Gourmandises

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Gourmandises

Dix-neuf heures déjà !  Les invités n’allaient pas tarder à arriver, et tant de choses restaient à préparer.  Paul commença à paniquer.  Voyons, il fallait procéder par ordre.  Cette soirée devait être une réussite, il y avait si longtemps qu’il se réjouissait de la vivre.  Ce n’était certes pas le moment de céder au découragement, de flancher devant l’étendue de la tâche ni même de renoncer au moindre de ces détails qu’il avait mis tellement de soin à élaborer.

Le projet de ce dîner sensuel avait germé, lors de ses dernières vacances, sur le bateau d’un couple d’amis.  L’atmosphère de cette croisière, sous le soleil radieux des Tropiques, y avait été empreinte d’une telle félicité, d’une liberté et d’une joie de vivre si puissantes, que les idées les plus osées n’avaient pas tardé à lui traverser l’esprit. La plupart des passagers paressaient sur le pont dans le plus simple appareil, sirotant des cocktails parfumés, échangeant amants et amantes, et ne daignaient prendre quelque exercice que pour plonger dans des eaux tièdes et turquoise. Cette voluptueuse licence sexuelle avait favorisé l’émergence de fantasmes qu’il serait si plaisant de réaliser une fois le temps de la rentrée venu.

Le mariage des plaisirs les plus variés, faisant appel à l’ensemble des sens, fascinait particulièrement Paul, qui y trouvait une manière subtile de satisfaire ses désirs d’hédoniste consommé.  Les plaisirs de la bonne chère, par exemple, se mariaient si harmonieusement avec ceux de la chair, surtout quand ils s’accompagnaient d’une ambiance musicale propre à souligner discrètement la montée progressive des ravissements. Mais il voulait plus qu’une simple recherche de jouissance effrénée. Il était persuadé qu’au-delà des extases promises, les caresses partagées, la communion des corps, le souci de répondre aux attentes de ses partenaires lui permettraient de pénétrer plus profondément l’intimité de leur personnalité, de leur humanité, de leur âme. Il avait donc voulu réserver cette expérience à des hommes et des femmes qu’il appréciait profondément et qu’il pensait animés du même souhait d’approcher l’autre, et de se laisser découvrir, tant par les jeux des épidermes que par ceux de l’esprit.

Fonctionnaire de l’Union européenne, il côtoyait les personnalités les plus diverses. Bon nombre de ses collègues, d’une ouverture d’esprit absolue, s’adonnaient régulièrement aux plaisirs de la vie les plus variés, si bien que le choix ne fut pas aisé.

Il pensa immédiatement à Lucas, un jeune architecte Allemand qui soignait sa forme physique autant que ses connaissances artistiques, ainsi qu’à Gianna, une traductrice italienne dont l’âge un peu plus avancé n’avait altéré en rien la beauté sculpturale. Tous deux fréquentaient ouvertement les milieux libertins et ne rechigneraient donc pas à mêler découverte gastronomique et sexuelle. Henri s’imposa par la jovialité et par la gentillesse qui en faisaient un ami apprécié de tous.

***

Quand tous se furent installés, Paul prit la parole.

— Mes amis, pour commencer ce repas, j’ai proposé à nos compagnes de préparer une de leurs entrées favorites. Il serait cependant trop facile d’apprécier passivement leurs talents de cordon bleu, même si ceux si – et je n’en doute pas une seconde – sont dignes des éloges les plus flatteurs. Il s’agira donc pour chacun de nous de retrouver un des composants de chaque plat. À chaque bonne réponse le gastronome qui se sera mis en évidence pourra retirer un vêtement de son choix à la cuisinière. À l’inverse, chaque mauvaise réponse coûtera un effet à celui qui se sera trompé. Je ne connais que l’intitulé des plats, pas leur composition ; je suis donc au même niveau que vous tous. Et pour débuter ce carrousel d’entrées, je demande à Gianna de nous faire l’honneur des ses bruschette.

