Georges chap 3

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Georges attend son ami d’enfance devant le bar à vin ou ils ont rendez-vous, un soir d’hiver. La nuit voile la rue et seul un lampadaire l’illumine comme un projecteur éclaire un comédien qui joue. Adossé à la barrière, le genou relevé, une clope au bec, il est de mauvaise humeur. Les promeneurs admirent ce drôle d’oiseau pensif qui ignore le monde alentour. Il a cette nonchalance charismatique qui attire les regards comme notre beau soleil qui écoeure. Cela est un étrange paradoxe car son visage est d’une beauté fade, lisse et sans accroc, dotée d’une peau blanche comme un être fiévreux se bourrant d’aspirine que la douleur tue.

Pendant que son ami le fixe, sa mauvaise humeur s’éternise, se perd dans le fracas de ses souvenirs. Au regard de Vincent, Georges est immobile comme s’il se recueillait devant un monument funéraire. Il est sobre, lui, il est troublé. Son regard le fuit dorénavant et s’évanouit durant quelques instants dans le renforcement de la rue. Son malaise se dissipe et une question lui vient. Georges expédie la réponse sobrement, lui, il est de nouveau troublé. Troublé de sentir Georges se débattre dans la brume nauséabonde, dans l’antre de son cœur maudit. Où les morts recouverts de mousses et ivres, divaguent, titubent, tombent dans leurs cercueils et se relèvent. Où les souvenirs redoutent la véhémence de l’amour autant que l’horreur. Ses proches n’ont pas leurs places dans les cryptes de sa mémoire !

Dans ces instants-là, Vincent devine aux comportements des passants, que la mauvaise humeur de Georges à un charme terrifiant. Que ses yeux bleus translucides sont d’une rare intensité orageuse. Qu’il captive autant qu’il effraye. Qu’il dégage une tension nerveuse, d’un mec qui peut à tout moment exploser. Qu’il incarne une force animale et irrésistiblement dévastatrice. Vincent sait qu’i n’aime pas sourire à ses amis et encore moins aux inconnus. Il a toujours cette impression qu’il va bouffer la tronche de ces connards, si toutefois, il en avait l’audace ou une rage incontrôlable.

Coûte que coûte, Vincent gesticule en de grands mouvements amples essayant désespérément de réchauffer l’atmosphère. Mais la tristesse de Georges se suspend dans la fumée de sa cigarette sans qu’il ne puisse rien y faire. Son acolyte se sent stupide et honteux. Vincent discerne son chagrin enfoui, revenir semblable à l’oisillon violent qui se cogne contre ses parois, qui crève son œuf et qui se dépèce. Les membres dispersés au sol s’attirent, dansent, s’emboitent comme des aimants et reforment une coquille. Et tout recommence.

Le reste.

Une caresse superficielle, une empathie dégueulasse quand les pupilles mal avisées et captives des passants se plantent sur lui. Georges les craint. Il ne suuporte pas ces regards inquisiteurs malgré son apparente indifférence. Une image familière sans bonheur pour Vincent qui capitule rendant à la fumée furieuse son territoire, à son ami volatile, sa froideur. 

L'agonie d'un coeur.

Les quinquets rivés sur lui, il est tétanisé. L’abolition du silence survient lorsque passe devant eux une belle jeune femme. Georges jette alors un clin d’œil complice à son pote, effrontément gracieux d’un de ses sourires francs et chaleureux. Ce sourire est bloqué au cœur de l’enfance, de l’insouciance, de ces jours heureux vécu auprès de son grand-père. Vincent rit fort et cette cruelle fumée s'évapore tout doucement. Et cette clope se métamorphose tendre et enfantine, une ironie du sort.

Sur ce trottoir enfin.

Enfin. Sur les lèvres de Georges, défile un monologue sur l'esthétique des femmes. Néanmoins ceci est de courte durée et il débite maintenant son désoeuvrement face à la gente féminine. Georges est timide ou plutôt trop méfiant. Vincent répond quelque chose d’inutile et faussement approbateur. Il plaisante débilement, d’une amertume pleine de fatigue. Une fatigue certes, mais une fatigue heureuse et bienveillante.

La conversation s’interrompt, quelqu’un s’approche.

Georges quitte le monde ou il tournait. Son visage redevient public. Il repousse de nouveau les imposteurs, jonglant avec son briquet en vue de menacer implicitement, sa clope toujours campée à son bec. Les chimères envahissent de nouveau sa gueule. Les remparts de son âme le protègent de ces cons.

                                                      *

Un soir.

En sortant du travail, après un coup de fil inquiétant de sa mère, Georges décide de lui rendre visite.

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