hORs

mathieumateo

SYNOPSIS


Prologue

Un jeune homme fuit dans le désert. Quelque part dans ces mêmes étendues désolées, un autre, plus vieux, regarde le grand silence qui l’entoure.

Récit

La vie se déroule, normalement chaotique, pour les Molina, une famille typique de la classe moyenne de Buenos Aires. Claudia vit pour et par son fils Nahuel, tandis que David voit ses journées englouties par les difficultés innombrables que la ville vous oppose et noyées sous les frustrations quotidiennes du travail.

Cependant, petit à petit, le comportement de Nahuel commence à inquiéter Claudia : à certains moments bien particuliers, il lui parle comme s’il était une vieille bergère de lamas des Andes. Elle est intriguée par certaines circonstances — qu’elle ressent comme mystérieuses — entourant ces moments-là ; David, lui, hausse les épaules, considérant que c’est un jeu ou une fantaisie de gamin. Jusqu’au moment où la vieille Ernesta, par la bouche de Nahuel, commence à parler d’un trésor caché dans ses montagnes.

David, fatigué par cette vie qu’il considère comme un échec et qu’il vit comme un trou noir où son temps et son énergie disparaissent sans qu’il puisse rien y faire, fait alors une découverte qui va tout changer : d’après lui, certaines informations transmises par Ernesta ne pourraient pas être connues d’un enfant de Buenos Aires comme Nahuel. Un bouleversement s’opère en lui : le trésor donne un nouveau sens à sa vie et, comme possédé par cette chimère, il va se concentrer corps et âme à sa recherche. Il en est convaincu : c’est sa grande, sa seule, sa dernière chance de vivre une vie moins bornée et de pouvoir offrir à sa famille tout ce dont il rêve pour eux.

Claudia, quant à elle, se demande ce qui arrive à son fils : elle demande conseil à son amie professeur de yoga qui lui parle de réincarnation, à sa mère qui lui évoque la schizophrénie de son père, à un psychologue qui trouve Nahuel parfaitement normal.

David entreprend plusieurs voyages dans les Andes. Après le choc de l’immensité, du vide et du silence, il va découvrir, petit à petit, que le trésor d’Ernesta n’est pas de ceux qu’on enfouit sous la terre ou qu’on garde dans un compte en banque. Le récit s’achève avec l’évocation d’un nouveau départ pour la Puna, mais on pressent que celui-ci est définitif. S'agit-il alors d'une quête du trésor ou d'une fuite pure et simple? On comprend alors que les premières lignes (le prologue) retracent la fuite de Nahuel, jeune adulte, alors qu’il s’enfonce dans le désert des hauts plateaux andins pour retrouver son père, qui a lui-même fui dans la Puna de nombreuses années auparavant.

Le roman tâche d'avoir une dimension fantastique : on ne sait jamais réellement ce qui se passe dans ces moments où Ernesta semble parler par la bouche de Nahuel — folie ? phénomène paranormal ? hasards et coïncidences du jeu ? connaissances acquises par ailleurs ? Cette indécision est renforcée par l’hétérogénéité du texte : des lettres étranges et les entrées d’un journal le ponctuent (on comprendra finalement qu’il s’agit des lettres écrites depuis son isolement psychiatrique par le père de Claudia et du journal de la petite-fille d’Ernesta, partie à Buenos Aires pour fuir la pauvreté de sa province.) "hORs" est ainsi construit autour de la tension et de l’opposition entre la ville et le désert, le masculin et le féminin, l’intérieur et l’extérieur, la folie et la raison, le matériel et l'immatériel, l’emprisonnement et la possibilité de la fuite.

DEBUT DU ROMAN

Prologue

Le silence repose sur la terre comme au premier jour. Deux yeux l’observent, patiemment, du fond d’un buisson de rides : il regarde les choses qui sont devant lui, adossé à un mur de pierres grossier.

C’est ainsi qu’il voit s’élever vers l’Est le nuage que soulève sur son passage cet autre, qui s’en vient. Tout pareil à lui mais plus jeune, et le cœur battant. Sous la poussière qui projette ses tourbillons jaunes dans le bleu, des heures qu’il roule. Des heures à travers le grand rien, l’immensité du grand rien, les mains crispées sur le volant que les cahots de la piste font vibrer. Des heures à se demander s’il ne s’est pas perdu, quand il arrivera, s’il arrivera, le cœur battant. Et la tête lui tourne, tant il s’est oublié dans la fuite, tant il est devenu cette course, tant sa courte vie se résume à présent à ce qu’il trouvera, ou ne trouvera pas. Il est un vertige, il est une pulsation trop rapide, un nuage poudreux soulevé du grand vide. Il ne se retournera pas car il n’a plus qu’une face, celle qui le projette en avant à la suite de ces yeux fixés sur le sable, de ce cou tendu, de cette poitrine qui se soulève sur un coeur battant.

