Histoire d'une mite - c

Laure Cassus

la suite


Le mythe préféré de la petite mite mâle relatait l'histoire d'un être ayant conquis un continent glacé grâce à des formules magiques de sa connaissance, toutes construites autour de syllabes en a et de consonnes comme le p, le b, qui étaient somme toute un peu la même chose pour une oreille non avertie, et puis également quelques gueu, keu, gleu plus structurants, plus virils dirait-on pour remotiver une équipe de choc un peu fatiguée.  Il arriva donc sur la polaire avec beaucoup d'espoir, bien qu'elle fut immaculément noire et molle.

Sa compagne le suivait tant bien que mal tellement il avançait vite, galvanisé qu'il était par cette nouvelle ère qui s'ouvrait pour les siècles des siècles.

Oh, attends-moi, fit la mite en panique. Il faut dire qu'elle était un peu dodue de nature et qu'elle avait perdu l'habitude de se débrouiller toute seule. Elle prit un petit envol pour s'aider à se hisser sur le manteau de tweed gris. Car bien entendu elle était appelée par le grain du tissage d'exception, un camaïeu de clair obscurs allant du blanc perle au gris anthracite comme autant d'ombres sur le plateau continental granitique.

Et voici qu'ils s'entendaient plus difficilement n'étant pas sur la même face du vêtement. La mite chercha son compagnon blanc à travers les fils géométriques, elle parcourut plusieurs carrefours où le blanc dominait et elle chercha, chercha. 

Pendant ce temps là de l'autre côté du manteau, la petite mite, parfaitement visible dans ce désert noir, savourait un coucher de lumière sur une dune de nature basaltique, sans trop s'inquiéter du retard de son amie. Vu son poids, elle allait devoir s'y reprendre à deux fois pour atteindre la doublure et en plus il n'y avait pas d'aspérités franches, mis à part ces quelques peluches au niveau des aisselles. C'est-à-dire bien trop haut sur le vêtement pour permettre un abri d'urgence et un repos intermédiaire. La lumière était bleutée et s'irisait en flaques métalliques dans les gondolations du tissu. C'était vraiment étonnant, il sortit une cigarette mal roulée et fuma un peu d'herbe puisque c'était traditionnellement autorisé au royaume des mites à la condition d'être dans de bonnes conditions extatiques. Ce qui ne voulait rien dire de précis mais là il estimait qu'il l'avait franchement mérité. Du coup le temps passa un peu, et il en oublia passagèrement sa compagne.

Celle-ci avait déjà perdu 0.5 ml de poids à crapahuter de fil blanc en fil blanc à la recherche de son connard de compagnon qui commençait à lui courir sur le haricot maintenant  mais qu'est ce qu'il foutait encore ? complètement sourd à ces appels et invisible à l'œil nu ! Ras le bol, le plan pourri, il me le paiera, etc, son esprit d'ordinaire si placide s'emballait de ressentiment. L'amour se dissipa pour faire place à la vexation, sentiment puissant d'impuissance et d'injustice. De rage, elle s'emmêla les pattes dans un filet un peu trop serré et s'étala malencontreusement de tout son long mais pas de très haut non plus vu sa physionomie plutôt encombrante déjà.

Le choc fut ressenti de l'autre côté du tissu et se traduit par des ondes modifiant les lumières bleues du paysage du mâle. Il crut faire un voyage chamanique où la réalité se modifiait au fur et à mesure de l'augmentation d'acuité des sens. Il se sentait merveilleusement bien et privilégié de pouvoir redimensionner son rêve de continent polaire dans la réalité d'un moment parfait. Heureux, il se retourna  pour en faire profiter sa compagne, mais celle-ci n'était pas là. Il vérifia de l'autre côté et finit par apercevoir une paire d'antennes qui s'agitaient. Il quitta sa butte et s'approcha, curieux de ce que cela pouvait être comme objet à identifier.

Mais ce n'était que le début de la tête de la mite qui avait fini par grignoter le tweed de l'endroit, affamée et désespérée, seule et abandonnée, en un mot furieuse, et  la voilà qui  ré-apparaissait  dans une cavité naturelle où par bonheur  l'attendait  son compagnon inconséquent.

Ce fût le début de leur première embrouille.

Commencer une nouvelle installation sur un vêtement mité et troué, c'était d'une augure douteuse, aussi la petite mite se fit-il redresser les bretelles quelque chose de bien. Et lui qui vivait quelques minutes auparavant un de ses plus beaux moments ultimes, il se souviendrait longtemps du niveau sonore qui s'était soudain répandu sur la banquise noire lui gachant l'existence d'un coup.

Comment recoller les morceaux dans de telles circonstances ? Comment repriser leur idylle (le doute s'étant installé quant à la grandeur de leur amour bien sûr) et revenir sur la même longueur d'onde ? C'était pas évident mais les mites disposaient d'un orgueil assez modéré comparé aux demi-dieux propriétaires des vêtements sur lesquels ils squattaient. C'était le privilège des intouchables.

 

A developper…

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