INSANE
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INSANE
SYNOPSIS
Maxine Bauer est une jeune fiscaliste exerçant à la Défense. Sa vie sentimentale est sans superbe, même pas brisée malheureusement, et ses mœurs, bien légères, en attendant. Elle est passionnée par la musique, la littérature et s’essaie à la peinture. Autant de violons d’Ingres qui la consolent de sa vision acerbe et dépitée de son milieu professionnel. Elle a perdu de vue l’horizon vers lequel son cœur la portait. Malgré une volonté latente de fuir son quotidien, elle ne se donne pas les moyens de son exigence. Il y a longtemps qu’elle n’entend plus ses proches qui ont décrété qu’elle souffrait d’une névrose liée à sa phobie de l’engagement.
Itinéraire du spleen d’une jeune femme moderne, Maxine trompe son ennui dans des errances nocturnes sur facebook. Elle y adhère à des groupes sans intérêt notamment celui des fans de Mondrian. Elle s’enhardit à envoyer un message à un de ses membres, Joseph Sagans, par attirance pour sa photo de profil : une orgie revue et corrigée par le photographe Terry Richardson. «Inspirant ta photo…Au plaisir ,Max ».
Joseph lui oppose une fin de non recevoir pensant qu’il s’adresse à un homme : la fiche facebook de Maxine, dépourvue de photo, étant établie au nom de Max. B. Maxine réagit vivement et lui dévoile sa qualité de destinatrice. Joseph est piqué au vif par cette jeune femme peu farouche et cultivée. Il s’emploie à réparer sa méprise entre deux emails tendancieux, type : « Comme Richardson, je « prends » toujours les femmes sous leur meilleurprofil…».
Ils instaurent un rituel nocturne de conversations téléphoniques pendant deux mois. Maxine refuse de le voir pour parer à un énième faux départ dans sa vie amoureuse. Une étreinte amicale de leurs mondes se dessine, ponctuée de récits ironisant sur leurs historiques sentimentaux respectifs.
Elle connaît une descente vers la médiocrité depuis sa rupture avec un tiède amour de jeunesse et sa vie est devenue un roman-photo raté : liaison avortée avec un collègue forcément marié, flirt sans conviction avec un supérieur direct, fuck friend probablement bisexuel et quelques extras hors taxe glanés en boite ou autre « speed-dating ».
Joseph vit d’expédients amoureux : une kyrielle de jeunes comédiennes /auteurs/stylistes pseudo écorchées par leur vécu partageant son lit en garde alternée et prêtes à tout.
Deux personnalités aux antipodes l’une de l’autre s’apprivoisent. Joseph Sagans: étoile montante du design, passionné d’architecture, de surf et de vieilles Porsche, promenant sa frêle silhouette dans des soirées branchées peuplées de happy few parisiens qui luttent pour ne pas admettre que leur monde se nécrose.
Notre jeune fiscaliste est une contemplative contrariée. Elle lui parle du soleil et de la mer chez Camus, de la vie germanopratine version Boris Vian, de la musique de Keith Jarrett et de Rachmaninov, des juristes arrivistes et machos que sont ses collègues, de sa famille attachante mais indéboulonnable…Ils comparent leurs réponses au questionnaire de Proust et leur connivence est indéniable. La séduction est palpable.
Leur rencontre au sommet a lieu lors du vernissage d’une exposition sur Basquiat aménagée dans un centre d’art contemporain qui abrite des œuvres de Joseph et où monsieur a ses habitudes. Mondanités en série, univers blasé de poudre blanche et de champagne. « Nanocosme » qui est devenu la caricature de lui-même.
Chacun d’eux est venu accompagné d’une garde rapprochée d’amis. Ils sont incapables de se parler. Salutations cyniques et prétextes maladroits pour s’éviter. Le rejet est épidermique. Les toilettes pour femmes du musée baignent dans une atmosphère blafarde et bruissent de rumeurs. Joseph serait « un homme de cœur mais surtout… un homme de cul». Maxine s’enfuit sans demander son reste ni le solde de tout compte.
