Elisabeth
alichonez
Les semaines s'étaient écoulées comme des heures pour Élisabeth. Les dernières vacances, avant une vie active bien remplie, avaient un goût bien particulier. Entourée de ses amis, Maggie, Hélène et Léon, sur cette plage dorée, elle n'avait guère vu le temps passer. Mais, le moment tant redouté de se dire au revoir était arrivé. Assise dans l'avion qui la ramenait chez elle, Élisabeth regardait d'un oeil nostalgique, les dernières photos prises. Jeunes diplomés, chacun d'eux avait trouvé un emploi intéressant. Le prix à payer était l'éloignement. Ses amis habitaient dorénavant des villes lointaines. Élisabeth n’avait pas eu besoin de quitter la maison familiale, elle travaillait à côté.
Arrivée à l'aéroport, elle n'eut aucun mal à prendre le taxi. L'endroit était quasiment désert. Le chauffeur la conduisit rapidement à destination. Il traversa la ville, plongée dans la pénombre à vive allure.
« Depuis la tempête, les pannes électriques sont nombreuses et les rues sont moins sûres, expliqua-t-il à Élisabeth. » Le quartier résidentiel abritait de nombreuses habitations cossues. La villa familiale était déserte. Ses parents, jeunes retraités, prolongeaient certainement leur tour du monde. Elle monta directement dans sa chambre et après une bonne douche, s'endormit. Élisabeth ignorait encore toutes les horreurs qui se terraient dans l'ombre.
Au milieu de la nuit, un hurlement la réveilla en sursaut. Élisabeth, inquiète, écoutait la nuit, mais seule sa respiration troublait le silence. « C'était sûrement dans ton rêve, rendors-toi vite, pensa-t-elle, avant de refermer les yeux. » Un second hurlement déchira la nuit. Cette fois, ce n'était pas un rêve. Les hurlements provenaient du pavillon en face. Discrètement, elle observa l'extérieur, cachée derrière ses rideaux. Tout le voisinage était plongé dans l'obscurité, même les lampadaires habituellement allumés, ne l'étaient plus. Une fois habituée à la pénombre, Élisabeth aperçut la petite fille des voisins qui courait dans leur jardin. Elle était poursuivie par de petites ombres qu'Élisabeth distinguait à peine. « Pitié, aidez-moi ! hurlait-elle. » Ses cris et ses pleurs trahissaient sa frayeur et son désespoir. La petite fille grimpa désespérément à un arbre, pour échapper à ses poursuivants. En jetant des coups d'oeil furtifs, Élisabeth essayait de comprendre ce qu'elle fuyait. Dans la précipitation, la jeune fille glissa de l’arbre et en quelques secondes, s'écrasa sur la chaussée humide. Le craquement des os brisés provoqua un haut-le-coeur à Élisabeth, qui ne put s’empêcher de vomir. La petite fille respirait encore, ses pleurs n’étaient plus que des gémissements. Élisabeth demeura choquée, prostrée, tremblante, la tête entre les jambes. Au loin, l'écho des sirènes se rapprochait. Un bruit de verre cassé provenant du salon la sortit de sa torpeur. Péniblement, elle se dirigea vers la porte et constata qu'il n'y avait pas de lumière dans sa chambre. Le couloir qui menait à l'escalier du salon était également sombre. Par la porte d’entrée ouverte, la lumière extérieure projettait une ombre dans le salon. Élisabeth n’était pas seule. Sur la pointe des pieds, elle s’approcha, plaquer au mur. Placée au-dessus des marches, elle pouvait observer le salon sans être vue. Une silhouette de grande taille, d’une maigreur extrême pénétrait lentement chez elle. Ses longs cheveux noirs cachaient son visage et ses bras squelettiques descendaient jusqu'aux mollets. Lorsque leurs regards se croisèrent, Élisabeth sut que sa vie était en danger. Elle devait fuir. Les yeux vitreux profondément enfoncés dans le visage squelettique émettaient une lueur effrayante. De la bouche ouverte jusqu’aux oreilles, pendait un énorme filet de bave. L’ombre squelettique fonça brusquement sur elle. La peur au ventre, Élisabeth fit demi-tour et couru de toutes ses forces vers sa chambre. Le couloir était totalement obscur. Le bruit de pas dans l’escalier indiquait