Gelato al limon

camembert

Une rencontre attachante.

Cyril se leva tôt, et de bonne humeur, ce qui était très inhabituel. Il but son café en lisant les nouvelles sur son écran d'ordinateur. Un message l'attendait sur msn; «Bonjour, Cyril, à tout à l'heure». Clara. Elle n'avait pas quitté ses pensées de la nuit. C'était comme s'ils avaient dormi ensemble. Il passa toute la matinée à se préparer. Il voulait se montrer sous son meilleur jour. Il fit une centaine de pompes, et autant d'abdos, pour être en forme et évacuer le stress. Il passa une chemise, un pantalon de cuir, des boots à bout pointu. Il ne s'habillait que de noir, habitude qu'il avait prise durant son ancien métier d'Architecte. L'homme de l'Art, l'homme en noir. Les rares fois où il avait accepté une «promenade dans Paris» en compagnie d'une femme, cela c'était traduit par «faire les magasins», chose qu'il avait en horreur. Fin prêt, il enfourcha sa moto et se rendit à la boutique de Clara, dans le sixième. Il se gara dans un de ces emplacements réservés au stationnement des deux-roues qu'il détestait, pour s'épargner les trente-cinq euros de l'amende habituelle. Il n'y a pas si longtemps encore, il était possible de stationner exactement devant l'endroit de son rendez-vous, dans un de ces recoins de trottoir dont Paris est largement pourvu, de façon à ne pas déranger la circulation des piétons. Mais ce n'était dorénavant plus permis; les parisiens avaient considéré que les trottoirs étaient à leur usage exclusif. Cruelle erreur, selon lui, qui voulait que la ville entière soit rendue aux passants. Le trottoir n'est rien que le territoire laissé aux piétons par la voiture toute puissante. C'était la ville entière qui appartenait aux piétons. De l'endroit ou il était garé, à l'angle du Jardin du Luxembourg, le constat était sans appel; des deux cotés de la rue une enfilade de voitures stationnées gâchait irrémédiablement la vue. Une seule place de parking, c'est treize mètres-carrés de territoire urbain occupé. Pourtant, tout était fait pour décourager l'usage des deux-roues à moteur. Laissant de coté ses pensées, il se dirigea vers la rue Vavin. Le glacier était aisément identifiable à sa devanture noire. Il traversa pour pouvoir observer à sa guise la boutique, du trottoir d'en face, sans être remarqué. La devanture sentait l'Italie et toute son attention permanente et discrète à la beauté, l'élégance. Façade noir satiné, vitrines dans lesquelles chocolats, nougats et biscuits étaient présentés comme des oeuvres d'art, tout respirait le désir de flatter les sens. A l'intérieur, l'éclairage de spots (des Leds, ceux qui ne vous grillent pas le crâne de leur chaleur intempestive, nota-t-il) donnait une note chaleureuse, en contraste avec la grisaille de la ville. A l'entrée, deux comptoirs; à droite l'inévitable machine à café (il se voyait déjà commandant un ristretto), posée là comme un trophée, et son bar d'une longueur tout juste suffisante pour accueillir quatre personnes, le bon nombre. Au-delà c'est la foule, et l'impossibilité de savourer comme il se doit le précieux nectar. A gauche, le comptoir des glaces et les divers accessoires indispensables, cuillères, machine à frappé... Entre les deux comptoirs, face à la double porte d'entrée en verre, la circulation était guidée par deux cordages de chanvre ( trente millimètres, cinq torons, celui qu'on utilise pour les mains courantes des escaliers), ce qu'il interpréta comme un signe. Avait-elle choisi elle-même la décoration? Certainement, c'était SA boutique, on ressentait fortement une identité, pas comme une boutique franchisée, mais plutôt comme une accueillante maison de campagne, un sentiment d'intimité... Le fond de la salle était occupé par de petites tables rondes, parsemées d'étudiants aux conversations animées tout Iphone dehors. Trois personnes constituaient le personnel, portant le même uniforme unisexe; une sorte de bob sur la tête, qui, cachant les cheveux, donnait l'apparence professionnelle du cuisinier, orné du logo