeunes filles, elles étaient tellement plus agréables à tuer…

Freddy allait au parc une fois par mois environ, quand le besoin devenait trop fort, toujours à la nuit tombée. Il s’asseyait sur un banc et attendait quelques minutes, quelques heures jusqu’à ce qu’il trouve la proie idéale. L’attente était essentielle, Freddy la savourait, elle faisait partie du rituel, elle lui permettait de se concentrer. Le plus souvent Freddy se contentait d’un clochard, souvent alcoolisé ou raidi par le froid, ils étaient simples à abattre et ne se défendaient pas. Il lui était arrivé de rencontrer des SDF récalcitrants. Il aimait bien quand sa proie luttait pour sauver sa vie, cela mettait un peu de piquant.

Parfois, une jeune fille traversait le parc, à pas rapides. Dans ce cas, Freddy sentait sa peur, il l’observait et la jeune fille dans la nuit se sentait suivie et accélérait et c’est là que Freddy plongeait sur elle et la tuait en quelques coups rapides. Freddy aimait quand une jeune fille se présentait, oui il aimait bien ça…

Freddy avait une prédilection pour les couteaux. Il aimait la sensation d’une lame qui s’enfonce dans le corps de sa victime. Il aimait également voir le sang coulé et regardait le visage de sa victime pâlir jusqu’à ce que la vie s’y échappe. Mais parfois, il aimait le changement et une simple ficelle lui suffisait. Dans ce cas, il aimait écouter le dernier souffle de sa victime.

Après chaque meurtre, quand le corps avait été découvert, Freddy traversait la rue et se rendait au libraire de son quartier. Le buraliste le saluait, lui demandait des nouvelles de sa mère et Freddy repartait avec le journal du jour. Freddy aimait bien collectionner les articles qui parlaient de ses meurtres. Il trouvait pourtant que les journalistes ne mettaient pas assez en valeur ses crimes.

Freddy arriva au parc et marcha quelques minutes. Il repéra un banc loin d’un réverbère et s’y assit. La pluie continuait de tomber et Freddy espérait que sa prochaine victime arriverait rapidement. Il arrivait parfois que personne ne passe surtout ces derniers temps, le parc avait mauvaise réputation depuis que des gens avaient disparus. Alors Freddy avait espacé ses visites et consentait même parfois à chasser dans d’autres endroits de la ville.

Freddy revenait pourtant toujours au parc, il aimait son atmosphère, son côté familial, il y allait d’ailleurs avec sa mère quand il était enfant. Freddy se figea. Il entendait des pas…des talons. Freddy sourit, une femme traversait le parc, sous la pluie qui formait un rideau et le dissimulait…elle ne l’avait pas vu. La femme passa à quelques mètres de lui, il attendit qu’elle fût à quelques mètres de lui et se leva. Freddy sortit un couteau de sa poche et la suivit. Sentant quelque chose la femme accéléra le pas et finit même par se retourner. Elle le vit et se mit à courir, Freddy la rattrapa sans mal et l’immobilisa à terre. La femme ne tenta pas de crier, paralysée par ce qu’il lui arrivait. Par précaution, Freddy lui mit la main devant la bouche et lui enfonça le couteau dans le ventre. La femme écarquilla les yeux, comme surprise et Freddy enfonça le couteau un peu plus, jusqu’à la mort.

Freddy était satisfait, il pouvait rentrer chez lui. La pluie tombait toujours, imperturbable. Le surlendemain, Freddy alla chercher le journal, remonta chez lui, prit son petit déjeuner. Freddy aimait les lendemains, il se sentait serein. Il décida de ressortir et c’est alors qu’il les vit, deux traces de pas sur son palier, comme si quelqu’un avait attendu devant chez lui pendant la nuit…