que la chose se déplaçait rapidement. Le couloir n’avait jamais paru aussi long à Élisabeth. Elle n'arrêtait pas de courir. Dans son dos, les grognements se rapprochaient à toute vitesse. Elle pouvait entendre le bruit des ongles racler les murs. Les larmes aux yeux, elle accéléra pour sa vie. Elle hurlait et pleurait parce que la fatigue la gagnait. Ses mains tendues vers l’avant rencontrèrent enfin la porte de sa chambre, qu'elle verrouilla immédiatement derrière elle. Avec violence, la porte fut secouée plusieurs fois, mais résista. Élisabeth s’accroupit dans un coin de sa chambre tremblante de peur. Sa respiration était bruyante et saccadée. Dans sa frayeur, elle s’était urinée dessus. Mais ce détail importait peu. Les coups dans la porte se faisaient de plus en plus pressants. Elle ne voulait pas mourir. À tâtons elle chercha son téléphone portable, lorsqu’un pan de la porte vola en éclats. Élisabeth hurla et se précipita vers la fenêtre. Son pied glissa dans la flaque de vomi encore chaud et elle s’étala sur le sol. La violence des coups l’effrayait de plus en plus, la porte ne tiendrait pas longtemps. Toute tremblante, elle enjamba la fenêtre. Du premier étage, la distance pouvait paraître impressionnante, mais Élisabeth n'avait pas peur. Durant ses fugues d'adolescente, elle avait très souvent expérimenté le parcours. Instinctivement, ses doigts retrouveraient les points d'appui. La chose qui la poursuivait défonça la porte. De près, elle pouvait voir les mamelles séchées et ses organes génitaux pendants. Cette chose était une femme dont les membres ressemblaient à des branches desséchées. Avec fureur, elle fonça sur Élisabeth qui se jeta dans le vide. La main osseuse planta ses ongles dans le bras, la deuxième main essaya de lui saisir le visage, mais ne réussit qu’à arracher une touffe de cheveux. Élisabeth se débattait comme une forcenée, mais ses forces l’abandonnaient. Ervin et son coéquipier Thomas sortirent de la voiture. La rue indiquée était sombre et déserte. L’ambulance n’allait pas tarder à arriver. Thomas alluma sa torche et inspecta les environs. Il trouva le cadavre d’une petite fille. « Regarde, elle est certainement tombée de l'arbre. — Pauvre gosse, elle est salement amochée, répondit Ervin, en s’approchant du corps. » À ce moment, ils entendirent des hurlements dans la villa derrière eux. Le vieux Ervin demanda des renforts avant de foncer, arme au poing. La porte d’entrée était grande ouverte. La maison plongée dans la pénombre était éclairée de l'extérieur, par le gyrophare. Thomas suivait lentement Ervin. Ils se dirigeaient vers la cuisine, d'où provenaient des bruits de mastication. Arme au poing, il était prêt à faire feu. Lorsque qu’il éclaira la cuisine, Thomas contempla la scène avec horreur. Il y avait du sang partout. Au centre de la pièce, une jeune femme baignait dans son sang. Autour d’elle, une dizaine de bébés la dévoraient. Ils étaient squelettiques et difformes. Leur grosse tête était boursouflée par endroits. Leurs yeux globuleux et leurs petites dents pointues effrayaient Thomas. Tandis qu’ils se disputaient des lambeaux d’intestins, l'un d'eux s'échinait à briser les doigts du corps. Le plus grand quitta le groupe et se rapprocha d'Ervin. Malgré ses membres courts et sa tête volumineuse, il se déplaçait vite. Sa peau luisante, se décollait par endroits. Un morceau de cordon ombilical pendait encore de son ventre. À chaque mouvement, il laissait une traînée gélatineuse et mal odorante. Tous les autres quittèrent leur repas, pour le suivre. Thomas étouffa un cri, lorsqu'il aperçut une cinquantaine de ces choses se jeter sur le corps abandonné. Ervin se précipita vers la sortie en courant. Thomas essaya de le suivre, mais Ervin était plus rapide que lui. Derrière lui, les petites choses, haletaient et poussaient des rires aigus. Dans sa fuite désespérée, Ervin manqua le dernier virage et glissa sur un tapis. Thomas continuait de courir, devant