Esclandre dans l’escalier de Vidocq

Michel Chansiaux


Texte pour la "clameur" de Tcheky Karyo

Esclandre dans l’escalier de Vidocq

Monsieur l’écrivain, conformément à la Loi, je vous relis votre déclaration faite ce jour en mon commissariat du second arrondissement de Paris : Au 13 de la Galerie Vivienne, je me trouvais au rez-de chaussée, au centre de l’escalier et je lorgnais en haut sur le lustre. La tête renversée pour voir à la verticale, j’avais le tournis, il m’a semblé que mon cerveau n’était plus irrigué. Je me suis laissé aller à cet état second. Soudain, je me sentis entrer dans un monde inconnu. Des bruits de pas rapides et furtifs faisaient grincer les marches.

Y a t-il quelqu’un ici ? s’exclamait un homme qui frappait discrètement mais nerveusement comme avec un pommeau de canne , prétendez-vous.

François,  réveille-toi, c’est Honoré !  C’est moi, Balzac, entends-tu tête de mule ? Débride ta lourde Vidocq, je t’en conjure, aboule l’ami !

Oui, ton Vidocq est là, vieux filou, cesse ton grabuge, sinon je vais devoir te faire arrêter !

Ce n’est pas le moment de plaisanter, François, je dois fuir !

T’échapper, toi Balzac, quel crime as-tu donc commis ?

J’ai planté un drapeau à un grand beurrier de la finance, ses rapaces sont après moi !

Me voilà bien mal loti en tant que fondateur du Bureau de renseignements pour le Commerce. Te couvrir, toi, le plumitif dispendieux, alors que je défends les intérêts de ces Messieurs de la Chambre des Métiers de Paris.

François, foutre Dieu, tu n’es quand même pas devenu pleutre au point de renâcler pour une si petite pirouette !

Eh là, ogre des portefeuilles et des bourses, menacerais-tu le plus célèbre bagnard que compta la République, l’Empire et la Restauration réunis ?

Fait moi entrer fanfaron, avant que nous n’ameutions tout l’immeuble !

L’immeuble, j’en fais mon affaire. Tiens pousse toi ! Restez bien dans vos lits, tas de pourceaux édentés, avec vos paillasses puantes ! C’est Vidocq qui vous parle, tremblez dans vos caleçons et vos oripeaux. Qui aura des oreilles pour écouter notre conversation dans les minutes qui suivent ou des lèvres pour la rapporter demain, sera trépassé dimanche. Qu’on se le dise chez vous ! Bande de châtrés et clique de putains !

Buvons alors un coup à la santé des banquiers. François, buvons cette bouteille d’ Armagnac qui m’ a été offerte par l’épouse d’un riche Baron, prêteur sur gages à qui je dois beaucoup !

L’as-tu bien honorée cette garce ? sacré Honoré !

Diable m’est témoin qu’il est bien cocu mon créancier, deux trous j’ai creusé dans sa couche ! Et sa gourgandine, je l’ai fait rougir jusqu’à la trame, l’ayant patinée le jour où elle cassait la gueule à son porteur d’eau!

Je te reconnais bien bien là, mon homme de lettres, tu trempes ta plume dans bien des encriers !

La comédie humaine est une enquête qui se mène profondément dans les interstices les plus secrets, cher bandit policier ! Et avec moi, point de bagnards à ma solde, je fouille, je sonde, je manipule moi-même  avec la seule aide de mon mirliton!

Et avec quelle dextérité tu manies ton grand bâton dans ces endroits là !

Buvons encore, à l’exploration des ces grands cons, de ces grandes contrées, de ces grandes contrariées ! Aux expéditions dans ces noires vallées, dans ces gorges blanches, dans ces bouches de volcans !

Trinquons Honoré à ces belles conquêtes, à ces cons malhonnêtes, à ces cons bouillants dont les maris banquiers ne savent se repaître.

Ils ont beau cependant avoir bourse pleine, ils ont tous la goguotte qui pleure. Leurs triques sont foutraques. Et moi je traque leur sacs à foutre ! Vidocq c’est moi en fait le Prince des Policiers

Honoré, je décore de l’ordre de la Grande Couille ! Prends une troisième gorgée, pour  glorifier celles qui dégustent ta liqueur !

François, qu’ai-je besoin de me cacher la journée, quand les panuches de ces andouilles m’ouvrent leur couche et leur bahut ? Mais pour la nuit, je ne veux point dormir dans leur placard !

Mais grand romancier, la nuit tu te pagnoteras dans leurs antres. Mes souterrains secrets aboutissent sous leurs coffres. Là tu pourras te vautrer dans leurs billets, pisser dans leurs tabatières, poster tes sentinelles sur leurs tapis !

Vidocq je t’arrête, au nom de ma Loi, pour incitation à la débauche d’un modeste citoyen vivant pauvrement de ses bons mots !

Vous me faites là un drôle d’argousin, Monsieur le brodeur de babillards ! Chantons donc plutôt une contine de votre confrère en charibotage, Théophile Gautier  : “  De profundis morpionibus. Et secatis roupettibus, Et excita verolabus “

Eh vous là, cessez de brailler des âneries d’ivrognes en latin dans l’escalier !

Mais, monsieur l’agent,  je rêvassais, je me voyais un grand écrivain ! Et cessez de me menacer avec votre teaser.

Et moi, je m’appelle peut être Vidocq , je vous emballe, vous raconterez vos salades au commissaire.

(nb de signes selon Openoffice 4861)

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