Hot couture

Vil Vince

SYNOPSIS

Rond et gras, Nico a tendance à épouser la forme des hamburgers qu’il engloutit sans modération, en rédigeant ses articles pour un magazine sportif. Grande et svelte, Barbara est une superbe fleur bien arrosée par la nature et baignée dans la lumière médiatique que projette sur elle son métier de mannequin. Habituée à changer aussi souvent d’hommes que de vêtements luxueux, elle dévore les amants sans aucune restriction, avec un goût particulier pour les footballeurs célèbres. Elle vient d’ailleurs de publier un livre dans lequel elle raconte les dessous de ses relations avec quelques joueurs de l’équipe de France, bien embarrassés par la révélation de ces aventures, sur lesquelles ils auraient aimé poser le couvercle de l’oubli. Attiré par le parfum du scandale, Planète Foot a décidé d’envoyer Nico interroger cette plante si vénéneuse. Complexé et timide de nature, il passe une heure agréable avec Barbara qui, à la fin, lui propose de le revoir très vite.

Croyant à une plaisanterie de sa part, il lui répond sur le ton de la boutade que, dans deux jours, est organisé le traditionnel dîner entre collègues de Planète Foot et qu’elle peut l’accompagner, si elle veut. Elle lui répond oui le plus sérieusement du monde et lui donne son numéro de portable, tandis qu’il la regarde avec des yeux ronds comme un ballon. Pendant les quarante-huit heures suivantes, il s’imagine qu’elle s’est moquée de lui et ne dit rien à quiconque, pour ne pas se draper dans le ridicule. Pourtant, le soir du repas, elle est présente, beauté foudroyante qui fait naître des éclairs de désirs dans les yeux des autres journalistes. Ces derniers raillent d’ordinaire le physique de Nico et n’utilisent même pas de sous-entendus pour affirmer que, sur un plan sexuel, son existence de célibataire doit être aussi captivante qu’un documentaire sur les tortues. Mais, pour une fois, ils ne peuvent que mordre leur langue de vipère, surtout quand elle invite leur souffre-doueur à partager une danse sensuelle, en fin de soirée.

Tout à coup, Barbara, de plus en plus collante, propose à Nico de sortir prendre l’air. Une fois dehors, elle l’embrasse goulûment, sous le regard incrédule de ses collègues, puis part brusquement en lui promettant de le rappeler très vite. Nico plane alors pendant deux jours, avant d’atterrir en catastrophe lors de son arrivée dans la rédaction, un matin : les murs sont recouverts de la une de Voilà, photocopiée à l’infini. En couverture de ce magazine trash figure une photo de lui et Barbara en train de s’étreindre et ainsi légendée : " C’est la version moderne de La Belle et la Bête : la star des défilés avec un jeune homme gras comme un Mcdo. L’effet d’une dépression ou de l’alcoolisme ? " Tout s’écroule autour de lui, sous les rires diaboliques de ses collègues, sorte de musique d’enfer. Seule Corinne, une collègue, toujours avenante envers lui, semble s’apitoyer sur son sort devenu bien moins aguichant.

Il appelle Barbara pour essayer de comprendre, mais elle ignore ses nombreux appels. Furieux et blessé, il prend la résolution de changer ses habitudes alimentaires et de se jeter dans le sport pour fondre au plus vite et ne plus jamais subir de sarcasmes. En même temps, il décide de mener l’enquête et apprend, grâce à un ancien camarade de l’école de journalisme employé par Voilà, que des paparazzi avaient été conviés par un coup de fil anonyme à venir prendre des photos de Barbara et lui. Intrigué, Nico explore la vie du mannequin avec l’aide de Corinne et apprend qu’elle est victime d’un chantage. L’un de ses anciens amants ne supporte pas qu’elle l’ait quitté et menace de diffuser sur Internet une vidéo compromettante : on la voit, lors d’une soirée alcoolisée, se moquer avec force de la marque de parfum dont elle est l’icône coûteuse. Pour éviter de perdre son contrat, Barbara doit donc honorer d’humiliants gages : le premier était de séduire un type disgracieux.

Attendri, Nico décide alors de l’aider et d’aller chercher la vidéo dans le bureau du maître-chanteur, président d’un très grand club de foot. L’arrivée inattendue de ce dernier oblige Nico à se cacher, ce qui lui permet de saisir une information cruciale : l’individu en question vient de conclure le transfert d’une star mondiale pour la saison à venir, mais l’opération doit demeurer secrète durant plusieurs mois, au risque d’échouer. Nico repart à Paris avec l’idée de proposer un échange à l’amoureux déçu : la vidéo contre son silence au sujet du transfert. A sa descente de l’avion, il reçoit un coup de fil de Barbara, désireuse de le voir au plus vite. Sans le laisser parler, elle lui explique qu’elle est piégée et que son second gage doit être de coucher avec lui dans un club libertin très fréquenté par les people. Le dégoût sans fard qu’elle affiche à cette idée, cumulé à son absence de remords et d’excuses pour s’être servi de lui, froissent le jeune journaliste et le conduisent à mettre de côté sa compassion.

