Instants d'éternité
anthea
Du haut de ma terrasse, je contemple mes soleils d’enfant. Mon premier jour d’été. Enfant, pieds nus sur le carrelage brûlant, cachée derrière les volets bruyants, j’attendais le premier matin du monde. Celui où la nature se tait. Celui où la verdure des vallons de Provence, sculptée entre ciel et mer, s’offre toute entière au ciel. Où les vallons de fleurs se colorent. Où seul le crépitement des pins annonce le levé du soleil, et ma terrasse, telle un temple Maya, attend l’apparition des premiers rayons. Une mer d'huile, au loin, dessine l'horizon. Au-delà des frontières, au-delà de mes rêves. A la proue de mon transat, sur la pointe des pieds, je guette les navires ; vaisseaux fantômes, qui naviguent dans le ciel sur le miroir de l'eau. Vers midi, je brûle dans une vague ensoleillée où les douze coups de midi sonnent le sommeil calme du village endormi sur son rocher. J’y ai vu passer les foudres et les incendies, coups de tonnerre et coups de feu, dans les sirènes et les alarmes, ou dans le vol des canadairs, car c’est dans le frisson qu’elle construit mes souvenirs. Condamnée à vivre dans une lumière merveilleuse, je vis enchaînée à l’espoir de pouvoir rester ici dans le port de mon errance solitaire. Prisonnière de ce vœu, je contemple la terre aride en bas en y jetant des graines, bribes de mon futur qui, je l’espère, pousseront un jour.
A toute heure, la nature, immuable, sculpte un vide immense dans la perspective de mon jardin. Au dessus des pins solidaires s'élève la mer apaisée dans un bleu turquoise irréel. C'est ici, dans ce décor d'éternité, que le temps a passé sur ma vie comme autant de couchers de soleil. C'est ici que l'ombre de mon être a poussée à l'ombre de moi même dans le silence du monde. Ma terrasse vit toujours en haute saison ; on y dort, on y dine, on y bronze, c’est un refuge. Aux soirs de chagrin, elle seule vide le seau de mon âme trop pleine. Puis, balayée par les vents de l’oubli ou silences éternels ma terrasse de nuit s'illumine aussi. Au 14 juillet, dans son berceau d'étoiles, elle se colore d'artifices là où l'écho de la fête lui renvoie le silence de son perchoir immuable. Dans le ciel immense, les étoiles filent mais pas moi. Les bras tendus vers l’étincelle de l’obscurité, j’embrasse l’espace qui m’étreint. Je m'accroche à ce petit bout d'éternité. Ma terrasse n’est pas un balcon, c’est un paradis perdu, un vertige vers l’inconnu.