Germaine

Hervé Lénervé

Une sage décision.

Germaine est lasse de tout. Voilà bien trop longtemps qu'elle traîne sa carcasse sur cette Terre plate. Tant de fois, déjà, elle a voulu en finir, mais que voulez-vous, la vie s'acharne à vouloir vivre sans motif, ni raison, coûte que coûte et à Germaine elle coûte très cher.

Mais cela, c'était avant, quand les moulins étaient à vent. Aujourd'hui, elle le sait, tout va changer, sa décision est ferme et solidement ancrée en son esprit. Aujourd'hui, tout est clair, limpide, évident. Aujourd'hui est le dernier jour de sa vie de merde et cette résolution la soulage d'un poids immense, une incommensurabilité d'incommodité. C'est donc le cœur léger et l'esprit en paix qu'elle traverse son jardin pour se planter sur le bord de la voie ferrée.

Que voulez-vous (bis), Germaine, elle n'a que le train, pas de rivière pour regarder l'eau qui coule avant d'y couler soi-même. Elle n'a que les trains qui passent jours et nuits et nuits et jours, inlassablement scandant le temps de son désespoir.

Donc, elle attend !

Une minute, puis deux, puis plus.

Un quidam bien amoché, lui aussi, s'approche d'elle.

-         Ça fait longtemps que vous attendez, ainsi ?

-         Bien trop longtemps, voyez-vous !

-      Je ne comprends pas, d'habitude les trains défilent à la queue leu-leu ? A croire, qu'ils ne seraient qu'un à faire inlassablement le tour de la Terre.

-         Oui ! Je sais, j'habite juste là, à me morfondre.

Pendant qu'ils discutent de la pluie et de la précision des horaires de la SNCF, un autre paumé se joint à eux. C'est connu, les épaves attirent les épaves, comme un sac poubelle attire une décharge (séquence licence poétique).

-         Que se passe-t-il, il n'y a pas de train, aujourd'hui ?

-         On ne sait pas, on attend.

-         C'est bien ma veine ! j'étais déterminé.

-         Nous, aussi !

Le temps n'a pas de montre, il continue sans mesure à durer. Ils sont une bonne vingtaine, à présent, à attendre ce train absent. Que voulez-vous (ter) ? Les désespérés ne sont pas au fait de l'actualité. Ils n'ont pas écouté l'annonce de la grève des cheminots pour défendre leur acquis sociaux auxquels ils s'accrochent plus qu'à la vie.

-         Merde ! Je sens ma résolution faiblir. Mon Dieu, elle se dissout dans des joies passées à deux sous.

-         La mienne aussi !

-         Je m'appelle Germaine, j'habite ici, venez boire un verre. On entendra de chez moi le salut venir.

Et la bande d'écorchés de la vie, aspirants apprentis de la mort, vont noyer leur chagrin dans les alcools.

La grève est une chose juste, elle n'est que l'ultime solution pour faire entendre des revendications. Il est vrai qu'elle perturbe, dérange les usagers des secteurs publics. Mais sans effet, pas de résultats.

Maintenant, chacun a le droit de défendre ses droits. Unissez-vous usagers ! Regroupez-vous en associations pour que la liberté de mourir soit respectée partout et ici plus qu'ailleurs, d'ailleurs. Cela n'a que trop duré, arrêtons de stigmatiser les postulants à la mort en malades mentaux ! Regardons-les avec empathie et soyons avec eux dans le passage à l'acte !

Tous unis contre la Vie chère !

Tuons-nous en cœur dans l'allégresse, mes frères !

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