de la boutique, et un grand tablier de jute, noir lui aussi, muni d'une large poche sur le devant. Il aperçut Clara, dans le coin des tables, le plateau à la main. Ses cheveux cachés mettaient en valeur ses yeux et son joli sourire. Il traversa la rue et pénétra dans la boutique. Clara le remarqua immédiatement; son sourire se fit plus lumineux encore. -Bonjour, Cyril. Qu'est-ce que je peux vous offrir? Elle avait effectivement un léger et délicieux accent, qui lui faisait prononcer le son «eu», qui n'existe pas en italien, en tirant très légèrement vers le «ou», à peine perceptible. -Uno ristretto, per favor, répondit-il. -Oh, vous parlez italien? -C'est à peu près tout ce que je sais dire... Elle donna rapidement des instructions aux deux serveurs pour qu'ils prennent en charge le magasin tandis qu'elle s'occupait de lui. Il fut surpris de son autorité, ses ordres étaient énoncés avec douceur et gentillesse, mais avec la force de l'évidence. Elle portait une paire de tennis noires, sans talon, adaptées aux multiples déplacements qu'elle avait à faire, et Cyril fut surpris par sa petite taille. -Vous tombez bien, je prends ma pause dans cinq minutes, lui dit-elle en préparant son café. Cyril l'observa alors qu'elle travaillait. Il avait l'impression d'assister à la préparation d'un sushi par un Maître japonais; tous ses gestes étaient précis, comme codifiés, et elle était concentrée comme dans une cérémonie religieuse. Il y avait une procédure, qu'elle avait mise au point, rien n'était laissé au hasard, et Cyril comprit que tout le personnel devait s'y plier. La pression du percolateur, la quantité de café, le verre d'eau, la serviette.... Une cérémonie du thé transposée. Il apprécia ce sens du détail à sa juste valeur, lui qui mettait un soin maniaque à réaliser ses bondages, cherchant toujours à en parfaire l'efficacité et l'esthétique. Il pouvait lui arriver de passer des nuits entières à refaire les figures dans sa tête, les transformant, modifiant l'agencement des cordes, les positions engendrées. A tel point qu'il pouvait réaliser n'importe quelle figure les yeux fermés. Cyril se rendait compte qu'il était inexorablement en train de tomber amoureux. Un peu comme lorsque se manifestent les premiers frissons d'une grippe à venir et que rien, aucun grog ni aucun miel ne vous en épargnera la suite connue : frissons, douleurs et fièvre pour la semaine. En savourant son délicieux café, il fit rapidement le tour des complications que cette situation ne manquerait pas d'engendrer. Il avait tiré un trait définitif sur les relations amoureuses, mais était-il mûr pour reprendre une expérience avec Clara? Il avait toujours pris son rôle d'amant très au sérieux, conscient de la responsabilité morale que celui-ci impliquait. Clara lui jeta un sourire; -Je me change et j'arrive, attendez-moi! Ce sourire le fit frissonner. -T'es mal barré, toi, mon pote! se murmura-t-il à lui-même. Un immense sourire éclairait son visage. Ils sortirent du magasin et se rendirent au jardin du Luxembourg tout proche. Malgré la fraîcheur de l'hiver, le temps était sec et relativement ensoleillé. Les arbres alentour offraient une palette de couleurs plus riche encore que l'étal de glaces. Ils marchaient côte à côte, Cyril ralentissant son allure pour s'adapter à celle de Clara, le bruit de leur pas sur le fin gravier était accordé, à l'unisson. Elle avait défait ses cheveux, qui lui tombaient sous les épaules. Sans se concerter, ils se dirigeaient d'un commun accord vers le bassin central. Ils ne marchaient plus, ils étaient deux musiciens déchiffrant la partition du bruit de leur pas. Arrivé près du bassin, Cyril approcha une chaise, Clara le regardant faire. Il put lire dans son regard comme un acquiescement serein; elle semblait heureuse qu'il prit cette initiative conforme à ses attentes, sans mot dire. Des groupes d'étudiants étaient disséminés autour d'eux, certains - les amoureux- un peu à l'écart, d'autres en grappes joyeuses, quelques joggers courageux passant de temps à