Histoire d'une mite - d

Laure Cassus

suite

La petite mite arborait toujours un grand smile malgré la volée de bois vert qui venait de s'abattre sur leur relation. C'est-à-dire qu'il ne se sentait pas du tout responsable du mauvais aiguillage de sa compagne et qu'il était très heureux de la revoir même amaigrie de quelques centièmes de millilitres.

Celle-ci se sentit tout de suite moins moche en présence de son tendre ami et elle s'approcha de lui pour l'embrasser. Ils serrèrent entre leurs ailes leurs petits corps frêles et translucides qui venaient de cumuler des stress variés depuis leur départ inopiné de la chaise en bois. Ils avaient besoin de se reposer un peu alors ils s'allongèrent en regardant lui l'horizon, elle le sol de carrelage qui se situait à plus de 30 cm de leur lieu de pique nique intégralement ombragé.

C'est un peu dangereux ici dit-elle doucement. Et qu'est ce qu'on va manger ? Cette fibre non fileuse, franchement feutrée même, ce n'était pas très appétissant… elle essaya de ne pas trop râler et se tut en laissant son ventre signaler quelque réclamation. Son compagnon n'avait plus faim mais il partit dans le trou chercher quelques résidus de laine qu'il prit même soin de placer dans un panier de sa confection, à savoir sur sa tête. Elle fût ravie de l'attention et partagea généreusement son repas tout en sachant d'avance qu'il ne mangerait pas. Ils n'avaient jamais eu les mêmes obligations corporelles. Puis ils firent la sieste et beaucoup plus, avant d'envisager à nouveau leur avenir.

A l'extérieur du vestiaire, les coupes allaient bon train et l'on rigolait beaucoup entre coiffeurs et coiffeuses, se moquant des allures et des clients, se chambrant sur les attractions mutuelles ratées et se montrant des quantités de tour de reins sur le tombé arrière de leurs vêtements respectifs  par miroirs interposés. Le propriétaire du manteau de tweed gris doublé polaire finit par reprendre son par-dessus et à enfiler une manche tout en plaçant son portefeuille dans la poche latérale. Ce fut vraiment un tiraillement important à l'intérieur du manteau et ils faillirent tomber de concert.

Finalement ils tinrent bon et se retrouvèrent dans la ville, qu'ils entendaient vrombir dans le courant d'air frais qui leur arrivait du col. Sous leurs pieds montait un battement sourd allant s'accélérant. C'était un vrai capharnaum pour eux habitués aux étagères de soie et mohair et aux dépliés respectueux des tricots naturels. Eh bien cette fois, c'était un urbain, un vrai, un dur, un hyperactif, hyper impliqué, hyper responsable, hyper important, hyper marcheur. Il s'arrêta justement dans une supérette de proximité et y prit quelques boissons de couleur marron (vu de l'extérieur) et dorée pour l'une d'elle. Puis il rentra chez lui au pas de course, gravit 3 étages 4 par 4 (cela se faisait à une certaine époque), entra dans un appartement et s'installa sur le canapé. Une femme à la voix perchée s'approcha à petits pas de lui, l'on compris immédiatement qu'elle était à sa disposition, elle susurrait plus qu'elle ne parlait, l'on compris également qu'elle était peut être asiatique ou d'une docilité payante, l'on observa, toujours depuis une boutonnière du manteau, qu'elle servit l'homme en boisson dorée et qu'elle se servit en boisson rouge issue d'une des bouteilles sombres  restées à l'abandon dans le sac plastique du pied du canapé.

On ne peut pas rester là, dit la mite. D'abord ce qui va se dérouler sous nos yeux ne nous regarde pas, ensuite on étouffe ici, enfin la polaire c'est trop dégeulasse au goût.

Bah pourquoi fit son innocent compagnon ? c'est plutôt sympa comme soirée.

Pas question, écoute je pars vers le fauteuil rose là-bas, je pense qu'on va pouvoir se régaler de soie sauvage sous peu.  Je te fais signe avec les antennes si le terrain est libre. Et elle s'envola sans attendre sa réponse puisqu'il n'avait pas le choix de toute façon.

Apercevant la mite en vol, la femme poussa un cri strident comme si elle avait vu une araignée. Quelle gourde se dit la mite, quel manque de savoir vivre ! et elle s'arrêta sur une table en acajou. Fraichement cirée. Arrgh, ça colle, mais c'est pas vrai, quelle plaie ! On n'imagine pas toujours comme le confort moderne est une source de nuisances pour les petits êtres autonomes.

L'homme urbain avait entretemps dégainé une bombe insecticide et il approchait à grande enjambée. Le produit arriva en pluie mais coup de chance il dissout très superficiellement la couche de cire, suffisamment pour que la mite se dégage et s'enfuit à toute berzingue telle une alouette médicalisée.

Elle arriva sur le fauteuil rose et se planqua immédiatement dans un galon de satin beige de façon à ce que le proprio n'y voit que du feu. Et en effet il repartit vers le canapé se faire déshabiller en sirotant du whisky de superette. C'est dire si c'était un mauvais parti en fait.

Laissant passer quelques heures sans se faire remarquer, la mite s'endormit puis fut réveillée par l'arrivée de son ami qui avait fait le chemin tout seul, épuisé par la vidéo qui se déroulait sur le canapé. Aucun goût et beaucoup bruit pour rien, lui rapporta-t-il. Elle n'était pas en état de le contredire, de toute façon, la lumière était éteinte depuis longtemps dans la pièce et deux heures s'étaient passées. Autant dire que pour un service tarifé ça avait duré assez longtemps comme ça. Mais elle ne chercha pas les complications puisqu'elle lui imposait à présent un environnement rose bonbon pour élever leurs enfants.

Oui, la bonne nouvelle était arrivée mais ce n'était pas la peine de lui en parler pour l'instant. Il se croyait encore jeune, fringuant et libre, mieux valait le laisser savourer sa jeunesse éternelle encore quelques jours et attendre qu'il s'en aperçoive tout seul. Le bon sens paysan était bien réparti entre mères et filles chez les mites, comme chez la plupart des insectes matriarcaux.

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