Il ne lui parle donc pas de ses découvertes et accepte de venir au rendez-vous, par vengeance. Le soir-même, il la retrouve accoudée au bar et grisée par plusieurs verres, destinés à lui faire oublier son aversion pour son partenaire d’un soir. Elle le mène dans un recoin et entame un strip-tease brûlant, mais il la repousse avec la froideur d’un iceberg et quitte les lieux. Il contacte aussitôt le maître-chanteur et récupère la vidéo, qu’il envoie à Barbara avec le mot suivant : " Ni lui ni moi ne porteront plus atteinte à votre réputation. " Elle lui fait répondre : " Merci pour tout. La Bête, c’était moi, pas vous.  Ce n’est pas l’enveloppe qui compte, mais ce qu’elle contient. " Huit mois après, il la croise par hasard sur un stade. Comme il s’est délesté de vingt kilos et a redessiné son look, elle ne le reconnaît pas de suite. Il se présente, elle s’exclame : " Ton corps est devenu aussi beau que ton âme. C’est la première fois que je me sens si amoureuse. " Gêné, il rétorque : " Moi aussi, mais d’une autre, grâce à cette histoire. "  Surgit alors Corinne, qu’il prend délicatement dans ses bras.

                       CH.1

Pierre Ponce, le rédacteur en chef de Planète Foot, claqua la porte d’entrée du journal comme on donne une gifle, avec une fureur mêlée d’exaspération. Même s’il les subissait depuis quinze ans, les bouchons qui gelaient la circulation sur la N118 en direction de Boulogne-Billancourt avaient toujours le don de faire déborder sa colère, comme une rivière quitte son lit. Dans ces moments-là, il parlait de la même manière qu’il écrivait ses articles, avec des mots aiguisés et des formules tranchantes. Il lui arrivait donc, très souvent, d’entailler la susceptibilité de ses collaborateurs.

" Nico, je cherche ma chaise, lança-t-il à un journaliste, qui était le dernier embauché. Tu me l’as prise ?

- Non, j’ai déjà la mienne.

- Je sais bien. Mais, avec le derrière que tu as, je pensais qu’il t’en fallait deux ! "

Cette attaque blessa légèrement le jeune homme au visage poupin, qui chercha du regard un appui dans la rédaction. Mais Corinne fut la seule à voir un nuage de tristesse passer dans les yeux du souffre-douleur, car les autres enfouirent leur tête dans le journal. Chacun savait que, dans ces moments de tempête, il fallait surtout rester imperméable à toute idée de bravoure. Alors, d’un signe de la main, Nico remercia sa collègue pour le réconfortant sourire éclos sur son minois gracieux et repris le fil de sa lecture, très vite coupé, de nouveau, par le retour de l’irascible patron. Du haut de son mètre quatre-vingt cinq, surmonté par une tête fatiguée qui ne cachait rien du stress et des soucis inhérents à sa fonction, Pierre Ponce s’avança vers le bureau de plus jeune de ses journalistes. Il lui tendit une tasse de café, assortie d’un rictus qui lui demandait pardon.

" Nico, je peux être horible, mais tu sais que je t’aime bien.

- Je n’en ai pas la preuve tous les matins !

- Tu ne diras plus ce genre de choses lorsque tu sauras ce que je t’ai réservé ! Tous tes collègues vont te haïr durant des semaines !

- Je vais couvrir la finale de la Ligue des champions, à Madrid ?

- Mieux que ça !

- Tu m’envoies suivre la prochaine Coupe du monde, en Afrique du Sud ?

- Mieux que ça !

- Ce sont mes deux plus grands fantasmes de journaliste sportif !

- Je t’offre ton plus grand fantasme de mec. Une bombe atomique ! Tu as rendez-vous dans une heure avec Barbara Pineup, au salon de thé de l’hôtel du Fouquet’s. Tu sais peut-être qu’elle s’apprête à sortir un livre de révélations sur sa vie ?

- Oui, mais je ne vois pas le rapport entre un célèbre mannequin au physique incandescent qui passe son milieu au lance-flammes et Planète Football !

- Elle a couché avec des tas de footballeurs connus, apparemment. Et elle est prête à nous lâcher en exclusivité quelques-unes de ses plus affriolantes révélations. Dans la situation économique où l’on se trouve, avec des ventes aussi molles qu’un chamallow, on ne peut pas cracher sur un coup de fouet de ce genre.

- Pourquoi moi ?

