Il suffit d'être fou
jom
Certains cas de synesthésie relatent des histoires invraisemblables, et pourtant appuyés par divers études scientifiques. À la suite d'une connexion entre l'appareil auditif et visuel, connexion qui se perd normalement dès le plus jeune âge, un homme déclarait voir des bulles devant ses yeux alors qu'il écoutait du jazz. C'est un exemple marquant, montrant une grosse absence dans nos perceptions. Car ses émotions se trouvaient démultipliées : Il avait deux sens à sa disposition afin de profiter de la musique.
John suivit du regard la jeune fille qui faisait claquer ses talons plus fort qu'un phoque ne tapait dans ses nageoires pour obtenir un poisson de la part de l'éleveur. Bien vu. Elle avait du remarquer qu'il n'avait pas pu décrocher de sa silhouette d'un magazine des années 60. Rien de retouché, mais rien à cacher. En frappant les pavés comme elle le faisait, cela faisait rebondir juste ce qu'il fallait, comme il le fallait. Cela donnait à cette jolie blonde à la fois les avantages d'une démarche assurée, en ajoutant ceux du charme à peine masqué.
Coupé par le souvenir de l'animal marin cherchant de la nourriture, John se raisonna, il est facile de mal interpréter quelques secondes d'observation. Il laissa donc l'inconnue poursuivre son chemin, mais fut agréablement surpris en la voyant s'asseoir deux bancs plus loin, croisant ses longues jambes et sortant son téléphone portable, ignorant visiblement l'homme qui se sentait de plus en plus assuré.
Il était obligé d'agir maintenant, de toute façon. Les bruits de la ville étaient au-delà de l'acceptable, et il n'était pas question d'attendre une heure de plus. Si le vent et ses effets n'était pas si différent que celui de la campagne, il ne pouvait plus supporter les voitures qui jetaient un voile noir déformé. Pareil à un aspirateur de couleurs ayant fait son temps, son champ de vision s'émiettait à chaque passage de quelque engin à moteur. Il avait depuis longtemps appris à ne plus faire confiance à ce qu'il voyait, ou avec le scepticisme du plus grand athée. Il était obligé lors de ses sorties en ville de ne jamais lâcher sa canne, car le passage de ses bolides perturbait jusqu'à son oreille interne. Il était souvent obligé de s'y cramponner fermement, montrant le moins possible son malaise sous peine de voir un empoté de citadin venir lui « porter secours »
Car il se produisait une chose de bien plus grave à son goût lorsqu'il était amené à discuter. Le manque. La voix des autres ne l'atteignait qu'à peine. John pouvait distinguer les paroles, leurs sens, mais leur représentation plus profonde était minimes. C'était à peine s'il se sentait chatouillé du regard par quelques étoiles, les idées secouées comme après un petit verre.
John, en souriant, se leva et alla se planter devant cette personne qui à ce moment, aurait pu être jeune, vieux, garçon ou fille sans que cela n'ai quelconque importance. Elle daigna lever la tête avec un petit sourire de politesse, que John interpréta immédiatement comme une acceptation.
« oui ? Dit-elle avec tout le naturel dont elle était capable, surprise et presque effrayée par la soudaine apparition de cet homme d'une trentaine d'année, arborant un sourire qu'elle eut peine à définir comme envieux.
-oui. » Répondit John en envoyant valser son pied contre le tibia de la jeune femme. Il entendit le craquement espéré alors que le genou, sous une pression soudaine, pris entre le banc et l'effet de levier provoqué par le coup, céda. Elle gémissait. John avait perdu son sourire et redonna un coup, écrasant du talon le poignet et la main de sa victime. Sous le choc, cette dernière ne dit plus rien, mais John savait que dans certains cas, les neurones étaient long à accepter l'information. Il se rapprocha de la bouche de la jeune femme qui commençait à s'entrouvrir. Il était là, il était près, il n'attendait plus que cela.
Elle cria. Pour tous les témoins à porté d'oreille, ce ne fut qu'un long déchirement qui glacerait leur sang pendant quelques mois, avant qu'ils ne le chassent par un concert de rock ou une petite thérapie. Mais John n'entendait pas cela de cette façon. Il fut projeté à la même vitesse que le cri. De l'expérience qu'il en avait, il savait qu'il n'avait à peine eu qu'un mouvement de recul, tout comme il savait que tout serait fini dès qu'elle se tairait. Il se sentit partir, partir plus loin que tous ses amis drogués n'aurait pu lui décrire, plus loin que, il le savait, la plupart des humains ne pourront jamais partir. John était hagard. Que s'était-il passé ? Cette garce avait arrêté de... Il plongea son poing dans l'aine, plusieurs fois, avec la force d'un damné et elle recommença. Durant trente longues dernières secondes, John se sentit plus proche de la jouissance charnel qu'il n'aurait pu rêver atteindre autrement. Il fut transporté, au rythme légèrement nuancé de son timbre qui devenait défaillant, dans une symphonie courte et éternelle dans son renouvellement. Chaque petite inspiration révélait plus de souffle qu'il n'aurait crut possible venant d'une si frêle personne. Sa souffrance et son instinct de survie se matérialisaient en une longue et terrible dose de vie pure dont s'abreuvait John avec délice. Il avait l'oreille maintenant plaquée contre sa bouche, à peine conscient des coups dont il martelait le corps. Et arriva le moment où elle ne crierait plus.
John revint à lui en quelques secondes, et chercha à tâtons sa canne alors qu'il essayait vainement de raviver la sensation qu'il venait de perdre. Les hallucinations disparaissent toujours à vue d'œil. Il savait trop bien que malgré tout ses efforts il n'y parviendrait pas, mais surtout qu'il était imprudent de rester là où il était une seconde de plus. Quelques bribes de réflexion se remirent en place et, sa canne retrouvée, il prit ses jambes à son cou. John ne prêta aucune attention à l'image qu'il devait donner aux passants qui commençaient à se regrouper. Un fou au regard ahuri courant une canne sous le bras, il n'avait en tête que de rentrer chez lui. Peut-être le prendraient-ils pour un témoin effrayé, peu lui importait; lorsque la femme serait en état de donner une description, il serait déjà loin.
John regardait avidement par la fenêtre de sa cuisine. Les lueurs lointaines de la ville semblaient l'appeler. Trois jours à peine avaient passé, et plus aucun média ne relayait l'agression de l'étudiante en plein jour, à deux pas du centre ville. Une chaîne locale avait tenté un rapprochement entre plusieurs cas aux circonstances semblables, mais sans succès. John jubilait, rien ne paraissait pouvoir se mettre entre lui et son plaisir. Un jour peut-être, il serait arrêté. Mais qui croirait à l'explication qu'il était prêt à donner ? En lui demandant avec tout le sarcasme possible s'il voulait vraiment profiter de cris nuit et jour, on le placerait dans un asile.
Oui.
Un texte bien écrit avec une idée originale! Que demande le peuple? CDC
· Il y a plus de 11 ans ·little-wing
J'aime les commentaires constructifs, merci !
· Il y a plus de 11 ans ·jom
Un texte étonnant, il paraît difficile de S'imaginer vivant à la façon du personnage principal. Ce texte est très noir, en tout cas. A part quelques phrases au sens parfois difficile à comprendre à première lecture, et quelques négations qui alourdissent, il n'est pas mal écrit.
· Il y a plus de 11 ans ·Pascal Bléval