Il était une femme
momo84
Deux ans sans nous revoir. Et ce message au petit matin.
Ensemble, nous avions passé des heures en confidences, des soirées entières en sarcasmes, en fou-rires, en chuchotements. Les hommes nous inspiraient beaucoup. C'était même notre principal sujet de dissertation. Nous découvrions que nous avions eu les mêmes amants. Le landerneau de nos vies voisines était étroit, entre théâtre et vies professionnelles.
Un soir, nous avions rédigé une sorte de cahier d'évaluation très sérieux où nous avions noté « nos mecs » sur fond de carte du tendre aux critères subjectifs : douceur, endurance, préliminaires, cunnilingus, éjaculation, caresses…
Et de rire de nos impressions parfois si éloignées, et de les justifier par des degrés d'attachement, de fréquence de rencontres, de la température ou de la vitesse du vent au sol !
Quelques verres de vin et deux ou trois liqueurs plus tard, nous nous endormions sur le canapé du salon, l'une contre l'autre.
J'aimais beaucoup Françoise. Terriblement séduisante, elle capturait les hommes comme on saisit au vol une mouche pour la relâcher immédiatement, dans un éclat de rire triomphal. Les femmes la redoutaient. Elle avait peu d'amies. J'étais une des rares à la recevoir chez moi, à lui présenter mes conquêtes.
Aussi frivole qu'elle, je ne craignais pas la concurrence. Les liens qui m'attachaient à mes amants étaient si tenus que c'est à peine si je les sentais craquer. Nous étions complices, redoutablement. On nous disait un peu sorcières.
Puis, un jour, la vie posa six cents kilomètres entre nous. La séparation fut larmes amères, mais on se promit…et le temps passa, ponctué de quelques lettres tendres.
Et voilà qu'elle revient ce jour de mai. Je suis fébrile, heureuse, impatiente.
Sur le quai de la gare, j'aperçois sa démarche chaloupée, outrancièrement chaloupée. Elle n'a pas changé. Fine, élégante, aérienne. Je la serre dans mes bras, elle me dit que je suis en beauté, je lui demande pourquoi elle a coupé ses cheveux. Elle répond en riant : « Un coup de canif dans ma féminité ! ».
Je comprends qu'elle est lasse de son pouvoir de séduction. Envie d'être aimée plus que désirée. Elle se raconte : son boulot est intéressant, dans un centre d'éducation spécialisée, sa vie sentimentale en vrac, de ruptures en ruptures, son environnement citadin la déprime. Besoin de nature et d'oxygène.
Elle rit beaucoup, un peu fort, un peu trop fort. Je la devine tendue.
Je lui dis que mes enfants ne sont pas à la maison, nous serons tranquilles pour papoter. Un petit restau et soirée confidences, deux ans à rattraper.
J'ai prévu du vin pour la nuit.
Elle a envie de revoir sa petite ville. Nous en faisons le tour, en commentaires ironiques. Pas de connaissances à l'horizon, inutile de s'arrêter.
Nous entrons dans mon appartement. Françoise donne son avis sur tout : ce qui a changé, ce qu'elle retrouve avec plaisir. « Ton parfum m'a manqué ».
Dans la chambre d'amis, elle déballe ses vêtements, qui ont chacun leur histoire. « Tiens, ça, c'est pour toi ! ». Un déshabillé très sexy en dentelle turquoise « la couleur qui te va le mieux », un trois pièces string - soutif - caraco.
- Tu penses que j'ai besoin d'autres arguments maintenant pour séduire ?
- Hé ! Hé ! Nos mecs commencent à prendre de l'âge ! Nos beaux yeux ne suffisent plus à leur libido !!! Allez ! Essayage !
- Non pas maintenant ! Demain matin, je te fais un « pretty woman », promis !
Sa moue un peu déçue finit en éclat de rire.
Passage obligé dans la salle de bain avant la séquence restau !
Maquillage et bavardage. Sur l'échancrure de mon pull, elle pose ses mains. Je retiens un frisson. « J'ai toujours aimé ta nuque et tes épaules ». Son regard a changé. Il est devenu plus noir, plus brillant. Un petit malaise me pince le ventre. « Coiffe moi, tiens ! » Elle s'exécute avec application, sans dire un mot.