- Tu préfères te rendre dans l’Oise, à la place ? Il y a un sujet à réaliser, dans le cadre de la Coupe de France, sur un petit club situé près de Beauvais, qui a une femme pour président. Elle attend un de nos reporters dans sa boucherie-charcuterie, ce soir. Alors, tu vas voir le canon ou la vitrine remplie de boudins ? "

Cette saillie déclancha chez ses collègues mâles une salve de rires teintés d’un peu de jalousie, tant le tête-à-tête impromptu avec l’égérie des parfums Fragrance émoustillait chacun d’entre eux. Pour ne pas rater cette occasion unique d’égayer son lundi et, par ricochet, d’attiser l’envie de ses camarades, il s’empressa de vêtir sa doudoune couleur charbon et fila, non sans glisser un regard espiègle à Corinne. Il se sentit un instant tel un enfant qui joue un tour pendable aux plus grands dans la cour de récréation, tel un chenapan qui dérobe une part de bonheur ne lui étant pas destinée. Cette pensée le fit avancer, pour une fois, d’un pas léger vers le hall de l’immeuble, dont les murs étaient entièrement mangés par des photos géantes de footballeurs tout aussi imposants. Comme il travaillait pour son magazine préféré depuis seulement six mois, il ne se lassait pas de scruter cette farandole de grands joueurs, avec une intensité semblable à celle que son regard exprimait le jour de son arrivée. Il prit donc le temps de contempler une fois de plus la sublime élégance de Johan Cruyff, avant de s’arrêter entre Platini et Zidane, à hauteur d’un miroir qui lui renvoya l’image haïe de son corps déformé. A cause de ce reflet, sa joie s’enlisa dans les sables mouvants qui obstruaient en permanance son esprit. " Elle va me trouver gros et moche et se demander pourquoi le journal lui a expédié le moins sexy de ses représentants ", se lamenta-t-il en prenant la direction du métro, distant de quelques centaines de mètres. Pour le rejoindre, il fallait tourner le dos au quartier de l’Île Seguin, une vraie ruche humaine d’où s’échappait l’incessant bourdonnement des ouvriers, occupés à bâtir des immeubles ou à refaire des routes. La date d’expiration des travaux de voirie était dépassée depuis plus de six mois mais ceux-ci continuaient, pour le plus grand déplaisir des automobilistes, parfois coincés par le stationnement inopportun d’un camion de chantier. En général, le trafic n’était pas plus fluide le long du boulevard conduisant à la porte de Saint-Cloud, passage obligé pour aller emprunter la ligne neuf et effectuer un trajet sans escale vers les Champs-Elysées. La célèbre avenue, gorgée en permanence de touristes agglutinés sur les trottoirs comme des abeilles autour d’un pot de miel, s’offrit à son regard dès onze heures du matin. Sous un ciel peint en gris et tapissé de nuages, il prit la direction de la prestigieuse enseigne, passa la porte tournante et grimpa jusqu’au premier étage. Il avait déjà pris un verre avec un agent de joueurs, en ces lieux prisés par une clientèle haut de gamme, où le prix des consommations suit une courbe affolante. Il se souvenait donc des hôtesses aussi chics que l’établissement, postées à l’entrée pour mener les visiteurs à l’une des rares tables restées libres, dans une atmosphère guindée. Avant même d’être abordé par une des deux femmes, Nico repéra au milieu du salon de thé une brunette correspondant au portrait-robot de l’attachée de presse, tel qu’il le dessinait dans son esprit : trench, tailleur et talons, soit la règle des trois T.

" Bonjour, Nicolas Duval, de Planète Football.

- Bonjour, répondit-elle en lui serrant la main. Je suis Christelle Bonnet, des éditions Laplume. Barbara va arriver dans quelques secondes, elle vient de quitter la chambre d’hôtel où elle faisait quelques clichés pour un magazine. Asseyez-vous. Je connais très bien votre collègue Jean-François, qui possède des parts dans une librairie parisienne. "

Jean-François était considéré comme le play-boy de la rédaction, car il accumulait les conquêtes avec une âme de collectionneur insatiable. Comme il était essentiellement stimulé par le challenge de la capture, à peine avait-il attrappé une proie qu’il la délaissait, pour en convoiter une autre. Aussi, l’évocation de ce collègue ne détendit-elle pas Nico qui, avant de venir, avait déjà l’impression d’être convié à un concours de beauté dont il serait d’avance le perdant. Il se tortilla sur sa chaise, sans savoir où mettre ses kilos en trop, ce qui eu pour effet de faire glisser quelques gouttes de transpiration le long de son dos. Heureusement, précédée par un murmure d’admiration qui parcourut les gens, hommes et femmes mêlés, Barbara Pineup entra dans le salon comme un soleil qui troue les nuages avec son plus ardent rayonnement. Une robe de mousseline noire, posée sur sa peau diaphane, créait un constraste sublime et ensorcelait ceux qui avaient le bonheur de poser les yeux sur elle. Sous le regard gourmand et envieux des voisins de table, elle s’assit et salua le journaliste avec simplicité.

" Pardonnez-moi d’être habillée de façon si peu discrète mais, comme la séance photo n’était pas finie, j’ai préféré venir pendant la pause, pour ne pas vous faire attendre indéfiniment.

- La patience est une vertue fondamentale quand on exerce mon métier, vous savez. Parfois, j’interviewe des footballeurs qui ont l’impression d’être en avance quand ils n’ont qu’une heure de retard ! "

Surpris par son aisance inattendue devant une aussi majestueuse beauté, Nico se relaxa et, sans s’en rendre compte, lui envoya un sourire discret qu’elle lui rendit aussitôt au centuple. 

A suivre…

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