Ire

achlydes

Ire

Ma vie avait tout du conte de fées à l'exception peut-être de la présence de bonnes fées exauçant mes moindres souhaits. Elle avait tout du conte de fées disais-je. J'avais des amis. J'exerçais un métier que j'adorai. Je vivais dans une petite ville calme et charmante où rien ne troublait véritablement la vie de tout un chacun.

Mais mon bonheur avait du déplaire à quelqu'un. Depuis un certain temps, le conte de fées s'était transformé en cauchemar. Pour une raison qui m'échappait, quelqu'un s'ingéniait à me rendre la vie impossible. Il s'employait à détruire tout ce qui faisait ma vie. Rien n'était épargné. Tout était saccagé, réduit en morceaux. Tout devenait ruines. Mêmes les souvenirs, attachés à ce qui avaient été, devinrent sources de souffrances. Ils rappelaient ce qui avait été à jamais perdus. Et ces rappels à la vie passé étaient douloureux.

Ma bonne étoile m'avait abandonné et laissé aux prises d'un être tout droit sorti des Enfers. Cette immondice me poursuivait en permanence. Cet être ignoble était attaché à tous mes pas. La peur avait chassé la moindre trace de mon courage à lutter contre sa violence. Je fuyais en permanence. Mais malgré tout, je sentais son ombre menaçante en permanence derrière moi.

Mon entourage voyait son nombre se réduire. Tous mes proches me fuyaient pour se protéger. Ou je les fuyais tous pour les protéger. Je ne sais plus. La solitude devint ma plus fidèle compagne. Aucun de mes amis ne pouvait plus m'aider. A la mort, il les avait tous voué. Avec toutes ces nouvelles offrandes, la mort s'enorgueillissait et semblait offrir une protection à ce monstre afin qu'il puisse lui offrir de nouvelles victimes. Nul ne parvenait à arrêter sa folie meurtrière. Avec un plaisir des plus morbides, il me laissa un jour baignant dans le sang de mes proches. Et depuis, je fuis sans oser jamais m'accorder un moment de repos. La peur et même la terreur me tenaillaient constamment.

Aucun lieu ne semblait plus m'offrir la moindre sécurité. La désolation ravageait tout endroit où je m'arrêtais ou que j'avais tout simplement traversé. Tout lieu devenait un cimetière. Les fleuves se gorgeaient de sang. Les fleurs se mirent à sentir la putréfaction. Ressentant la menace, les animaux se terraient, me fuyaient à mon approche. Toutes traces de vie s'effaçaient. Tout instant de repos était chèrement payé. Les cris et les larmes de ses nouvelles victimes me signalaient sa présence. Avec un sadisme raffiné, il les immolait faisant de leurs corps disloqués des œuvres d'art morbides. Leurs visions provoquaient de profonds malaises.

N'ayant aucun scrupule à détruire l'innocence, il frappait là où cela faisait le plus mal. Devenues hystériques, fracassées par une douleur sans nom, des mères s'acharnaient à raviver le corps sans vie de leurs enfants. Les amoureux perdaient leur douce moitié. La noirceur de son âme plongeait les proches de ses victimes dans des abîmes de désespoir. Certains sombrèrent dans une profonde dépression et n'en ressortirent jamais. D'autres, incapables de supporter ces trop douloureuses douleurs, se donnèrent la mort pour retrouver ceux qui leur avaient été arraché.

Fut un temps, pour arrêter toutes ces atrocités, je me vouai à le retrouver. Pour mettre un terme à son règne de la terreur, j'osai prendre tous les risques. J'aurais tout essayer pour en finir. Rendre à la justice le respect qu'elle mérite et retrouver la douceur de vivre sans être sous l'emprise d'aucune menace m'importaient plus que ma propre vie. Mais très vite, je pris conscience de mon impuissance. Aucun de mes pièges ne parvenait à le surprendre. Il se riait de moi. Plus mon impuissance grandissait et plus sa puissance grandissait. Petit à petit, la peur s'insinua dans mon cœur. Et de chasseur, je suis passé au rang de proie. Tel un animal traqué, je fis tout pour assurer ma survie.

Jamais loin. Mais jamais vu, ni même entre aperçu. Son visage m'était inconnu. Tous ceux l'ayant croisé ne pouvaient pas me permettre de le confondre. Au silence, il les avait tous réduit. Un ennemi sans visage. Tout inconnu devint un suspect potentiel. Pour ma survie, je ne pouvais plus me fier à personne. Je voyais en tout sourire avenant une perfidie. En tout geste amical, une manœuvre pour endormir ma méfiance. Le vide se créait autour de moi. Mais, je ne m'en plaignais pas.

