Incipit Virtualand
nuitscreatives
Allongé sur mon pieu, faisant face à mon Smartphone, son à fonds, je regardais ma mère interpréter la Bohème de Charles Aznavour le temps d’une vidéo. Elle avait 20 ans, et chantait ce temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre… Une femme assoiffée d’aventures intrépides se dessinait sous la jeune fille timide. Rêver d’un avenir meilleur, elle en était morte, ma mère. Cela faisait déjà deux semaines que la présence de maman portant avec frustration ses 50 printemps avait été remplacée par des extraits virtuels. Qu’est-ce qui nous restait des disparus auparavant : des souvenirs ? Maintenant on avait des extraits choisis, des éclairs de consolations.
Mais n’étant pas un ordinateur dont on pouvait effacer la mémoire, je me sentais meurtri, abandonné, orphelin à 17 ans. Depuis que ma mère était partie rejoindre ses fantasmes, mon père avait pris le relai face à l’écran du pc dans le salon. Il ne s’en échappait que pour dormir quelques heures, au milieu de la journée. Le veuf devenu vampire me laissait donc seul, face à l’angoisse. Heureusement que j’avais des copines pour me consoler, moi, Rémi sans famille. Mes parents avaient bien choisi mon prénom, elle était belle l’ironie du sort … Déprimé, je reçu avec ravissement une notification témoignant d’une activité sur Virtual Land, ce réseau social super cool pour lequel mon père bossait maintenant à la place de ma mère, ayant trouvé leur proposition beaucoup plus rentable que son boulot de consultant qu’il exerçait jusqu’alors.
« Tu me rejoins ? » s’afficha sur le tchat en ligne. C’était Yasmina, mon prochain défi. Cette fille était la dernière que je n’avais pas réussi à avoir parmi les quelques rares nanas mignonnes du lycée Victor Hugo, qui accueillait tous les jeunes de la région résidant dans des villages ou communes de la région. Moi-même, je vivais à Malesherbes commune du Loiret, à proximité de Paris. Je rêvais souvent d’une vie parisienne, mais en même temps j’aimais ce décalage entre le monde moderne et celui des rescapés de l’ancien temps : fermiers, paysans, brocanteurs. Les paradoxes peuplaient nos vies. C’est ainsi que si Yasmina me faisait de l’œil, elle n’avait pas le droit de vouloir plus, à cause de sa religion. Une beauté orientale dont le père m’avait fait comprendre par des regards hautains plein de mépris qu’il valait mieux aller voir ailleurs. Alors je me contentais d’humer de loin les parfums enivrants de ma fleur de jasmin, sans pouvoir les respirer allègrement. Ce dont je rêvais chaque nuit, surtout depuis que ma mère était morte. Je devais manquer d’une présence féminine pure et idolâtrée.
« Je te rejoins en tapis volant ! » lui répondis-je illico.
Je ne croyais pas si bien dire, car nous allions nous retrouvé sur l’application ‘1001 nuits’, où nous formions une équipe de choc dont la mission était de sauvegarder Shahrazade des dangers qui la menaçaient pendant qu’elle contait en espérant vaincre la fatalité du calife. Nous avions déjà déjoué les tours des zombies, contré les attaques de fantômes, tué les violeurs, exterminé les loups garous pendant 480 nuits. A la 500ème, Yasmina m’avait promis une nuit avec elle, à la belle étoile, en me faisant jurer qu’il ne s’agirait là que d’un rendez-vous amical. Mais si ‘le réel est une des virtualités du rêve’ comme je venais de l’apprendre d’une citation de Jorge Luis Borges, alors peut-être que nous irions bien plus loin qu’un simple regard commun sur les étoiles et le cosmos au-dessus de nos têtes.
Deux jours plus tard, ce fût l’heure de vérité. On était en aout et il faisait chaud, pas besoin de grand-chose et Yasmina m’avait dit qu’elle s’occuperait de tout. On se rejoignait directement au bord du loin, un fleuve proposant des berges discrètes, loin de son père ou des curieux. Je pris mon scooter pour m’y rendre, et le garais juste à côté du lieu dit. Je marchais les quelques mètres restant vers la Terre Promise.