lui, son coéquipier se leva avec peine. Il avait peur d’être dévoré, son seul espoir était de rejoindre la voiture. Il aperçut trop tard le canon du pistolet de Ervin, qui fit feu sans hésiter. Thomas sentit une vive douleur dans sa cuisse et s’écroula. Son coéquipier quitta la villa sans se retourner. « Ervin, hurla-t-il, avec rage. » Au contact des petits doigts chauds et visqueux avec son pantalon, il frissonna. La petite chose essayait désespérément de le mordre. Le talon de sa botte s'abattit sur le crâne cartilagineux et s'y enfonça sans résistance. Le sang et les morceaux de cerveau giclèrent partout. Il fut rapidement assailli par le reste de la horde. Avec son arme à feu, il explosa autant de crânes qu’il put avant d’être totalement submergé. Sa vision se troubla à cause du sang et des doigts avides de déloger les yeux de leurs orbites. Il put apercevoir la gigantesque silhouette blanche aux longs cheveux noirs, avant qu’elle n’écrase sa tête. Ervin verrouilla la voiture. De son fauteuil, il voyait les nombreux bébés cannibales. Toutes les maisons alentour étaient infestées. Autour du corps de la petite fille, tombée de l’arbre trois bébés tapaient sa tête contre le sol pour en faire sortir le cerveau. La scène le choqua au point qu'il ne put s'empêcher de vomir. Il sentait l'alcool remonter son œsophage, il sentait l'alcool lui brûler la gorge, il sentait l'alcool ressortir par sa bouche et par son nez. Sa tête tournait de plus en plus, les vertiges troublaient sa vision. Les sièges et le volant étaient couverts de grumeaux encore chauds et visqueux. Une femme géante, squelettique et pâle sortit de la villa où il avait sacrifié Thomas. Elle était voûtée et de longs cheveux noirs pendaient de son crâne. Elle était suivie par une centaine de bébés. En panique, il tourna frénétiquement la clé pour démarrer la voiture au point de la casser. Tous les bébés cannibales fonçaient sur la voiture mais la femme ne bougeait pas. Ervin, arracha tout ce qu’il put sous le tableau de bord. Avec les câbles mis à nu, il réussit à démarrer la voiture. Un dernier coup d’oeil dans le rétroviseur l’horrifia. La femme était là. Il pouvait contempler en détail sa mâchoire béante et les dents cassées desquelles pendaient des lambeaux de chair pourrissants. Ervin enfonça la pédale aussi fort qu’il put. Sa seule obsession était de quitter cet endroit. La voiture avalait les kilomètres à toute allure. Ervin réalisait l’ampleur du mal qui rongeait la ville. Partout dans les rues, il voyait le même spectacle. Des centaines de monstres cannibales dévoraient des cadavres. Déconcentré par cette vision d’horreur, il aperçut au dernier moment, une femme géante qui traversait la rue. Elle était tout aussi maigre, à l’exception de son très gros ventre. Ervin dérapa, mais ne put éviter la collision et la heurta de plein fouet. La violence du choc fut telle que le pare-brise se brisa. Les débris de verre tranchants perforèrent le ventre dont le contenu se déversa sur et dans la voiture. Au milieu de l’amas visqueux de viscères, il avait une trentaine de foetus. Ervin se précipita hors de la voiture. Au loin, deux ombres blanches fonçaient sur lui. Sa main chercha son arme, en vain. Elle avait certainement glissé durant sa fuite. Les larmes aux yeux, il courait aussi vite que le permettaient ses jambes. Les bébés cannibales traînaient les cadavres dans les égouts. Peut-être peuplaient-ils les égouts. Ervin n’eut pas le temps de poursuivre sa réflexion. Déjà, une main puissante soulevait sa jambe à plusieurs mètres du sol. Au même moment, d’autres mains saisissaient ses bras. Chacune des deux géantes tirait les membres de son côté. Malgré ses supplications, Ervin fut démembré et dévoré à quatre heures du matin. Lorsque l’hélicoptère de la MKNews survola la ville à dix heures du matin, les rues étaient désertes. Toute la ville s’était éteinte en une nuit. Il y avait des traces de sang partout et il ne restait aucun survivant.