La belle Italienne, quoique gourmette confirmée, ne se sentait pas à l’aise devant les fourneaux. Ou plutôt, le temps nécessaire à la confection de l’omelette la plus simple lui paraissait déjà excessif. Elle avait donc privilégié une recette qui lui permettait de garnir les tranches de pain fraîchement rôties de produits qu’elle s’était procurés dans une épicerie fine. Présentant son plat, elle précisa dans un large sourire :

— les toasts et les tomates sont hors concours, moi aussi je veux pouvoir vous déshabiller !

Pendant quelques secondes, on n’entendit plus rien. Chacun s’était concentré, curieux de savoir s’il pourrait reconnaître une odeur, une saveur qui aurait échappé à ses voisins. Le pain était tiède, délicieusement craquant, moelleux à l’intérieur. La fraîche acidité de la tomate prenait d’abord le dessus, pour laisser très vitre place à une explosion de parfums.

Marcus, emporté par son enthousiasme coutumier, prit la parole en premier.

— Il y a des lanières de jambon de Parme !

— Raté, rétorqua Giana, c’est de la pancetta.

D’un air gourmand, elle s’approcha du bel Allemand, prenant son temps pour passer à l’action. Elle hésita à retirer la chemise de l’athlète, à palper les pectoraux qui se devinaient sous le tissu léger. Mais un renflement marqué lui fit changer d’avis. Elle déboutonna le pantalon de Lucas, avant de le faire glisser sur ses jambes, tout en prenant grand soin à caresser le sexe tendu sous le boxer de l’homme. Sous l’effet de ses doigts habiles, celui-ci prit une ampleur que Gianna apprécia, en fine connaisseuse.

Elle ne prit pas moins de plaisir à faire tomber la jupe légère d’Anna, qui avait confondu aubergines confites et courgettes, dévoilant un string soulignant bien plus qu’il ne les cachait des fesses à l’arrondi parfait; puis à retirer le corsage brodé de Rose, laquelle n’avait pu déterminer la présence de dés de poivrons, les méprenant pour des piments doux.

Quand se fut son tour, Henry annonça de la mozzarella.

— C’est imprécis, il fallait préciser di Bufala, sourit Gianna, que la peau brune du grand Martiniquais inspirait visiblement. Le concert de protestations qui s’ensuivit fut de courte durée. Bon prince, Henry se prêt au jeu de la belle et ôta son polo; il en fut récompensé par de savants effleurements sur le torse qui aiguisèrent instantanément son désir.

Ne restait que Paul. La présence de basilic n’était pas plus difficile à déceler que le souhait de Gianna d’être dévêtue à son tour. Taquin, il fit mine de ne pas reconnaître cette herbe à la saveur si caractéristique, suggéra l’utilisation d’origan.

— Bravo, il y en a également, lui répondit Gianna dans un large sourire, en s’approchant, offerte.

Etait-ce exact, ou n’était-ce là que le prétexte de dévoiler son corps aux formes harmonieuses ? Paul ne discuta pas, se leva, et déboutonna la robe imprimée, révélant des seins fermes au galbe de poire, puis un ventre sans une once de graisse. La jeune femme ne portait pas le moindre sous-vêtement et c’est avec un plaisir manifeste qu’elle reçut les regards admirateurs, des hommes comme des femmes, qui se promenaient de sa taille resserrée à ses cuisses musclées, en s’arrêtant sur son sexe surmonté d’un duvet presque transparent, si fin qu’il en paraissait épilé.

Après les bruschette de Gianna, vint le tour de Rose de présenter l’entrée qu’elle avait confectionnée. Fière de la cuisine de son île, elle avait préparé des acras, qu’elle mit à frire juste avant de les servir. La pâte, dans laquelle elle avait incorporé des blancs d’œufs battus en neige très ferme, en était merveilleusement légère et la cuisson parfaite les faisait croustiller sous la dent. Mais surtout, la première bouchée explosait en bouche dans une harmonie de saveurs marines, iodées, que soulignait merveilleusement un Sancerre aux arômes d’agrumes et de pierre à fusil.

— Je vous demande de reconnaître l’ingrédient qui rend mes acras particuliers, précisa la joviale Antillaise.

Toujours aussi prompt à exprimer son enthousiasme, bien que relativement peu au fait des secrets des fourneaux, Marcus se lança :

— C’est sublime, cela fond sous la langue ! Je parie pour le saumon.

— Tu n’y es pas du tout, lui répondit Rose en souriant.

