Intérieur, femme en bleu fouillant dans l’armoire. Pascale et les chameaux à trois bosses
zoetantot
Pascale fouille dans l’armoire à chiffons de sa mère. Elle voudrait faire une tente, une grande, très grande comme à la télé. Une tente sous laquelle des femmes avec des chiffons sur la tête font à manger, crient après leurs enfants, les embrassent, chantent et rient comme les anges des églises. Une tente dans laquelle on peut se cacher du soleil, du sable comme à la télé. Une tente près de laquelle les chameaux ou les dromadaires avec leurs une, deux ou trois bosses, elle ne sait plus, mâchouillent lentement des chewing-gums. « Mais non Pascale, ce ne sont pas des chewing-gums ! Depuis quand les animaux mangent des chewing-gums. Ma pauvre fille qu’est ce que t’es bête » avait dit maman.
Pascale veut se cacher aussi, pas du soleil et du sable comme à la télé. Elle veut se cacher de maman, de papa, de ses frères et de sa sœur. Non, ce n’est pas le bonheur pour Pascale. Claude François y connaissait rien. Elle veut se cacher du monde aussi. Tout le monde la regarde bizarre. Souvent elle s’en fout. Elle n’y pense pas dans le centre. Tout le monde est bizarre au centre sauf Fabienne, Françoise et René. Mais eux sont différents. C’est les éducateurs. Ils s’occupent de Pascale et des autres bizarres du groupe. Ils font des sorties pour aller faire du cheval, nager et faire les courses. Ils partent même en vacances. Ils sont allés à la mer même.
Fabienne avait râlé pour faire semblant « Pas la mer Pascale, l’océan ! C’est mieux ». Fabienne avait expliqué que c’était sa région d’enfance et que ce n’était pas la mer, mais l’océan. Et Pascale qui taquine beaucoup avait poursuivi Fabienne tout le temps du transfert « la mer, la mer, la mer ». C’était très drôle. Fabienne lui répondait en rigolant. Sauf le soir où ça la faisait moins rire. C’est vrai ça le soir les éducateurs, ils rient pas beaucoup.
Pascale fouille toujours dans l’armoire. Elle cherche des draps plutôt que des torchons. Hier elle a essayé de se cacher sous les torchons. Elle en avait mis un sur la tête et s’était assise au milieu du salon. Elle était bien cachée grâce au torchon. Sa mère l’a trouvé quand même. Et elle l’a grondé fort. Pascale avait expliqué qu’elle était sous la tente et qu’elle ne pouvait pas la voir. Sauf que sa mère avait repris le torchon en lui disant de ne pas toucher au placard. Pascale elle, était très fâchée, trop fâchée. Elle voulait rester cachée des ses frères et sa sœur qui étaient venus la voir. Pascale s’était accrochée au torchon et avait répondu à sa mère « t’es conne, t’es conne, t’es conne, salope ! ». Pascale avait tapé sa mère. C’est pas bien. Mais elle était cachée. On pouvait pas la voir.
Sa sœur était venue et avait expliqué à Pascale qu’il fallait un tissu plus grand pour qu’on ne voie plus Pascale. Que maman avait raison. On la voyait avec le torchon sur la tête. Pascale ne devait plus taper ni insulter les gens. Alors aujourd’hui Pascale cherche un grand tissu, des draps ce serait bien. Sa sœur est revenue avec ses bébés et Pascale veut se cacher. Pascale aime les bébés. Elle aime bien ceux de sa sœur. Elle a de la chance sa sœur d’avoir des bébés. Elle aimerait bien avoir des bébés. Mais maman veut pas. Elle veut pas qu’elle ait un amoureux non plus. Elle s’en fout Pascale parce qu’elle en a plusieurs au centre. Ils aiment bien Pascale parce qu’elle rit tout le temps. C’est vrai, mais c’est pas vrai non plus. Quand Pascale va faire les courses avec sa maman, c’est pas vrai. C’est vrai, elle aime regarder dans les vitrines des magasins, surtout de ceux avec des animaux, et toucher les vêtements, les bijoux, marcher un peu (mais un peu seulement) dans les rues de la ville. Mais elle se sent bizarre quand elle est dans la rue avec sa maman. Et Pascale n’aime se sentir bizarre. Les gens la regardent, y en a qui ont peur, d’autres qui se moquent. Pascale sait qu’on dit qu’elle est deb. Au centre ils se traitent tous de deb. Mais tout le monde est deb là bas. En ville, non.
Dans la rue, parfois elle veut avoir une tente tout de suite là pour se cacher. Une tente grande, grande, grande avec des chameaux ou des dromadaires avec ou sans bosses. Eux aussi ils ont l’air deb avec leurs chewing-gums, c’est peut être pour ça qu’ils restent avec les tentes et les dames avec les chiffons sur la tête. Mais pourquoi ne rentrent-ils pas dedans alors?? Si Pascale pouvait elle mettrait des tas de tentes dans les rues, devant la dame du pain qui sent bon, devant la dame des cheveux qui sent fort et donne mal à la tête, devant le monsieur de l’épicerie qui sent des pieds.
Des tentes partout sauf devant le monsieur des chiens, des chats et des poissons. Un jour, elle avait parlé des tentes à Fabienne. Fabienne lui avait dit que parfois elle aussi elle aimerait une tente pour se cacher. Et Pascale ne comprenait pas que Fabienne ait envie de se cacher. Est ce qu’elle se sent bizarre elle aussi ?
Mais où sont les draps ? Ha ! les voilà. Les draps sentent bons, y en a de toutes les couleurs. Ca va faire une belle tente. Un drap, deux draps et hop Pascale est dans la tente, il ne manque que les chameaux. Elle entend des pas. Sa sœur regarde sous la tente et lui sourit en lui tendant des chewing-gums. « Tiens on n’a pas de chameaux mais j’ai des chewing-gums ». Puis elle demande « Je peux venir ? Moi aussi j’ai envie d’être sous la tente ». « Tu te sens bizarre ? » répond Pascale. Sa sœur lui sourit en hochant la tête et rentre dans la tente. Pascale entend les bébés qui pleurent très fort. Peut être qu’ils se sentent bizarres aussi ? Va falloir plus de draps.