Haut et court*

Hervé Lénervé

Allez, une historiette pour fillettes de gentilshommes de fortune dans la mer des Caraïbes, car l’Océan Pacifique est trop calme.

Deux pirates, avec des têtes à faire mourir de peur un zombie ataraxique, marchent de concert dans une forêt de cauchemars.

-         C'est nouveau ton tatouage, là ?

-         Lequel ? Ah, oui celui-là ! C'est une sirène en tête de proue qui se branle le compas sur l'ancre d'un galion

-         Très chouette ! Dis, t'as compris ce qu'il a dit le cap'taine, toi ?

-         Oui ! Pendez-le, haut et court !

-         Et ça veut dire quoi ?

-         Fastoche, on le pend, quoi !

-         Ok ! Pendre, je pige, mais le haut et court me pose un problème.

-         Ah, bon, lequel, donc ?

-         Si on le pend en haut d'un arbre, comment faire le court, après ?

-         Merde, t'as raison, y'a problème. Peut-être qu'il le sait l'autre pendu, c'est un aristo.

Les deux pirates s'arrêtent de concert, on peut dire qu'ils aiment ça, les spectacles en live, ces deux-là. Ils se retournent vers un troisième homme qui les suivait de près, en fait, de la distance de la longueur de la corde qui relie son cou fragile et gracile à la main râpeuse et crasseuse d'un des flibustiers.

-         C'est quoi haut et court, le pendu ?

-         Messieurs, vous ne pourrez m'appeler le pendu, qu'après m'avoir exécuté, pour l'instant, c'est toujours monsieur le comte Arebours de Grandevilles.

-         Ta gueule, le pendu ! Essaie pas de nous embrouiller le cabestan !  Dis, juste pour « haut et court ».

-         Allez demander à votre capitaine.

-         C'est ça, pour passer pour deux cons ! Allez dis, ou on te pend haut et court sur-le-champ !

-         Quel champ, on est en pleine forêt ?

-         Le capitaine Corto Maltese est un pirate trop cultivé pour commander un équipage de boucaniers de votre espèce. Mutinez-vous, je prendrai le commandement du vaisseau et ne vous ordonnerai que des tâches simples et compréhensibles.

-         Ta gueule, le pendu ! Dis pour haut et court et c'est tout !

-         Très bien, je m'exécute. Cela veut dire me pendre haut de tête, mais court de jambes, de façon que mes pieds touchent le sol.

-         Et ça marche, ça ?

-         Très bien, oui ! Mais c'est plus long.

-         Attend le pendu, on'a pas l'éternité, nous. On'a pas pris de rhum pour soigner notre rhume.

-         Vous auriez dû, messieurs, car cela peut prendre un certain gros temps de mer.

-         Allez, compère d'arsouille, on y va, pas de temps à perdre à  pendre.

C'est ainsi que les deux écumeurs pendent le conte à terre et attendent qu'il meurt pour être sûr. Au bout de dix minutes le comte tire la langue, incline la tête et pousse un râle létal.

-         C'est vrai que ça marche et sans effort et sans oh hisse en prime. Opération rondement menée. Allez, on met les voiles, cap sur le tonneau. On l'a bien mérité.

C'est ainsi que le conte, une fois libéré, prendra le commandement du vaisseau, car les marins superstitieux redoutent, plus que tout, les fantômes. Il s'adresse à l'équipage tremblant.

-          Bien, mes gaillards ! Vous deux, pendez-moi Corto Maltese à la grand-vergue ou au mat de misaine !

-         Putain, c'est pas clair c't'histoire, on fait quoi ? La grand-vergue ou la misaine ? Quelle misère !

-         On va demander à Maltese, il doit bien savoir, lui.

Et tout recommence du début, on n'est pas couché moussaillons.

***

(* L'expression « pendre haut et court » signifie pendre un quidam en hauteur avec une corde la plus courte possible, car la corde est onéreuse et on ne la récupère pas, re-car, un pendu en déco, c'est joli et ça porte bonheur.)

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