Rien de nouveau sous son soleil si ce n’est que les nuits de Maxine sont redevenues silencieuses. Peu après le fiasco, Joseph lui a envoyé un message sms qu’elle laisse sans réponse. Plusieurs semaines s’écoulent, Maxine s’apprête à partir en vacances quand elle apprend que son amie Lisa, anorexique en phase dépressive, vient d’être admise dans un état grave aux urgences de l’hôpital St Anne. Sa nuit blanche est troublée par un appel masqué à 6h du matin : c’est Joseph, depuis Ibiza, plutôt éméché, qui « vient aux nouvelles». Il dessaoule immédiatement à l’écoute des derniers évènements. Il appelle quotidiennement jusqu’à son retour à Paris.
Les histoires d’amour commencent mal en général ? Joseph est un ami impeccable et Maxine baisse enfin sa garde. Elle semble lâcher le lest d’une vie. Très vite, ils forment un couple artsy tout droit sorti d’une pub « Kooples ». Joseph incite Maxine à écouter sa «petite musique » car son autocensure se ressent jusque dans les toiles qu’elle peint. L’ascension professionnelle de Joseph ne se dément pas. Maxine, quant à elle, délaisse peu à peu les mémentos fiscaux pour les concerts, les nuits sans fin et une nouvelle clique d’amis artistes.
Rapidement, les tours et détours de Maxine la dirigent vers une voie sans issue. Une sensation d’oppression générale la plonge dans la confusion. Elle voudrait éviter de finir sa vie dans une « Brandt Rhapsodie » et cède peu à peu aux chants des sirènes musicales. Des amitiés ambiguës se sont nouées et brouillent ses cartes. Elle est acculée émotionnellement et écrit une lettre de rupture à Joseph. Ils conviennent d’un break jusqu’à nouvel ordre.
Maxine passe alors des nuits implacables et solitaires. Elle souffre des nausées violentes du manque et éprouve un mépris souverain pour tout, sauf ses nouveaux « amis ». Elle maintient des contacts sans drame mais stériles avec Joseph. Peu après, elle l’aperçoit accompagné tandis qu’elle se perd dans des soirées décadentes chez un peintre de ses « amis » et se gargarise des profils atypiques des êtres qu’elle y croise.
Mais où allez-vous comme ça Maxine?
CHAPITRE 1
Il y a des circonstances ou même la Beauté fracassante ne peut rien faire pour vous, elle ne vous élève pas, elle vous conforte dans l’idée que jamais vous ne l’atteindrez dans l’exercice de vos fonctions et encore moins à titre personnel et confidentiel.
Maxine Bauer s’agrippait auditivement de toutes ses forces à l’élan du second mouvement du Concerto en Sol de Ravel pour ne pas vivre stricto sensu son voyage de la matinée sur la ligne A du RER parisien. Peine perdue, on ne voyage pas sur cet axe : on se téléporte, on survit, on côtoie le gris dans toutes ses nuances sans Turner, le sous-sol sans Dostoïevski, ceux qui restent parmi les Roms et les cols blancs de la Défense. Alors de là à pouvoir percevoir la subtilité d’une interprétation ou les accents d’un autre compositeur, il y avait un fossé dans lequel s’engouffrait le wagon coupable.
Parfois, la voiture bondée restait bloquée plusieurs minutes entre deux stations, la promiscuité semblait redoubler parce qu’au moins, quand elle roulait, on s’auto persuadait que ceci n’était qu’un léger désagrément en comparaison du privilège d’avoir un statut social, d’être un membre honorable de la « population active », de cotiser à l’URSSAF.
