Il y a une vie après l'amour (part 11)

jones

Ils se levèrent pour marcher. Ils ne se dirent pratiquement rien, aucun mot ne pouvait couvrir les pas laissés dans leurs respirations. Fred frottait sa peine au chemin caillouteux tandis que Kloé tentait de dessiner un autre monde en quelques phrases entendues. Fred ressemblait à un navire ensablé, la vie  désertée. Aucune sirène ne lui chantait de promesse. Le silence filait dans ses coursives, son pont rouillait sous le vent, les vagues du passé roulaient à ses pieds. Tous les rats avaient quitté le navire. Et son cœur se gorgeait d’une eau âcre et salée, inondée qu’elle était par les souvenirs flottants sur le dos comme des poissons morts. Sa chair chantait l’indifférence, imposant à son corps de s’abandonner au désœuvrement. Pas de marée à attendre, pas de rivages souriants. Plus d’essence dans le moteur.

Pierre avait raison : dans la vie, soit on voguait toutes voiles dehors, soit on s’échouait lamentablement sans espoir de rédemption. Il fallait prendre un bon départ sinon c’était foutu. La deuxième chance, c’était pour les séries télé américaines, pas dans la vraie vie. Il s’y connaissait Pierre en vérités incontournables. Toute sa vie avait été régie par ce genre de principe et ne pas y déroger l’avait mené là où il est. Et Fred lui, à force de concilier, de tout le temps changer de vitesse, il n’avait réussi qu’à grappiller des petits bouts de bonheur par ci, par là, qu’à mordiller l’existence. Sa petite histoire s’arrêtait en chemin, ressemblait à un train stoppé en rase campagne. Quelqu’un s’était jeté dessous et le film de sa vie s’était interrompu. Le paysage restait le même. Il n’avait aucune certitude sur l’heure d’un nouveau départ.

En déambulant dans les allées du parc, Fred se repassait en boucle les moments-clés, les conversations, les soirées passées à échafauder l’avenir, en se demandant ce qui avait pu faire basculer les choses du mauvais côté. Une sacrée compilation d’heures sombres, un best of de poids morts, un zapping dolorosa.

La vie après l’amour c’est comme une longue descente en apnée avec ce point dans la poitrine qui fait mal. On bat des pieds et des poings comme un boxeur fou pour revenir à la surface puis les spasmes se font plus rares et on finit par réussir à respirer sous l’eau. Pour un peu, on aimerait y rester un peu plus longtemps, le temps de tout revoir, de faire défiler en rangs serrés les petits soldats de la mémoire. Il existe, dans les fonds abbysaux, de merveilleux coquillages qui parlent, des poissons dansant de leur gris argent, des chants de baleine qui bercent l’âme, des champs d’opium pour les cœurs noirs, des algues mortes qui balayent au fond de soi.

Kloé posa son sac sur la table en bois, à l’ombre. Elle sortit une bouteille de Chardonnay et deux gobelets en plastique qu’elle s’appliqua à remplir jusqu’à la moitié. Elle enclencha la playlist de son i-phone. Le Killing Moon d’Echo and the Bunnymen s’éleva sous les frondaisons pendant que la boule rouge terminait sa course dans l’air chaud, plongeait pour rejoindre Fred au fond de l’eau. 

  • On entend autant qu'on lit, ce qui lie le tout avec le ressac de voyage.

    · Il y a presque 13 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • Un lourd silence qui laisse la part belle aux sentiments intérieurs, dévastés. Juste, continue comme celà, c'est nickel et puis les personnages continueront à faire le reste. Leur papa veille à l'exactitude de leur fond, ils n'ont qu'à juste être et continuer à nous émouvoir, Bravo Jones !

    · Il y a presque 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Une belle inventivité lexicale et un son toujours aussi juste.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Avatar orig

    Jiwelle

  • Oui, oui, j'y pense mais ce n'est pas si simple !
    Et non, non, je n'ai pas de construction préétablie, je fais évoluer les personnages au fur et à mesure de mon inspiration. Au départ, je voulais arrêter l'histoire au 5ème épisode mais j'en suis au 11ème et je ne sais pas quand et où, ça s'arrêtera. Merci pour ton soutien

    · Il y a presque 13 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

  • RRRRRRR....Assez, Edite!... Ces personnages que tu fais évoluer en a tu fait une construction, ou juste des petites nouvelles comme ça?
    Tu écris merveilleusement bien. J'ai envie d'une histoire complète...Encore une fois tu me bluffes.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Persopsy

    Jacques Lagrois

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