Hommage.

Marguerite De Branchus

Il est mort dans l’indifférence la plus totale. Personne ne l’a vu dépérir. Personne ne l’a regardé mourir.

Il n'avait de prénom. S'il avait pu choisir la fin ce soir là, il aurait opté pour de la mort aux rats ou une balle perdue peut être. Quand il a aperçu les feux de la voiture, c'était trop tard. Il n'a rien pu faire. Il est mort comme un chien. Juste là, en contre bas. Il est mort dans l'indifférence la plus totale. Personne ne l'a vu dépérir. Personne ne l'a regardé mourir. 


Il l'a connaissait pourtant cette route qui bordait les vignes.  Il l'avait longé des dizaines de fois. Chasseur dans l'âme, il l'avait visité des centaines de fois. C'était un dur à cuire. Un vrai. Entre deux siestes, il parcourait la nature en long, en large et en travers. Entre deux repas, il partait toujours à l'aventure. Le jour, la nuit. Rien ne l'arrêtait. Son imprudence lui avait ce soir-là joué un mauvais tour. Attiré par ce qui s'agitait là tout prés dans le fossé, il n'a pas regardé la route.


Et dire qu'il avait répandu de l'amour autour de lui. Qu'il avait semé de la tendresse un peu de partout sur son passage. Aux petits, il donnait toujours de délicates attentions. Il se forçait à supporter leurs cris et leurs gestes parfois désobligeants. Aux plus grands, il avait tenu compagnie les soirs de grande solitude. Les voyant si esseulés, il était venu plus d'une fois leur tenir chaud en se lovant prés d'eux sur le divan. Il avait même trainé ses sales pattes de partout dans la maison d'à côté. De la cave au grenier, il avait tout visité. Il était connu dans le quartier. Beaucoup le craignait. De par sa carrure, il en avait fait fuir plus d'un. Et pourtant,  il avait le don de rendre les gens heureux. Est-ce que quelqu'un le cherchait au moins ? Peut être que non, même pas. Peut être que tout le monde s'en moque. Tous penseront qu'il est encore parti prendre l'air pour quelques jours. Qu'il s'est fait hébergé pour quelques nuits. Qu'il a encore trouvé un bon gîte et une bonne table pour quelques temps. Chacun vaque à ses activités comme il n'allait pas tarder. Ou comme il n'avait jamais existé. Comme si de rien n'était. La vie continue ici et là tout autour de lui. Lui qui est maintenant couché de tout son long dans le caniveau.


Mener une vie de chat pour mourir comme un chien. L'injustice est trop grande. Alors rendons hommage à ce pauvre matou mort comme un ignorant au bord de la route. Il a le droit aujourd'hui de mourir dignement. Il a le droit de porter un prénom en bon défunt qu'il devient.                                                                      

Il s'appellera Jean René.

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