Full Metal Jacket
ben31
Full Metal Jacket
Fini le coup de feu. Il est 21h30 au vidéoclub de la colline. Je me crois enfin seul lorsque je perçois un bruit venant du fond du magasin. Celui-là, je l’ai pas vu rentrer. Ça siffle. Une fois. Deux fois. Trois fois. Je décide d’aller voir. A ma grande surprise, je découvre un énorme bidasse, la cinquantaine, accroupi devant l’étagère des comédies britanniques. Celui-là c’est sûr, il a pas inventé le travelling.
« Bonsoir. Brigadier Delabaleine ! qu’il me dit, comme ça, en tournant la tête vers moi. Vous n’auriez pas Love Actually ? »
Je m’approche et lui montre du doigt la jaquette lorsqu’il me demande, toujours accroupi :
« Et Coup de foudre à Nothing Hill ? Je prends les deux, j’arrive jamais à choisir... Hugh Grant est vraiment mon acteur préféré ! Y paraît que la reine va l’anoblir… Il a un tel pouvoir sur les femmes ! Son regard si doux, son air si fragile, si gauche, sa timidité maladive, sa mèche qui boucle sur le front, ses cheveux légèrement ébouriffés, son anglais aristocratique… un vrai tombeur ! Julia, Andie, il a embrassé les plus belles…
— Tu sais qu’en tant qu’abonné tu as droit à un troisième film offert.
— Oui je sais mais j’ai pas d’idées. A part ces deux-là, je connais pas grand-chose.
— Pourquoi pas Full Metal Jacket ? Ça c’est un bon film...
— Je sais pas. Ça dépend… C’est avec Hugh Grant ?
— Non c’est pas son genre. C’est un film de guerre.
— Merci mais je préfère pas. Ça va me rappeler le boulot.
— Tu aimes la musique ?
— Plutôt oui. Je fais du tambour à la caserne.
— Alors prends Cabaret... ».
Je lui dis ça tout en montrant l’affiche derrière le comptoir. Il se tait. Il fait signe que non. Cette fois, c’était sûrement ses souvenirs de permission qui refaisaient surface… J’aurais pas dû lui dire pour le troisième film. Il me lâche plus. Je sais pas quoi lui trouver. Il est buté sur cet acteur. 4 mariages et un enterrement ? Bien sûr que j’y ai pensé mais c’est déjà loué. Quand soudain… Une idée…
« J’ai plus de films de Hugh mais j’en ai de son père Cary ».
Les deux ne sont pas plus apparentés que le jazzman de La Nouvelle Orléans et l’escaladeur de la lune, mais notre gladiateur en treillis mord à l’hameçon. Je continue :
« Cary Grant, en matière de séduction, c’était même la classe au-dessus. Il a joué avec Marilyn, Marlene, et Grace. Excuse du peu. C’est pas le genre ébouriffé mais il est beau quand même. Sa grande particularité, c’est son menton en fesses d’ange. »
Soudain, la porte de la boutique s’ouvre brutalement pour laisser aboyer une horde sauvage :
« Bon alors tu te magnes Bébert ? Tu les prends ces films ? Ta quatre fromages va refroidir. Viens, on rentre à la maison. ».
La discussion des deux cinéphiles tourne court. Le brigadier plonge une paluche dans une poche et me lâche une pleine poignée de ferraille sur le comptoir :
« Gardez la monnaie ! qu’il déclare, magnanime.
Sur ce, il évacue le vidéo club, trois chefs d’œuvre de la famille Grant sous le bras.