Le trajet était prometteur pourtant : il passait par Etoile. Seulement, Maxine Bauer avait échoué à la Défense avec un bac +8, quatre langues luesécritesparlées, ses vêtements de créateurs plus riches que l’uranium enrichi et sa nostalgie des jours où le RER A la menait deux stations plus loin, à la fac. Temps de la bohème vaguement anarchiste, surtout désœuvrée, à la source de ses utopies les plus récentes et de ses engagements les moins durables.
Ballerines au pied et talons dans mon sac : ma logistique est sans faille. Mon sens aiguë de la ponctualité me vaut encore de passer par la sortie de secours du 26ème pour accéder à l’étage supérieur qui accueille ma cage. Le début de l’intrigue est déjà une erreur : entrer par une sortie de secours, appelons cela un pied de nez du destin. C’est effrayant quand on y pense, un massacre de fantasmes : je n’ai pas trente ans et j’ai déjà bousillé mes ébauches de rêves toute seule comme une grande pour ne pas subir la « crise ». Je me suis gentiment désolidarisée de ma « génération sacrifiée ». Le décor est planté dans une pièce sans fenêtres partagée avec deux co(nnards)-bureaux .
Activités pousse-au-crime : déjeuners entre collègues que toute personne attachant un tant soit peu d’importance à sa santé mentale refuserait. Mais ce type de comportement serait contraire à « l’esprit du cabinet» et participe de mon intégration limitée à l’équipe, comme mentionné lors de ma dernière évaluation.
Les déjeuners entre collègues donc, qui commencent par le sacro-saint dilemme : sortir ou pas de notre « prison dorée », comme la nomment les associés du département, qu’on ne voit pas souvent derrière les barreaux 24 carats d’ailleurs. Le consensus mou des non fumeurs impose souvent la cantine et devinez qui va devoir palabrer sur les weekends à CenterParcs, la sexitude de Robert Pattinson (la star de « arrêtes, t’as pas vu Twilight ?») et autres dossiers que je vomis et ne feins même plus de connaître pour donner le change. Le genre de débat où j’apprends avec effroi qu’il y a encore des gens qui vont chez Ikea le dimanche. Et on s’étonne de la consommation forcenée d’antidépresseurs des français.
Dans les jours fastes, vous pouvez être éligible à un tête-à-tête avec Martine «au bureau ». Elle s’épanche sur le choix du lycée pour sa deuxième « qui fout pas grand-chose mais qui a du potentiel», sur les absences injustifiées de Yolande sa meilleure a(enne)mie ici et, si vous avez la baraka, vous vous retrouvez à écouter avec autant de sollicitude que possible les déboires intimes de madame en pré-ménopause. Elle vous assène d’un air docte qu’on peut sauver son couple en fréquentant (comme elle) des ventes privées de sex-toys et de dessous coquins.
Veuillez me pardonner mais mon savoir-vivre est mis à l’épreuve.
Vis ma vie de juriste: «Ma petite Maxine, j’ai besoin que vous vous rendiez disponible dans les prochaines semaines pour ce dossier urgent, c’est la rançon de la gloire ma chère», directive invariablement suivie d’une phrase tout à fait conforme au règlement intérieur : « et puis la perspective de passer de longues soirées près de moi n’est pas si terrible. Si vous avez des questions, n’hésitez pas : harcelez-moi», rire gras. Jean-Pierre Porchiet, 57 ans, associé du service fiscalité des entreprises, lunettes sans cadre, amateur de vins, pris d’une passion récente pour la moto.On aime sa subtilité renversante et sa tendance au haussement de voix systématique pour m’impressionner dès qu’un homme s’aventure dans son bureau en ma présence. Si l’on s’en tient à mon rictus et à la position de mon bloc-notes, je suis plongée dans un état des plus serviles. Consternation intérieure avec séquelles. Béatifions Mme Porchiet.
