Incendie
rageplume
Hier, mes voisins ont déménagé. Ce matin, je découvre sur le trottoir un matelas, une poche de laine, des dentelles et une vieille boîte. Intrigué je m’approche parmi d’autres badauds. J’habite un peu plus bas dans la rue de Burennes. Ces voisins sont partis, leur immeuble a brûlé, dans la nuit de jeudi, feu parti d’un palier.
Mes yeux se posent sur la poche de laine, et ces vieilles dentelles noircies de madame Dancelle. Cette brave vieille dame répondait au doux nom de Gisèle et vivait tout en bas, comme tant de concierges. Cloîtrée dans sa cuisine à regarder dehors, elle tricotait sans cesse quelle que soit la saison. Brassières et layettes, napperons de cotons, l’été quelques dentelles et pour préparer les frimas, à l’automne un patchwork avec ses restes de laine. Combien de fois a t’elle pu me demander si ses horreurs sans formes aux couleurs délavées plairaient à leurs destinataires. Combien de fois a t’elle pu déballer ses ouvrages sans fin sans lire dans mes yeux la sourde contrariété de perdre ainsi mon temps. Et toutes ses histoires, milles fois répétées, que j’aurais pu finir pour elle tant elle me les serinais. Et moi au comble de la bienséance, menteur et si poli, de m’extasier gaiement sur les si beaux ouvrages, les formes, les coloris et d’éviter ensuite, qu’elle me prenne pour modèle pour un affreux chandail et disant que le temps me pressait et que peut être… la prochaine fois..
Il n’y aura pas de prochaine fois. Elle s’en va aux muguets, la maison de retraite. Après un cours séjour aux urgences de Saintes, ses enfants l’ont placé pour qu’elle soit surveillée. Je présume que c’est surtout pour s’ôter du soucis, d’aller encore voir, si elle n’a pas périt. Aux muguets au moins ils préviennent par téléphone si quelque chose arrive de plus ou moins fâcheux. Elle ira en tout cas, sans son affreux roquet. Cette boule de poil qu’elle appelait Téquila mettait un point d’honneur a manger mes chaussures. Et comme je l’ai haïs , cet affreux chihuahua en passant son pallier, à l’entendre japper sans vouloir s’arrêter, ameutant tout l’immeuble et même le quartier. Il parait que c’est lui qui les auraient sauvés, qu’elle a pu s’en sortir, ce malgré la fumée. La bête quant à elle n’aura pas survécu, à cause du monoxyde m’a confié le primeur. Je me prends à sourire à la fin de ce chien, au départ de Gisèle et au fait qu’aux Muguets, la rue est une impasse, il n’y a pas de passage. Là, derrière les fenêtres, l’ennui est plus tenace.
J’efface bien vite mon sourire, il est si malséant. Je regarde alentours tous ces gens dans la rue. Personne ne m’a vu, je reste anonyme. Pendant que sur le trottoir les choses s’accumulent, la vie reprends son cours, les badauds s’éparpillent. Par les fenêtres crevées aux pourtours noircis, pompiers et ouvriers jettent les restes de vie. Moi je reste là, méditant ce pêle-mêle. Mes yeux s’arrêtent alors sur le vieux matelas. Vous savez ces matelas de laine sans forme ni tenue. Le tissus est rayé, terne et poussiéreux. On dirait la tenue d’un ancien bagnard. Qu’a t’il donc vécu, quels sont ses secrets ? Qu’a t’il donc entendu lâché sur l’oreiller ? Je présume qu’il est à Ganesh, l’indien du premier. Un homme gentil, affable et discret. Lui et sa famille étaient là depuis peu. Un an, peut-être deux à s’entasser à huit dans quarante mètres carrés. Personne ne savait au juste de quoi il subsistait. Une famille étrangère soulève tant de questions. Mais personne n’osait jamais aller leur parler. Personne sauf moi. Je les connaissais bien. En fait Ganesh pour tout dire était Pakistanais. Docteur de formation et surtout réfugié. Son ouverture d’esprit, son occidentalisme avait dans le Pamir attiré l’attention de quelques fous de dieux. Et, par le biais d’une Charia, rondement expédiée, sa tête fut mise à prix et il dut s’exiler. Pour son plus grand malheur, l’occident refusa de voir en lui un homme capable par ses soins d’aider son prochain. Son diplôme d’Hippocrate ne fût pas reconnu par tous ces hypocrites qui ne jurent que par l’ONU. Alors notre brave homme décida de grand cœur, de n’en vouloir à personne et d’user de son mieux, de tout son intellect pour refaire sa vie.
Ganesh cumulait donc les petits emplois, serveur dans un restaurant le week-end, ouvrier agricole en fonction des saisons, traducteur de sanscrit, il joignait péniblement les deux bouts aidé dans sa tache par son plus grand fils et sa fille ainée, Sélim et Mothma. La femme de Ganesh n’était plus de ce monde. Victime des talibans aux trousses de son mari, Sorayah s’était vue lapidée en pleine rue au retour du marché
Vous aurez noté que ce texte n'est pas complet.. Mais je doutais de sa valeur. Je vais essayer de rédiger la suite.. :D promis.
· Il y a environ 13 ans ·rageplume
Chroniques de la vie d'un immeuble, poignante, réussie. Des coeurs, bien sûr !
· Il y a environ 13 ans ·le-fox
Terrible récit, mon mari emploie aussi Hypocrites à la place d’Hippocrate, car il a failli mourir, par leurs erreurs de diagnostic. Nos médecins,n'acceptant pas les étrangers, car qui sait, peut être serait ils mieux qu'eux, et les enfants plaçant leurs mères ou pères, il y en a beaucoup, je connais. Merci pour cette nouvelle, qui interpelle. (dois je mettre des s à mère et père) -)Voir la nouvelle d'Edwige Devillebichot ( ce sera mieux pour elle)Coup de cœur.
· Il y a environ 13 ans ·Yvette Dujardin
Emouvant.
· Il y a environ 13 ans ·yl5