Nous nous asseyons face à face au restaurant, une table un peu à l'écart.
A la manière dont elle commande, je retrouve ma Françoise séductrice, avec ses yeux de myope un peu plissés et son sourire carnassier. Elle mange par petites bouchées, en gardant les morceaux longuement au bord de la bouche, puis passe la langue sur ses lèvres en me fixant bien de ce regard que je ne connais pas.
Je commence à être gênée. Un nouveau jeu ? Elle parle en minaudant, me fixe intensément. Je détourne son attention sur deux types qui nous observent depuis un moment. Elle leur décroche son sourire félin et cinq minutes après, une bouteille de champagne arrive sur notre table. Les types ne vont pas tarder à suivre. « On va s'amuser un peu ! »
Et la comédie commence ! Elle n'a rien perdu de ses talents d'allumeuse et j'avoue que j'ai du mal à suivre. Le malaise me reprend quand je sens sa jambe caresser la mienne sous la table, et son pied déchaussé se glisser le long de ma cuisse.
Je m'éloigne pour fumer. A distance, je la vois frétiller entre les deux types qui sont déjà en sueur. Elle s'agite langoureusement sur sa chaise en me lançant des regards entendus.
J'ai toujours ce pincement au ventre. Comme si notre complicité avait pris une autre couleur. Nous étions proches, tendres et affectueuses, mais jamais dans le désir. Je pressens que quelque chose a changé dans son attente. Et que nous ne sommes plus sur le même fil. Je suis un peu intriguée, presque contrariée.
Je la regarde à distance. Elle est belle, c'est vrai, et attirante !
Mais je ne voudrais en aucun cas gâcher notre amitié en passant par la case « sexe » dont nous connaissons si bien l'inconstance.
En revenant à la table, je suis bien décidée à ne pas jouer à ce jeu-là.
D'ailleurs, mon humeur s'est assombrie et les grimaces de Françoise m'agacent. Ces types ont la bave aux lèvres et l'air stupide.
Je finis mon dessert sans un mot et demande l'addition. La miss comprend que je viens de siffler la fin de la partie et éconduit ses soupirants qui menaçaient de nous raccompagner.
Dans la voiture, elle s'amuse encore de la « connerie des mecs » et je m'efforce à la féliciter de son numéro.
Deux verres sur la table, une bouteille entre les deux. Nous nous mettons à l'aise. J'ôte mon soutien-gorge, chemise et pantalon et enfile une robe longue d'intérieur. Elle revient de la chambre en collant et long pull mohair.
Entre vin et cigarettes, je la retrouve.
Nous redessinons le monde sur des bulles pétillantes. Nos délires s'évaporent en phrases de plus en plus surréalistes. Douce poésie de l'ivresse.
Au moment où s'alourdissent les paupières, elle me demande si elle peut dormir avec moi. On se tiendra chaud. Oui bien sûr. Nos vêtements volent dans la chambre et nous voilà nues dans mon grand lit. Un bisou de bonne nuit et chacune d'un côté du lit. Je sens sa chaleur, son parfum délicat.
Sa main sur mon épaule.
Caresses.
Sa main sur mon dos.
Sur mes fesses.
Sans me retourner je lui murmure que non pas ça…Notre amitié gâchée…Elle rit et répond qu'elle a envie de jouer, que ce n'est pas sérieux, laisse- toi aller. C'est bon, non ?
Je me retourne. Nos visages tout près. Son souffle contre ma bouche.
« J'ai peur de m'attacher, Françoise. J'ai peur de l'amour ».
Ma gravité soudaine l'amuse. « Non pas toi !! Ce ne sont pas des petits jeux érotiques qui vont changer notre relation ! Tu sais bien, avec les mecs, non ? C'est pareil. »
Ses caresses se font plus pressantes. Ses seins contre les miens durcissent je les sens se dresser. Elle prend ma tête dans ses mains et m'embrasse longuement avec une douceur que je ne connaissais pas. Chaleur. Nos tétons se rejoignent et entament une danse légère, nos ventres s'appellent, mes mains cherchent sa nuque, ses épaules. Commence alors un ballet voluptueux et léger comme un tourbillon de plumes. Nos chairs tendres et parfumées se mêlent, chairs jumelles, autres moi. Je reconnais chaque pli, chaque contour de ce corps familier de toute éternité. Corps de femme. Je ne sais plus si ce sont ses cuisses qui s'ouvrent ou les miennes, si ce doigt que je suce est le sien, si c'est ma langue ou la sienne qui court sur nos peaux. Le satin cuivré de nos sexes bombés embaume et ruisselle. A sa peau luisante s'accroche mes ongles quand s'éveille le premier orgasme. Elle saisit mes cheveux, plonge son épi brûlant dans ma mousse et un seul et long cri rauque déchire la chambre. Une seule voix, la sienne et la mienne. Les mêmes. En accord parfait.
