Une petite langue rose

scribleruss

Nouvelle

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  Le cui-cui de l'oiseau n'a pas duré longtemps dans la cour au pied de l'hortensia.

  J'étais dans le salon. J'ai soudain entendu un KKKru-ui-ei-uiek... Il y avait bien trois K dans ce cri d'égorgé.

  Intrigué, je me lève, j'approche de la porte-fenêtre. Je vois un chat sur le toit du cabanon du jardin tenant en sa gueule un oiseau dont je distingue les yeux exorbités, le bec jaune grand ouvert. Le chat saute sur le sol et s'installe et prend ses aises sous l'hortensia, l'oiseau dans la gueule.

    Et là paisiblement, méticuleusement, s'aidant de ses crocs, de ses pattes, dépèce le merle noir. Je ne l'affirmerais pas mais je dis que c'est un merle noir.

  L'oiseau déjà éventré n'est déjà plus qu'un fracas et un tripatouillage de chairs sanguinolentes, de tripes à l'air dans lesquelles le chat trempe, se délectant, son museau frémissant.

   Il écarte, il triture, fouille, déchire, savoure, déguste et se repaît. Mais soudain le chat se fige, sent une présence, il m'a vu, il lâche la boule de chair rose et vers moi se retourne puis me fixe.

   Je l'ai dans le viseur de mon appareil photographique que j'ai couru chercher. Il me fixe mais je l'ai déjà pris tandis qu'il se substantait. Il fuit d'un bond.

   

   Une heure s'écoule, le chat réapparaît, entre dans la maison.


   Ce matin en sortant la poubelle du cabanon dans le fond du jardin, un rat avec une longue queue m'a filé entre les jambes. Le chat a peut-être aussi goûté du rat. Il connaît une peu la maison, et parfois comme à l'instant il y entre et la traverse et y séjourne selon son bon vouloir, sans doute au retour de ses chasses quand il a trouvé pitance à sa guise et meilleure que des croquettes et des merles noirs et que rassasié, fatigué il éprouve le besoin de se reposer. Le repos du chasseur.

   Alors cet après-midi il vient au pied du canapé sur le tapis où joue la petite fille, s'allonger repu. Sa queue se meut, se raidit, s'érige en point d'interrogation et tournoie.

     La petite fille approche lui caresse la queue, puis elle se met à plat ventre devant lui, les coudes sur le tapis, le visage dans ses petites mains, sa frimousse frottant son petit nez sur le museau du chat curieux.

    Elle y avance ses petites lèvres pour un baiser mutin et le chat plisse ses yeux et sort sa petite langue rose qui impudique entreprend quelque toilette intime, puis encore digérant quelques relents de tripes d'oiseau, exhalant quelques senteurs de rats ou de mulots qui émeuvent ses papilles, il lèche tranquillement le mufle de l'enfant.

  Il est des candeurs fraîches où d'innocentes tendresses s'abandonnent à des léchages putrides de félidés cyniques.



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