autre parmi les touristes . Avant de s'asseoir il l'embrassa, et ce fut naturel. Il s'embrassaient pour la deuxième fois, cette fois-ci comme un prolongement de la première, comme pour reprendre une conversation interrompue. Cyril aurait pu rester ainsi à embrasser Clara toute l'après-midi, dans cet instant parfait, cet accord majeur. Mais il voulait mettre des mots sur ses ressentis, partager avec elle, se persuader qu'ils étaient bien dans une expérience commune. Quand il se détacha d'elle, elle resta quelques instants les yeux fermés, sans bouger, comme paralysée. Ils s'assirent enfin, et se turent pendant de longues minutes, dans la même qualité de silence qu'après un beau concert, quand la dernière note de l'orchestre, pourtant éteinte, se prolonge encore dans la salle. Au bord de l'eau, fut-ce un bassin de ciment au coeur de Paris, il se sentait toujours bien. L'idée qu'ils se soient tous deux, sans un mot, dirigés vers ce lieu lui semblait presque magique. -J'aime être près de l'eau, dit-il. Je m'y sens toujours bien, serein. Alors Clara lui raconta l'eau de son enfance, la lagune, la mer qui pénétrait dans les maisons, les bancs sur lesquels elle devait marcher, parfois en bottes, pour se rendre à l'école, tous ces petits souvenirs enfouis qu'aucune oreille n'avait été suffisamment ouverte pour entendre jusqu'alors. Elle avait la sensation de parler avec un vieil ami, et ses confidences si longtemps retenues la soulagèrent. Elle se sentit plus légère, comme nouvelle, lavée. Lorsqu'à quatorze heures elle dut retourner travailler, il était évident qu'il se retrouveraient le soir même. Elle insista pour l'inviter à dîner chez elle, lui promettant un repas vénitien. Le magasin fermant ses portes à vingt-trois heures, ils prirent rendez-vous pour minuit. Ce rendez-vous était comme un trésor pour elle, un cadeau qu'elle avait en poche et qui la maintint de bonne humeur pour toute l'après-midi. Elle possédait quelque chose, un espoir, un début d'attache, de lien, et se sentait vivante, utile et forte. Elle avait osé, elle lui avait proposé de passer la soirée avec elle. A peine cette idée lui avait-elle traversé l'esprit qu'elle l'avait formulée, sans laisser le temps à sa raison d'émettre le moindre doute. Elle se laissait aller, elle n'éprouvait aucune appréhension. Elle sentait au plus profond d'elle-même qu'elle pouvait accorder sa confiance. Cette après-midi là Clara eût le plus grand mal à se concentrer sur son travail. Elle avait hâte de rentrer chez elle, et de préparer des spaghettis à l'encre pour Cyril. Elle ne se rappelait même plus quand elle avait préparé un repas pour un homme pour la dernière fois. Mais les heures, bien que lentement, passèrent, et Clara put enfin se précipiter chez elle. Dès qu'elle ouvrit la porte, elle ôta ses chaussures trempées, mit son manteau à sécher et fila dans la salle de bains. Elle avait de quoi préparer le repas dans le frigo, et avait encore un peu de temps pour prendre soin d'elle. L'image que lui renvoya son miroir lui indiqua qu'une douche était absolument nécessaire: ses cheveux mouillés la faisaient ressembler à une brebis égarée. Et puis l'eau, comme toujours, calmerait ses angoisses. Elle y demeura dix bonnes minutes, laissant la douce chaleur laver son corps de ses soucis. Elle pouvait presque voir ceux-ci disparaître avec l'eau savonneuse à travers la bonde de la douche. Quand elle se sentit enfin propre, elle se sécha longuement, enfila un peignoir et ouvrit toutes grandes les portes de ses armoires. La petite robe noire d'Azzedine Alaîa irait à merveille: elle lui faisait un corps de reine et sa couleur rendait ses yeux plus clairs. Et puis elle se sentait sûre d'elle quand elle la portait, l'obligeant à se tenir droite et fière, exactement comme elle souhaitait apparaître aux yeux de Cyril. Chaussures... Les escarpins Cavalli qu'elle avait achetés lors de son dernier passage à Venise iraient parfaitement, quoi de mieux que des «stilettos» pour un repas qu'elle voulait italien? Les dessous