Nous restons un long moment immobiles, nos corps noués, suffocantes.
Ma chair jumelle, ma contre-peau, mon miroir aux grains perlés.
Nos corps prolongent la danse langoureuse, lascive.
Je lèche la sueur de son cou, elle promène ses lèvres sur mes épaules.
« J'adore tes épaules »…
« Chuuuut ! ».
Elle pousse un petit rire d'enfant puis un long soupir.
Blottie contre moi, elle picore maintenant mes lèvres du bout de la langue et redouble de caresses. J'ai chaud. Trop chaud. Besoin de sortir de ce lit moite.
Je m'extrais difficilement de ses bras et m'enfuis vers la salle de bain.
Des mèches de cheveux sont collées à mes tempes. J'asperge mon visage d'eau fraîche que je laisse courir sur mes seins. Je nettoie le rimmel coulé de mes cils.
Retour au salon prendre un verre, enroulée dans une serviette éponge.
« Reviens ! » Je l'entends comme un gémissement. Je ne réponds pas.
Pour moi, le jeu est terminé.
Elle surgit de la chambre, nue. Comme les miens ses cheveux sont collés sur ses tempes. Le rimmel cerne ses yeux. Je la regarde comme on regarde un tableau, à distance. Elle a de beaux seins en poire. Les miens sont pommes. Son pubis est large, évasé, très sombre. Je crois voir le mien. Ses jambes longues et fines, les miennes plus épaisses, plus courtes. Mes cheveux longs, les siens coupés ras.
Pourquoi alors ai-je cette étrange impression de miroir ?
Elle vient vers moi. M'enlace. Mon corps ne réagit pas. Pas le moindre frisson.
Mes lèvres n'ont envie que de vin. Elle plonge les siennes dans son verre, tête baissée. Puis ses yeux dans les miens, troublés de larmes.
Lentement, elle se lève et prend la direction de sa chambre.
J'hésite à la rejoindre, pour la consoler. Quelque chose me retient.
Un je ne sais quoi d'orgueil ou de prudence ?
Le lendemain matin, j'émerge avec une bonne gueule de bois.
Les souvenirs de la nuit, flous, embrumés, tentent de faire surface.
Etrange impression de satisfaction et d'angoisse.
Mes draps sont humides, âcres. Envie d'un café-clope.
Je ne vois pas le mot posé sur la cafetière. Je remplis le filtre, mécaniquement.
Le soleil entre par la fenêtre. C'est bon de le sentir sur ma peau.
Je déplie le papier. Son écriture régulière et ciselée.
« Je t'aime. Je ne savais pas. Je me suis laissé surprendre au jeu. Attends un peu avant de m'appeler. J'ai besoin de cicatriser. »
Je me dirige lentement vers sa chambre vide.
Sur le lit, le déshabillé turquoise, délicatement étalé.
Alors me reviennent les émotions de cette nuit.
Le flot de parfums.
Le torrent de caresses.
Et son long baiser, comme un ricochet.
Délicieux, avec ce qu'il faut de chaleur et la bonne dose de délicatesse.
· Il y a plus de 7 ans ·nyckie-alause
Merci, nycle-alause, il y a dans ce récit un peu de vécu...
· Il y a plus de 7 ans ·momo84
Emouvant, un peu triste.
· Il y a plus de 7 ans ·Merci d'avoir partagé ce texte avec nous :) Bises
perle-vallens
Il serait à retravalller, puisque écrit en quelques heures..mais un souvenir merveilleux de cette nuit des 406 !!!
· Il y a plus de 7 ans ·momo84