imposture

iota

L’air de rien, Astrid  travaille. Distraitement, son index, le gauche, tapote la touche entrée de l’ordinateur.

La main droite tient un téléphone. Elle parle, l’index frappe. Indépendant. Infatigablement. On pourrait croire à une articulation d’insecte. Un tatouage renforce le penchant autoritaire et inflexible de ce doigt impératif. Un serpent tatoué s’y enroule comme une caresse.

Pendant ce temps, devant un autre écran, l’auteur amateur exulte. Il surveille le nombre de lecteurs. Il les imagine avides, en train de découvrir sa prose. Le voilà récompensé de son travail, de sa sueur, de son isolement. On le lit ! Vraiment ! La machine est catégorique : 43 lectures. 44 lectures ! 44 personnes se donnent en cet instant même la peine de LIRE, SON TEXTE ! Il est heureux. Son pseudo : Victor, lui a porté chance. Il va se remettre à son roman. L’espoir et la fierté font battre son cœur plus vite. Bientôt il signera son livre dans sa librairie préférée. Peut-être même lui demandera-t-on de se rendre à la radio. À la télé il dira non. Non, définitivement, sa décision est prise, il n’y aura pas d’image. Il laisse à ses lecteurs le soin d’imaginer son visage, son corps. Sa voix grave et douce suffit. Pas la peine de donner plus de détails triviaux. Puis sa bedaine…à moins que…un régime peut-être, oui, faudrait songer à un petit régime.

L’index d’Astrid continue par intermittence à écraser la touche. Elle parle toujours au téléphone. Astrid bat des cils, bavarde, dans un babil intarissable que rien ne semble pouvoir arrêter.

Astrid adore ce nouveau boulot : il lui suffit d'enfoncer une touche, toujours la même, c’est pour faire monter le nombre affiché de lectures des textes envoyés par les abonnés du site. C’est une histoire de confiance. Les auteurs ont besoin de confiance.

Quand Astrid raccroche, elle décide que « Victor » a eu assez de lectures comme ça, 75 exactement. Elle passe à « Dracula », puis téléphone à Simon.

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