maintenant, le plus difficile... Des bas, bien sûr, mais porte-jarretelles ou pas? L'angoisse de sentir les bas glisser lentement le long de ses jambes avec les dim'up l'emporta: elle choisit un porte-jarretelles tout simple avec les bas assortis de chez Cervin. Seule la soie pouvait convenir à cette soirée. Et puis elle avait si rarement l'occasion de les porter que la question ne se posa bientôt plus. Culotte et soutien-gorge, non, impossible, la robe ne le permettait pas. Et puis il lui venait en tête la pensée des mains de Cyril remontant le long de ses jambes, le doux bruissement de la soie sous ses mains, la découverte de sa peau nue au-dessus... Tssss doucement, piano piano, ragazza, se dit-elle en se regardant dans la glace. Et puis tu n'as plus le temps, il faut aller en cuisine, là, presto! Elle s'approcha de la stéréo pour choisir une musique d'ambiance qui convienne. La Norma, bellini, la Gruberova, bien sûr! Et s'il n'aimait pas l'Opéra? Elle ne lui poserait pas la question. Ils n'avaient pas parlé musique, mais s'il n'appréciait pas cette interprétation, ce serait la fin de l'aventure. Je suis fière, je suis forte, je suis italienne et j'aime l'Opéra. A prendre (mmmmm) ou à laisser! La Norma, c'est l'un des rôles les plus difficiles du répertoire des sopranos et la Gruberova vous arrachait les larmes dans «casta diva»: il fallait absolument que Cyril se montre à la hauteur. Cyril sonna à la porte durant le «Vanne e li celi entrambi», ce qu'elle jugea assez bienvenu de sa part. Il était venu à moto, et semblait tout droit sorti d'une tempête au large du nord de l'Ecosse. Le bouquet de fleurs qu'il tenait à la main émut profondément Clara par son délabrement qui laissait pourtant entrevoir sa splendeur passée. Elle vit tout un résumé de la personnalité de Cyril dans ce geste de choisir un bouquet splendide avant de lui faire traverser tout Paris par une nuit orageuse d'hiver sur le porte-bagage d'une motocyclette. Elle n'attendit pas qu'il posât son manteau pour l'embrasser passionnément. Une flaque d'eau prenait forme à leurs pieds; ils en rirent en se séparant. Elle débarrassa son hôte de ses vêtements (Dieu qu'ils sont lourds, songea-t-elle) et l'invita à pénétrer dans le salon. Cyril resta un instant interdit en découvrant, dans chaque recoin de la pièce, les différents instruments de musique éparpillés. Riant de son trouble, Clara les lui présenta un à un: Bob le piano, Sam le violon, Kiki la trompette, Alfa et Roméo les deux guitares, et les percussions; Giacomo le djembé, Gina la derbouka, pour finir sur le Felippe le marimba. -Et tu sais jouer de tous je suppose? Demanda-t-il. -Oui! Choisissez-en un et je vous montre, si vous voulez. Et vous, vous jouez de quelque chose? Cyril réfléchit. Il jouait bien un peu de piano, en autodidacte, mais seul, toujours. Il sentait qu'elle le mettait à l'épreuve, et que c'était là quelque chose de très important. -Le Marimba... Bellini, La Norma, c'est un choix inhabituel, mais j'adore...dit Cyril. Clara éteignit la musique et fut parcourue d'un frisson en se saisissant des quatre baguettes en entendant la réponse de Cyril. Elle s'installa, debout, derrière l'instrument. Elle commença doucement à frapper, dans une suite d'accords simple de blues en fa. Elle vit Cyril prendre place au piano, nota au passage la position de ses mains au-dessus du clavier, une position d'amateur. Elle fut surprise de l'entendre sortir une ligne de basse à la main gauche qui n'était pas vilaine du tout, bien lourde et grasse comme elle les aimait. Fa septième, Si bémol septième, c'était parti... Ils jouèrent ainsi longtemps, concentrés, s'écoutant l'un l'autre, puis allongeant petit à petit la grille. Le temps s'écoulait en tranches de pain d'épices trempé dans du miel. Avec douceur et bienveillance, apprivoisé par leur musique. Ils se sentaient reliés par un fil invisible, un fil d'or qu'aucun d'entre eux ne voulait casser. Ils se parlèrent ainsi longuement, faisant connaissance à travers les notes, les soupirs et les