En toutes lettres
anton
Synopsis
« L'amour est simplement le plus gros mensonge inventé par quelques stupides rêveurs. C'est un fond de commerce, une excuse facile, une vraie mode.
Je le sais, je suis tombé amoureux une fois. Je souhaite de tout mon cœur que cela ne vous arrive pas. Pourquoi vous d’ailleurs ? Ce serait injuste, depuis le temps que je cours après... »
Notre héros, ce crétin a presque tout de classique. Il croit que l'herbe est plus verte ailleurs. Il pense vieillir trop vite. La fuite des responsabilités, un amour de jeunesse perdu, la banalité du quotidien, la peur de l'engagement… Accordons-lui cet acte de bravoure : il va chercher à s'en sortir.
Essayer de tout chambouler sans vraiment réussir, par manque de courage mais aussi de chance. Surtout, en fait, par manque de courage.
Comme souvent, la curiosité peut largement faire l’affaire. Il suffit d’une lettre écrite par une inconnue qui l’entraine dans une suite de rendez-vous mystérieux et de défis improbables.
Elle ne se montre pas, jamais, mais il sait que c’est la femme de sa vie. Et il fera tous les sacrifices pour voir enfin le visage de son fantasme. S’il faut pour ça mentir, trahir et oser la folie, s’il faut pour ça être un salaud ca lui est égal.
Heureusement, notre héros a des amis. Toujours prêts à donner leurs opinions, de bons conseils tout droit sortis d'un manuel de philosophie pour les nuls. A prendre au mot.
Épaulé par son entourage demeuré fidèle, du couple échangiste à l'homosexuel célibataire, il va parcourir sa quête égoïste à laquelle rien n’échappe. On parle bien de mangeuses d'hommes, de dragueurs ridicules, de coucheries, de bébés, de mariages, de promesses, d'internet et de chocolat.
Avec l'espoir de trouver dans toutes ces épreuves l'être aimé. Ou peut être finalement, pour trouver juste assez de sagesse pour accepter son sort.
Mais tout le monde ne peut pas être bouddhiste.
Chapitre I
Je suis fatigué.
Une journée pénible. Une de plus, dans un travail pénible, avec des clients pénibles, un patron stupide. Un peu moins que mes collègues qui me servent d’amis.
Pour changer, l’ascenseur est en panne et j’ai eu la bonne idée d’habiter au cinquième étage. L’escalade commence et à peine arrivé au deuxième, je suis déjà essoufflé. Ma profonde interrogation sur ma jeunesse sportive et les méfaits du tabac m’empêche de détecter l’embuscade. Ma voisine de pallier est aux aguets.
C’est une vielle dame retraitée à la recherche de son chat. Une bonne excuse pour m’intercepter au passage. Je pensais être enfin chez moi je dois encore endurer ses réflexions sur le temps, la pollution et enfin le facteur qui n’apporte jamais les lettres de ses petits enfants. Par respect pour la profession, je ne souhaite pas en entendre d’avantage.
Je cherche mes clefs, tente d’en faire entrer deux dans la serrure avant de trouver la bonne. Elle ne tourne pas. La vieille étonnée, derrière moi, oublie un moment notre pauvre facteur pour me faire remarquer que la porte n’est pas verrouillée. Je laisse deux secondes se passer avant de comprendre.
Evidemment, elle n’est pas verrouillée. On est mardi. Seulement mardi. J’ouvre la porte et la referme aussitôt. Un « Je suis pressé, bonne soirée » lancé en fuyant m’évite à peine de passer pour un monstre. Et bien quoi, c’est ma faute si elle se sent seule ? Et pourquoi devrais-je supporter ses jérémiades ? A-t-elle seulement des petits enfants d’ailleurs ?
La porte refermée, je souffle enfin. Je laisse tomber mon sac, mon manteau, retire mes chaussures sans défaire les lacets pour me trainer vers le salon. Sans surprise elle est là, dans mon canapé. Elle lève les yeux de son magazine et me sourit.
Elle, la belle blonde rencontrée deux ans plus tôt dans une rame de métro. Elle, la femme avec qui je partage tout, la femme de ma vie, mon amour, mon désir, ma future épouse, la future mère de mes enfants, la future vieille qui cherche son chat.
Et je le sais. D’un seul coup, comme une révélation, une évidence si frappante qui pourtant m’avait échappée. Je ne l’aime pas. Ou plutôt, je ne l’aime plus. Cette idée m’achève et je m’effondre dans le fauteuil en cuir. En oubliant une fois de plus qu’il parait confortable, mais qu’il ne l’ai pas.
Un fauteuil branché, design, trouvé sur catalogue, comme la décoration de mon salon que je déteste. Je tente de m’avachir et de chercher un peu de confort. Avec sa voix douce, Cathie me pose ces mêmes questions, mille fois entendues. Ta journée ? Que veux-tu manger ? Tes parents ont téléphoné, tu veux les rappeler ?
Je ferme les yeux pour m’enfuir de cette impression de déjà vu, pour retrouver la fille qui me faisait vibrer, pour donner une chance à mon salon, pour donner une excuse à ma vie.
Quand je les ouvre à nouveau rien n’a changé, tout est encore là. J’aurais voulu être magicien.