Pourtant le silence repose sur les terres où il aime encore à se promener. Et du fond d’un buisson de rides, deux yeux laissent le tourbillon jaune au vent du désert qui saura bien le disperser. Adossé à un mur de pierres grossier, il regarde les choses qui sont devant lui.

Sous un ciel immense et lointain, une plaine jetée entre des monts arides, des monts de sables rouges, de reflets bleutés, de rondeurs changeantes. Sous un soleil qui inlassablement repeint son décor d’azur impeccable, quelques herbes s’obstinent à pousser, sèches et cassantes déjà, colorant le plateau du jaune de l’hiver. Sous le vent des grandes hauteurs qui depuis longtemps a emporté vers des ailleurs plus accueillants le vert de l’été, elles s’en remettent à la rivière. Elle, têtue aussi comme il faut l’être pour habiter le désert, se refuse à oublier son chemin à travers les sols érodés par une solitude millénaire. Sur ses rives quelques lamas disséminent au long du plateau leurs taches brunes, blanches ou noires. Les lamas paissent et le vent passe, sur le fond du tout grand silence que l’homme embrasse du regard, tranquille.

Première partie

– J’y vais, je suis à la bourre. N’oublie pas, on doit encore juin et juillet à l’école.

Lorsque la voix aiguë et un peu criarde se fut tue, le petit homme aux cheveux noirs et courts, au teint pâle et aux yeux cernés acquiesça sourdement puis, élevant la voix par-dessus son épaule :

– Nahuel ! Debout ! On va être en retard !

Ensuite il y eut les percussions des bottes jusqu’à la porte, le fracas des clefs dans la serrure parce que derrière toute la cage d’escalier fait caisse de résonance, et la chevelure blonde fraîchement redécolorée disparut. Puis de nouveau, le bruit métallique, mais cette fois pour fermer ; après, les coups de talons, rapides, qui s’éloignent, et le retour au silence vrombissant du matin qui commence : un klaxon dans un lointain trop proche, une moto qui profite des cent mètres entre deux intersections pour faire une pointe, les soupirs stridents d’un bus sur le dos-d'âne de la rue adjacente. Mais rien du côté de la chambre du gamin. David regarda la grosse montre qui occupait tout son poignet, termina son café d’une gorgée et parcourut les quelques mètres qui séparaient la cuisine de la chambre de son fils. Lequel s’était rendormi pour la troisième fois, ce qui imposa qu’on l’habillât, avant de l’asseoir, à peine conscient, devant son bol de céréales, qu’il se mit à manger machinalement, alternant avec de petits plongeons dans sa tasse de café au lait. Dix minutes plus tard, David et son fils étaient dans la Corsa, et aussi dans le flux si peu fluide de la circulation matinale. On freine plus qu’on n’accélère, on passe, on ne passe pas, on esquive et on s’énerve. Et finalement, du manière ou d’une autre, on arrive. Ce n’est qu’alors, le grand bâtiment gris ayant apparu le long de la rue Arcos, que l’homme se souvint qu’il n’avait pas avec lui l’argent qu’ils devaient à l’école. Comme Nahuel était déjà en retard, il le déposa tout en indiquant au regard à la fois réprobateur, insistant et un rien méprisant l’attendant sur le perron qu’il revenait avec l’argent dans cinq minutes.

A Buenos Aires, « revenir dans cinq minutes », c’est toujours une façon de parler. C’est comme « ne t’en fais pas, tout va bien se passer » ou « je t’appelle et on se boit un café ». La ville vous a des gouffres, des zones de néant qui s’ouvrent soudainement et font disparaître individus et promesses ; ou c’est une muraille infranchissable qui se dresse ce matin, là où hier encore il y avait une avenue ; ou alors surgissent, de l’abîme d’une station de métro sur le point d’être terminée depuis dix ans, des monstres qui dévorent les volontés les plus fermes. C’est ainsi que « je t’appelle et on se boit un café » se transforme en un adieu définitif, que « tout va bien se passer » devient le plus irréaliste des pronostiques, que les cinq minutes deviennent, dans le meilleur des cas, un quart d’heure, plus souvent le double, parfois une éternité.

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