silences, se racontant le plus intime d'eux-mêmes, jusqu'à ce qu'ils sentent le besoin et la force de reprendre possession de leurs corps. Cyril cessa de jouer, se tourna légèrement pour la regarder. Clara resta concentrée quelques instants et tricota une fin honorable. Elle posa ses baguettes et leva les yeux vers lui; il s'était levé et s'approchait d'elle. Il était musicien, elle en était sûre maintenant, et elle se sentait devenir instrument. Elle souhaitait ses mains sur son corps, elle souhaitait qu'il joue d'elle. Elle l'en supposait capable. Il l'embrassa doucement, puis lui prit la main et l'entraina vers la table. Il tira une chaise pour elle et la fit asseoir. Ses yeux étaient brillants, rieurs, la flamme des bougies s'y reflétait comme des fantômes dansants. Saisissant sa fourchette, il enroula les spaghettis dans la sauce d'encre, lui donna un nouveau baiser et lui inséra doucement la fourchette dans la bouche. Les pâtes étaient délicieuses, parfaites, et Clara ferma les yeux. Elle se laissa nourrir par lui, ouvrant la bouche avec gourmandise à chaque occasion. Elle appréciait ce jeu, dans lequel elle se laissait faire, docile, elle aimait la douceur dont il faisait preuve, jamais le métal de la fourchette n'entrait en contact avec sa bouche, c'était presque magique cette nourriture qui arrivait comme par miracle, au bon moment, dans un rythme parfait. Lui prenait une bouchée de temps en temps. Aucun son ne s'échappait de leurs bouches, ils mangeaient dans un silence total, une cérémonie secrète, une communion. Parfois il lui versait du vin dans son verre pour le faire lui-même couler dans sa gorge, juste quand elle avait soif. Elle se sentait sereine, en sécurité, nourrie. Ensuite il passa la main dans ses cheveux, les saisit entre ses doigts, tout près de son cuir chevelu, et lui tira la tête en arrière, dans un geste lent, doux, mais néanmoins autoritaire. Alors il l'embrassa à nouveau, et elle se demanda comment il avait pu deviner qu'elle adorait cela, cette façon de lui tirer les cheveux? Ce n'était que le début de ses surprises, qui allèrent crescendo. Chaque fois elle se laissa faire avec bonheur, chaque fois elle s'abandonna davantage et avec plus de confiance encore, chaque fois elle retint ses larmes de se sentir tellement comprise, dans ses désirs les plus secrets. Lorsqu'il l'attacha elle ne fut pas surprise, bien que le connaissant à peine elle avait déjà abandonné toute défense, elle se laissa aller, s'enroba dans les cordes, les yeux clos, sentant ses mains tourner autour d'elle, les liens se resserrer. Il lui sembla qu'ils étaient en train de la réunir, de la recoller. Quand il l'avait mise nue elle avait éprouvé la sensation qu'il la débarrassait. Jamais encore on ne l'avait déshabillée de la sorte, si naturellement, comme on sortait un violon de sa housse. Et puis les cordes se détachèrent, laissant leur empreinte dans sa chair, pour une nouvelle oeuvre, plus complexe, plus belle encore. Il lui sembla qu'il l'avait juste accordée, et qu'il s'apprêtait maintenant à en jouer, à la jouer, à jouer de la Clara. Les cordes rouges, les cordes noires, comme un accord de guitare, une musique tsigane. Alors des sons sortirent de sa bouche, des murmures, la voix de Clara, cette voix d'enfant, réapparut en elle. Une vibration, venue du plus profond d'elle-même. Les heures passèrent, avec des ailes de papillon. Quand enfin il la détacha, il la serra longuement dans ses bras, comme lorsqu'on se retrouve sur un quai de gare après un long voyage. Petit à petit elle redescendit sur terre, reprit contact avec le poids de son corps, le sol. -Il faut manger un peu, dit-il. Quelque chose de sucré, si possible. Elle avait préparé un gâteau, qu'ils dégustèrent, les yeux dans les yeux. Alors elle trouva la force de prendre sa main et de l'entraîner dans sa chambre. Quand il repartit au petit matin elle était certaine d'avoir trouvé son accompagnateur ainsi que toutes les partitions nécessaires.

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