« Je fais réchauffer le reste de lasagne, et on passe une soirée tranquille, ça te va ? »
Sans attendre ma réponse, elle se dirige vers la cuisine. Non ça ne me va pas. Je fixe le couloir et la porte d’entrée. Je pense à m’enfuir. Si je veux éviter d’autres questions, il faudra que je sois rapide.
Courir, sans prendre la peine de mettre de chaussures… courir en chaussettes vers le premier bar. Et boire, jusqu’à m’en rendre malade, jusqu’à être inconscient. Je me demande si je serai capable de tout abandonner. Si j’ai une conscience professionnelle, quels meubles garder, quels livres céder en cas de séparation. Je me demande si je suis capable de tuer un chat. Si on parle anglais en Tasmanie. Si je pourrais m’y cacher, y vivre et tout recommencer.
Je me demande combien coûte un bateau de pêche et si je serais capable d’apprendre à différencier les poissons. Je crois que oui. Je sais que je saurais. J’en ai l’intime conviction. Alors que je me lève, Cathie revient dans le salon.
D’un pas feutré. Sans faire de bruit, elle m’aurait presque fait sursauter. C’est une fille plutôt discrète, elle ne fait pas de bruit… Jamais. Toujours de sa voix douce, elle me dompte : « Tu peux mettre la table, s’il te plait ».
Et polie en plus. Je suis piégé, j’abandonne mon idée de fuite pour obéir docilement. Dehors il se met à pleuvoir. Mes chaussettes n’auraient pas tenu le coup. Je me rassure : ça s’est vraiment joué de peu. Demain peut-être ?
Oui demain, sûrement. Le même demain vieux de 3 ans. Ce demain là, il porte le nom d’une femme. Une autre. Pas besoin de faire une psychanalyse pour savoir ce qui ne tourne pas rond dans ma tête.
On croit faire l’impasse, tourner des pages et des pages, faire couler des tonnes de flottes sous je ne sais quel pont. Au final, je suis toujours frustré. Des « si » qui vadrouillent dans mes petits rêves, avec un seul point commun. Amandine.
Ca sonne comme une torture, comme un virage raté prit à pleine vitesse, un crash d’avion, une maladie terrible qui vous colle à la peau. Une amputation qui ferait de moi un handicapé de la vie, du bonheur, un cliché sur la solitude à moi seul . Dans les meilleurs jours, c’est du type : et si je ne l’avais pas rencontrée ? Dans les moins bons, et si je n’avais pas tout gâché ?
Retour direct et brutal aux lasagnes. Elles sont tièdes et trop salées. Sans lever la tête je me sers un verre d’eau. Je n’en propose pas à l’ange blond en face de moi. Elle entame le récit de sa journée, et dès les premiers mots je décroche déjà. Est-ce qu’un jour je m’en suis déjà réellement soucié ? J’ai dû m’intéresser à ces banalités, au moins au début de notre relation. Je force un sourire, en me disant que ça ne coûte rien. Elle ne remarque pas la grimace. Très vite, je reprends cette technique ancestrale qui consiste à hocher la tête, se concentrer sur les lasagnes, sur la pluie qui vient frapper aux carreaux, sur la lumière trop tamisée…
Elle abandonne son récit au palpitant passage de la pause café entre collègues et change de conversation. Elle tente de me lancer sur un film, dont elle a entendu beaucoup de bien. Sans grands succès. Je ne sais pas si je suis mauvais acteur ou si elle me connait par cœur. Mais elle voit très facilement que ça ne n’accroche pas. Pourtant elle ne va pas se vexer. Non, Cathie ne se vexe jamais. Un moment de silence passe, gênant, elle propose de mettre la télévision pour voir les informations.
Il y aura bien une guerre pour me distraire. Des chiffres du chômage pour me féliciter d’être employé. Et avec de la chance, une bavure politique qui nous lancera dans un débat puérile. Pour faire passer le temps. Elle débarrasse et me propose de faire la vaisselle. Je ne me souviens pas l’avoir fait ces deux derniers mois. J’hésite un moment, une sorte de culpabilité déplacée.
« Tu as l’air fatigué, va te reposer… pourquoi tu ne jouerais pas un peu de guitare ? Ca fait longtemps ! »
Tu m’étonnes. Je dois savoir jouer en tout et pour tout, allez… quatre chansons différentes. Si c’est pour ressortir les vieux tubes destinés à draguer pendant mes soirées de fac, non merci. Direction le salon, j’ai choisi de m’abandonner au culte sacré de mon écran télévisé.
Je zappe, naviguant entre une centaine de chaîne pour échouer sur un documentaire. La faune et la flore d’une île perdue.
Encore un signe du destin. Je pars toujours du principe que le destin me veut du bien. Souvent à tord en fait… mais on ne lutte pas contre le destin. L’image m’absorbe, je ne pense plus à rien en attendant le moment où il faudra retenir quelques noms de poissons tropicaux. Je voulais être cosmonaute, je rêve d’être pêcheur.
Je la déteste tellement, Amandine, que je donnerai tout pour savoir ce qu’elle fait en ce moment. L’appartement, la guitare, mes chaussettes et mon couple en prime.