Freddy n’aimait pas la sensation de ces deux pas sur son palier. Pourtant cela ne signifiait sûrement rien, un voisin peut être qui était rentré sous la pluie hier. Il décida finalement de rester chez lui et se remémora la nuit précédente. Freddy était sûr qu’il était seul avec cette femme la nuit dernière. Il ouvrit pourtant le journal à la recherche de l’article sur la femme qu’il avait tué. Freddy parcourut l’article, 46 ans, célibataire, sans enfants, la femme n’avait rien de particulier, ne laissait pas de famille dans le malheur. Bon pas de quoi s’inquiéter…

Freddy sortit le lendemain rendre visite à sa mère. Freddy aimait bien sa mère. Elle l’avait élevé toute seule et Freddy n’avait jamais posé de questions sur son père. Si cet homme n’avait pas chercher à le connaître il ne voyait pas pourquoi lui le ferait. Freddy arriva chez sa mère, femme de 56 ans, vieillie prématurément par les soucis que son fils lui apportait. La mère de Freddy savait que son fils cachait quelque chose mais refusait de lui poser des questions. Elle ne voulait pas savoir. Petit déjà, elle le trouvait inquiétant, pas comme les autres enfants. Il était souvent seul et les seuls enfants avec qui il se liait finissaient toujours par le repousser.

Freddy vit que sa mère n’allait pas bien. Cette nuit, quelqu’un avait mis le feu à sa boîte aux lettres. Réveillée en pleine nuit par ses voisins qui avaient été alertés les pompiers, elle n’avait pas osé réveillé Freddy car elle connaissait ses réactions parfois impulsives. Freddy s’inquiéta, sa mère vivait en centre-ville depuis 20 ans et n’avait jamais eu de soucis. Freddy pensa aussitôt à ses activités nocturnes. Y aura-t-il un lien ? Un témoin ? Non Freddy refusait d’y penser. Il resta avec sa mère toute la journée, taciturne, il n’arriva pas à la rassurer, trop occupé à réfléchir : avait-il commis une erreur, laissé une preuve sur place ?

Arrivé chez lui, Freddy se figea. Sa porte d’entrée était entrouverte, hors il était sur de l’avoir fermé à clef en partant. Freddy entra lentement chez lui, il s’arrêta et écouta. Son instinct de tueur lui dit qu’il n’y avait personne. Il parcourut chaque pièce. Quelqu’un avait fouillé son appartement, toutes ses affaires étaient retournées. Freddy se précipita dans son placard…ils avaient disparu, ces couteaux, ceux qu’il utilisait pour tuer. Freddy sentit son cœur battre violement. Freddy était très énervé, quelqu’un avait osé s’introduire chez lui. Quelqu’un savait donc pour ses meurtres et  avait décidé de ne pas appeler la police.  Les traces de pas, la boîte aux lettres de sa mère, le vol de ses couteaux, quelqu’un voulait lui faire savoir qu’il savait et peut-être même se venger.

Freddy devait réfléchir, quelqu’un devait l’avoir vu ou quelqu’un savait pour la femme du parc ou peut-être même une victime plus ancienne. Freddy était pourtant sûr qu’il n’avait laissé aucune trace mais quelqu’un l’avait peut-être vu. Alors comment ? Freddy paniqua, il sortit précipitamment de chez lui et courut presque jusqu’au parc. Il retourna sur la scène du crime, revécut chaque détails, non il n’avait rien laissé au hasard, pas pour la femme de la dernière fois en tout cas. Freddy se calma peu à peu, il attendrait de voir la suite des évènements.

Freddy devenait nerveux. Les semaines qui se sont écoulées ont été dures pour lui. Les évènements ne s’étaient pas calmés comme il l’avait espéré et Freddy n’aimait pas ça. Non, Freddy n’aimait pas quand les choses lui échappaient. Cela lui est déjà arrivé une fois, à son premier meurtre. Il avait choisi un sans-abri installé dans une ruelle pour la nuit. Enfoui sous des couvertures Freddy pensait qu’il était faible et aviné mais quand il avait voulu planter son couteau, le SDF s’était réveillé d’un coup et lui avait sauté dessus, le frappant encore et encore et c’est avec un coup de chance que Freddy avait réussi à le planter et il l’avait achevé maladroitement avec beaucoup de souffrance pour l’homme et pour Freddy qui était rentré chez lui couvert de sang…