Et je me prends à repenser désespérément à ma vie d’étudiante en master de droit fiscal comparé à Stanford. De toute façon, cette année là, j’y songe constamment, déjà parce qu’il va me falloir entre sept et neuf ans pour rembourser mon prêt étudiant. Je regretterais presque toutes les valeurs sociales américaines notamment celles sur le harcèlement sexuel au travail. Sauf quand je réalise que les ratés du fameux système financier anglo-saxon m’ont conduit à accepter la première offre qui passait après onze mois à me prostituer dans des entretiens d’embauche menés par des hommes et des femmes psychotiques qui sont l’honneur de ma profession.
J’ai donc signé avec le consentement le plus éclairé pour une collaboration dans l’atmosphère libidineuse du cabinet d’audit juridique « Madsen LLP ». Au début, c’était plutôt un soulagement (parental et bancaire). Une équipe jeune et sympathique, principalement masculine, qui parlait de Formule 1, de foot, de Clara Morgane… l’élégance en somme. Le genre d’homme qui fait sérieusement prendre en considération les bienfaits du mouvement « No Sex » prônant l’abstinence.
Et puis, il y a eu l’incident Antoine. Un modèle du genre : le trentenaire charmant à l’humour acide dont les cheveux reprennent leurs droit au fil des heures de la journée et qui vit mal ses costumes qu’il porte si bien. Un pedigree : école de commerce parisienne, appartement dans le 16ème arrondissement avec femme de compétition et enfants scolarisés à la maternelle franco-américaine. Juste l’écueil à éviter.
Les nocturnes au cabinet créent des liens qu’on ne peut pas « passer en frais » mais dont on fait plus ou moins les frais. Une liaison toutes options parfaitement assumée, jalonnée de nuits d’hôtels de jour ou de séjours sous son bureau (bien plus large que le mien : de l’avantage de coucher avec un homme à responsabilités). Adultère à l’origine d’un intérêt soudain de sa part pour tous les cycles de conférences et autres formations professionnelles sur le marché. Sa femme devait être si fière de lui. Des récréations sexuelles sans perte ni fracas. Un week-end à Bruges et des grandes promesses unilatérales plus tard : la rupture (presque) sans perte ni fracas.
Je franchis la porte de votre cabinet parce que je suis encerclée par des gens bien intentionnés qui me plongent parfois dans le désarroi quant au pourquoi de mon affection à leur égard. « Vouloir garder ton nom de jeune fille si tu te maries, c’est insensé ! va consulter ! », « Tu devrais peut-être parler à quelqu’un de tes problèmes liés à l’engagement »…N’allez pas imaginer que je suis un mouton de Panurge mais je subis ces phrases à un rythme exponentiel, d’où ma présence ici.
Marilyn Monroe, Betty Draper (Mad Men), Maxine Bauer: même combat.
En amour, j’ai toujours préféré les dissolutions amiables anticipées. C’est ce que je dis souvent à mes clients : la dissolution judiciaire c’est long, pesant, optez pour une dissolution amiable, un arbitrage, un mode de règlement pacifique des différends. Et moi en attendant, je suis en mode de dérèglement pacifique des sentiments. (Le médecin griffonne sur sa feuille).
Je suis passée maître dans l’art de contrôler mes émotions et je pêche par orgueil. C’est fou ce que je vais vous dire mais un de mes regrets, c’est que j’aurais aimé être irradiée par une passion pour que ma vie personnelle soit moins vide de sens, quitte à souffrir à crever. Aucun homme n’a mis mon cœur en alerte. Personne n’a mérité de me ravager le cerveau (reprise de notes du médecin).
J’aimerais juste être aimée dignement, sinon, à quoi bon l’amour ? Je ne vais pas sacrifier mon temps et votre argent sur l’autel de ma santé mentale, docteur. Vous pouvez noter : jeune femme bien sous tous rapports, lisse comme l’ardoise, en apparence. Vie certifiée non conforme à l’originalité. Victime des intermittences de son cœur et souffrant de problèmes relationnels diagnostiqués par un entourage bienveillant et donneur de leçons. En danger mais dénuée de courage. Velléité de s’animer, de réveiller son âme.