La jeune femme regarda avec gourmandise le torse impressionnant de l’homme, puis s’empourpra quand son regard descendit vers l’entrejambe. L’expérience était cependant trop nouvelle pour cette apprentie libertine; elle se contenta de retirer chaussures et chaussettes, au grand dam de Gianna qui aurait voulu en admirer bien davantage.

Anna et Paul ne furent pas plus perspicaces. Les œufs de truite de l’une, le violet de l’autre leur coûtèrent un joli chemisier de soie pour la première, une élégante cravate pour le second, que Rose leur ôta presque en s’excusant.

Gianna étant déjà entièrement dévêtue, il n’eût servi à rien qu’elle se trompât à nouveau. Henry, qui connaissait tous les secrets de sa compagne, prit donc la parole avant la traductrice.

— Tes acras aux oursins sont délicieux, comme d’habitude, ma chérie.

Il enlaça sa partenaire, déposa un tendre baiser sur ses lèvres, puis insinua les mains sous son jupon, remontant le long de ses cuisses en une caresse langoureuse. Avant de faire glisser une minuscule culotte de dentelle, il prit soin de vérifier que Rose appréciait la soirée, malgré la gêne qui semblait l’envahir par moment. Le goût acidulé du doigt humecté qu’il retira le rassura pleinement sur l’état d’excitation de son amie, sur le plaisir qu’elle prenait à cette expérience culinaire d’un genre nouveau.

— Mon énigme ayant été résolue, Gianna, il te reste à découvrir quel fruit m’a servi pour la marinade de ces œufs d’oursins.

Son interlocutrice n’hésita guère. Elle était trop au courant des habitudes des Tropiques pour ne pas deviner que la saveur de ces petits beignets venait en partie du citron vert. Et surtout, la poitrine généreuse de Rose lui faisait trop envie pour qu’elle se risquât à une mauvaise réponse. Se plaçant dans le dos de la jeune femme, elle entreprit de dégager les seins fermes de leur gangue de satin. De larges aréoles sombres apparurent, îlots enchanteurs émergeant d’un océan de peau cuivrée. Après avoir dégrafé et retiré le soutien-gorge, Gianna commença à masser les globes d’un lent mouvement circulaire, effleurant les tétons de ses longs doigts, avant de les pincer délicatement puis de les exciter par des gestes plus saccadés. Les pointes se dressèrent, turgescentes, avides de plus de caresses encore, tandis que Rose, les yeux fermés, manifestait son ravissement par de sourds ronronnements.

Pour clôturer cette série de mises en bouche, Anna avait souhaité elle aussi mettre en avant un fleuron de sa gastronomie nationale, le chlodnik. La couleur rose vif, presque fluorescente, de cette soupe froide suscita un concert d’exclamations étonnées.

— Un potage à la betterave ! s’exclama Gianna qui revenait d’un voyage en Pologne.

— Je devine la connaisseuse, confirma Anna.

Bien que le string de cette dernière ne dissimulait pas grand chose l’Italienne prit son temps pour le retirer, parcourant avec délectation le discret rectangle de toison qui garnissait le bombement léger du Mont de Vénus, puis l’intimité frémissante de la jolie brune. Elle ne pouvait – ni ne souhaitait – occulter que les femmes l’intéressaient autant que les hommes.

Rose fut moins chanceuse, suggérant que le velouté du mets provenait de l’adjonction de crème fraîche, quand il s’agissait de yaourt. Sa robe et son jupon en firent les frais, et chacun put fantasmer devant l’appétissant rebondi de ses fesses.

L’hédonisme que Paul avait cru percevoir chez la jeune Polonaise se confirma par la jouissance qu’elle prit à enlever le pantalon d’Henry pour qui les dés de radis étaient du concombre et le boxer de Marcus, lequel avait confondu aneth et coriandre. Elle salua le sexe de chacun d’eux par une cajolerie empressée de la langue, qu’elle avait incroyablement habile.

Paul, par contre, reconnut aisément la ciboulette. Retirant le soutien-gorge qui cachait des seins menus et délicats, il lui rendit la politesse en en mordillant les pointes, ce qui alluma dans les yeux de la jeune femme des étincelles de désir.

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