Freddy avait perdu le contrôle de ses dernières semaines. Oui, il y a deux semaines, il avait reçu un coup de fil d’une voisine de sa mère. Elle avait été découverte morte dans son lit, lardée de nombreux coup de couteau, 26 coups de couteaux. Au long de sa carrière Freddy avait tué  26 personnes… La police n’avait aucune piste, pas d’empreintes, pas de trace d’effraction…Et depuis une semaine, dès qu’il rentrait ses meubles avaient bougé, sa porte était ouverte et il avait toujours l’impression d’être épié, observé. Freddy ne se sentait plus chez lui…

Freddy décida de sortir en ville. Il avait besoin d’un verre ce soir. Il traversa la ville d’un pas rapide, avec l’impression qu’on le suivait. Sur son passage, les réverbères de la ville s’éteignaient au rythme de ses pas. A chaque pas, il avait l’impression que la ville se refermait sur lui, le fuyait, s’éloignait de lui. Plus forte que tout, l’impression d’être suivit encerclait son être. Il se retourna et il la vit, une ombre, non plusieurs ombres qui s’insinuaient dans les rues, qui l’encerclaient. Freddy était décontenancé, d’habitude, c’est lui qu’on craint, c’est lui qu’on fuit et là les rôles étaient inversés.

Après avoir erré plusieurs heures, Freddy rentra chez lui. Il devait absolument réfléchir à tout ça. La peur et l’envie de se rendre au parc se mélangeaient. Freddy avait envie de tuer, il sentait ce besoin impérieux qui devenait plus fort que tout. Freddy devait aller au parc. Malgré tout, il hésitait, lui, le prédateur devait avouer sa peur. Freddy repensa aux ombres et hésita, il ne se sentait pas capable de les affronter une seconde fois. Comme une drogue, l’envie de tuer se fit plus forte.

A son premier pas dans la rue, Freddy savait que quelque chose n’allait pas. Les ombres étaient revenues, l’impression qu’elles n’attendaient qu’une chose, qu’il sorte, le frappa aussitôt. A chaque croisement de rue, à chaque feu, une ombre s’ajoutait à une autre et plus il avançait et plus les ombres devenaient précises. Freddy fut frappé, les ombres prenaient un visage humain et Freddy reconnut alors certaines victimes qui avaient succombé sous son couteau. Freddy ne les reconnut pas toutes, depuis 20 ans qu’il pratiquait ce « métier » il ne se rappelait pas tous ceux qu’il avait tué, mais il savait.

Freddy arriva en courant au parc. Il fit rapidement le tour et constata qu’il n’y avait personne malgré le temps agréable de la journée. Pourtant il ne fut pas surpris, en quelque sorte les ombres l’avaient conduit ici, l’avaient invité. Freddy suait abondamment, il attendait. Il observa autour lui : une de ses victimes était postée à chaque sortie du parc. Freddy était encerclé. Au centre du parc, Freddy sentit son cœur se calmer. Après toutes ses années, il avait trouvé plus fort que lui. Il n’avait plus rien à faire.

Freddy comprit. La ville ne voulait plus de lui. Elle le chassait. Freddy était triste, il aimait cette ville, elle l’avait vu naître : la première fois qu’il avait tué quelqu’un, elle l’avait vu évolué et s’améliorer quand il chassait ses victimes. Pour Freddy, elle avait été son complice depuis le départ. Freddy recula, les ombres prenaient le dessus, l’encerclant. Et Freddy vit leurs visages, le visage de toutes ses victimes, et chaque visage lui rappelait un moment de sa vie. Le cercle des morts se brisa et une femme s’avança. C’était sa dernière victime, la dernière femme qu’il avait tué. Elle s’avança vers Freddy, lui présenta un couteau et Freddy   sut alors qu’il n’avait plus le choix.

Freddy se planta le couteau dans la gorge et regarda le sang coulé avec un sourire…

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