Elle était là, sublime, les cheveux noués sur le crane, vêtue d’une robe légèrement transparente, et je devinais déjà les effluves de shampoing et le parfum sucré de sa peau. Je m’avançais timidement, elle m’impressionnait. Elle s’allongea pour s’étirer avant de se relever et de me claquer la bise comme si de rien n’était, comme si elle n’avait rien étudié, comme si tout ça était le plus naturel du monde. Je ne veux pas vous raconter les détails de cette nuit magique car j’ai l’impression qu’elle serait virtuelle, que mettre des mots sur les sensations dénaturerait ce que j’ai vécu. Mais ce que je sais, c’est que je suis tombé amoureux et que comme prévu, Yasmina s’offrit à moi. J’étais le premier.
Quelques jours plus tard, alors que mon père travaillait toujours comme un âne devant son écran, je lui fis part de mon amour. Le mot était grand, beau, il avait bon gout, je n’y avais jamais aspiré. Je croyais vouloir rester ce séducteur qui avait besoin du regard des filles pour le rassurer. Mais là non, c’était autre chose. Mon père me regarda du coin de l’œil et je vis qu’il n’approuvait pas lorsqu’après m’avoir interrogé je lui avouais l’identité de la fille pour laquelle je tremblais. Penaud, je rejoins ma chambre et recommençais à regarder la Bohème en boucle, ma mère, ma vie d’avant, et à rejoindre cette nostalgie que j’avais tenté de braver avec Yasmina, synonyme d’espoir. Même celui-là allait m’être confisqué, car il était clair que mon père savait ce à quoi je m’exposais en acceptant cette relation.
L’orientale déception
« Il va t’épouser ? » demanda Sabrina, la jeune sœur curieuse et taquine de Yasmina.
« Tu te mêles de quoi ? » lui assena-t-elle !
C’est alors que le père protecteur fit irruption dans la salle de bain où les deux sœurs bavardaient et qu’il fit bénéficier sa fille d’une gifle de colère rancunière. Fou de rage, il gesticulait dans tous les sens en hurlant. C’est ce que me raconta Yasmina en pleurs, alors que j’étais sorti de ma léthargie pour la rejoindre en début de soirée. Elle m’avait envoyé un message alarmant, me disant qu’elle s’était enfuie. Même si je n’avais pas le cœur à voir qui que soit, je ne pouvais pas encore lui résister. Il le faudrait bien un jour pourtant, mon père avait raison. Yasmina n’avait pas le droit d’avoir une relation avec moi, et ne pouvait pas non plus espérer une relation sérieuse puisque je n’étais pas musulman. Mais c’est alors qu’agrippé à mon torse, elle me dit doucement :
« Si tu le voulais, je m’enfuirai avec toi. Je n’en peux plus de cette famille de fous. On pourrait se marier loin, avoir une famille, vivre notre amour tous les deux, sans personne ! »
J’en eu le souffle coupé ! Je pris son visage à deux mains, l’obligeait à me faire face et déclara :
Yasmina, je t’aime très sincèrement. Oublions cet incident pour le moment. Je ne te raccompagne pas, c’est trop dangereux. Et moi je vais marcher un peu, j’ai envie d’être seul.
Je ne pouvais pas dire plus, je ne savais pas ce qu’elle avait compris. Mais lorsqu’on se quitta, elle me regarda partir avec une pointe de sensualité dans le regard. Comme si elle voulait que je réalise ce que j’allais perdre si je la fuyais. Je me sentais mal, j’avais envie de vomir, et c’est les jambes flageolantes que je rejoignais la rue des religieuses où se trouvait ma maison. J’allais pouvoir retourner à mon coma, mais avant je comptais insister auprès de mon père pour avoir son avis et agir. Je n’étais pas préparé à tout ça. Je voulais juste un peu de réconfort, j’avais perdu ma mère et maintenant j’allais peut-être devoir larguer la seule fille qui m’avait fait traverser des montagnes russes. La vie était injuste, sans aucune compassion. Je pénétrais dans l’entrée et vis mon père devant l’écran. Je hurlais : Papa !!!! Décroche un instant s’il te plait, j’ai besoin de toi !