Grand deux
leeman
Moi je grandis, et je suis content pour tout. Mais plus je grandis et plus papa sourit de moins en moins. Moi je suis triste alors, c'est bête, mais c'est comme ça. Bref, papa et moi on s'est levés du banc, parce qu'il commençait à faire tout nuit, et que j'avais froid, mes oreilles étaient toutes rouges, et mes mains presque violettes, ça me faisait très mal. Mais j'ai pas pleuré.
Moi je suis un homme, presque. Moi je veux devenir comme papa. Il est très fort, physiquement déjà, mais surtout dans son cœur. Son cœur est en acier, alors que le mien est encore en papier, le même que les avions qu'on fait en classe pour s'amuser ensuite dans la cour. Mais le mien il ne vole jamais. Alors je pleure. Et là mon papa arrive, et me porte, et me fait faire l'avion, pour que je vole. C'est super. J'aime beaucoup parce que je sens le vent qui me fait des câlins, je sens le vent tout près de moi, comme si c'était mon meilleur ami, comme s'il me parlait dans un langage que nous seuls pouvions comprendre. Moi je préfère quand même avoir les pieds par terre, comme ça quand je vois mon papa quand il me tient la main, j'ai l'impression que c'est un héros. Mon héros, et moi je veux devenir comme lui. Parce que je veux être comme ça. En rentrant il y avait pleins de voitures toutes laides et affreusement lentes, elles freinaient, faisaient beaucoup de bruits, les bouts de caoutchouc noirs crissaient et brisaient mes oreilles. Oui, j'utilise des mots de grands. Parce qu'une fois j'ai lu un texte de mon papa, et il m'a dit :
"C'est de la littérature. C'est un peu comme les BD que je te lisais le soir, sauf que là ce sont des histoires pour les grands."
Alors je fais pareil parce que c'est mon modèle. Du coup j'ai presque tendance à oublier comment je m'appelle, parce que ça n'a pas d'importance. Alors on rentre, on marche dans beaucoup d'allées qui sont toutes obscures, c'est presque sinistre, mais mon papa est là. Et puis on arrive à la maison, et il n'y a toujours pas maman. Elle a disparu. Mais je sais où elle est. Elle brille là-haut, au dessus de ma tête, et au dessus du plafond aussi.
Et puis il est tard. Papa m'amène dans ma chambre pour que je fasse dodo. Il m'allonge et me sourit. Mais c'est bizarre, son sourire aussi. Il me sourit toujours comme ça. Mais cette fois j'ai le sentiment que je ne le reverrai plus jamais. C'est triste, parce que c'est bien, d'avoir un papa. Et puis il m'a lu une histoire. Je ne la connaissais pas, et j'ai beaucoup ri. Et puis j'ai fermé les yeux, il a éteint la lumière, et il m'a dit qu'il m'aimait. Moi aussi je l'aimais mon papa, mais je ne pouvais plus rien faire, ni parler. Je n'ai pas pu lui dire qu'il était tout pour moi. Alors j'ai fait comme maman, parce que mon cœur était malade, je me suis envolé sans papa, et je suis allé rejoindre maman là-haut. Je me suis transformé en étoile pour que papa me voit tous les soirs, comme quand il revenait à la maison avec moi, mais désormais, sans moi. Et sans maman. Je n'ai pas pu lui dire que je l'aimais très fort. Mais j'espère qu'il verra que je brille pour lui, avec maman.
Quel texte ! Les yeux remplis de larmes.
· Il y a presque 10 ans ·marika04
Merci beaucoup, ça me fait chaud au cœur qu'il te plaise.
· Il y a presque 10 ans ·leeman
Ton texte est très émouvant sans sombrer dans le mélodramatique... BRAVO!
· Il y a presque 10 ans ·anne-onyme
J'en ai les larmes aux yeux...
· Il y a presque 10 ans ·anne-onyme
Je suis ravi d'avoir pu te transmettre ce que j'ai voulu transmettre.
· Il y a presque 10 ans ·leeman