Au contraire. Ne voulant pas lui offrir le loisir de m'atteindre au travers d'un nouvel ami, je ne me permettais aucun attachement. Je pensai ainsi épargner la vie de ceux croisant mon passage. Peine perdue. Après avoir fait ma connaissance, la mort leur rendait visite. Maudit, je me sentais porteur d'une malédiction. Une malédiction qui n'avait aucune pitié pour les malheureux faisant ma connaissance.

Même en ne m'attaquant jamais de face, ses coups ne manquaient jamais leur cible, moi. Epiant chacun de mes gestes, il ne frappait jamais au hasard. Malgré mes efforts pour brouiller les pistes, il me retrouvait toujours. Anticipant chacune de mes décisions, il connaissait chacun de mes gestes. Même mes pensées ne semblaient plus être à l'abri de ses agissements. Elles semblaient être lues à l'intérieur de ma tête. La folie me guettait. Ses talents de chasseur ne me laissaient aucun répit. Je me mis à douter de tout. Même de moi-même.

Ma seule certitude. Cet être se vouait entièrement à me nuire, me détruire. Et pour cela, il me semblait qu'il avait une entière connaissance de ma personne, de ma personnalité. Il me donnait l'impression d'être nu en permanence. Je ne pouvais rien lui cacher. Tout lui était connu. Où que je soi, il était là. Quoi que je fasse pour essayer de survivre, il le contrait. Déjouant tous les plans pour le capturer, il ne laissait aucun indice permettant de l'identifier. Il avait la force et l'intelligence d'un démon et la consistance d'un fantôme.

Je ne me souvenais même plus de la dernière fois où j'avais pu dormir sereinement. Mes nuits se peuplaient de cauchemars sanguinaires. A peine avais-je fermé les yeux que je me retrouvai spectateur impuissant de ses mises en scène criminelles. Ses yeux devenaient mes yeux. Et mes yeux devenaient ses yeux. Les souffrances de ces pauvres gens, la vision de tant d'horreurs, me rendaient le sommeil insupportable. Au réveil, un goût de sang me restait au fond de la gorge. En sueur, chancelant, je courrais sans aucun but. Ma vie devint une errance perpétuelle.

Dès le premier jour de mon arrivée dans cette ville où le hasard a mené mes pas, il commença son œuvre de destruction. Son théâtre de l'horreur enchaîna les représentations. Les manifestations de sa fureur de plus en plus agressives, me conformèrent dans une idée. La confrontation devenait imminente. A sa sanglante main, je ne pouvais plus me soustraire. Après tous mes efforts à le fuir, épuisé, je consentais à rendre les armes. Devenue un cauchemar permanent, ma vie m'était devenue insupportable. Je n'en pouvais plus. Et je ne parvenais pas à comprendre pourquoi ce monstre mettait un tel acharnement à pourrir mon existence. Dans mes plus lointains souvenirs, je n'ai même pas trouver la moindre trace d'une quelconque maladresse envers qui que soit. Une maladresse ayant pu faire naître toute cette haine contre moi.

Et par cette nuit d'orage où les vents poussaient de lugubres hurlements, sa présence se faisait de plus en plus proche, oppressante. Terrorisé, aucun foyer ne me portait secours. Une à une, toutes les lumières s'éteignaient. La vie fuyait devant moi. Et dans cette mortelle obscurité, mes suppliques n'émouvaient personne. Désespéré par cet injuste châtiment s'apprêtant à me frapper, mes vains efforts ne parvenaient pas à forcer la moindre entrée d'un abri.

Entre deux grondements de tonnerre responsable et ire se faisaient entendre. Surgissant de partout et de nulle part, ces mots se répétaient à l'infinie. Entendu tour à tour, ces deux mots devinrent les seuls que j'entendais. Le reste du monde m'imposait son silence. Mais à force de les entendre, ces deux mots devinrent une torture. Ils rongèrent lentement mais surement ce qui me restait de raison. Le naufrage dans la folie devenait de plus en plus proche. A grands pas, j'avais la certitude, ou je croyais l'avoir, que s'approchait l'ultime moment où ma raison disparaitrait à tout jamais au profit de la folie.

N'espérant plus aucune indulgence de la part de mon bourreau, l'abattement me submergea, m'entraina de plus en plus profondément dans les ténèbres. Le sentant s'approcher dans la pénombre, mes yeux scrutaient avec angoisse tous les moindres recoins. Croyant voir, apercevoir une ombre menaçante, mon âme sentait se resserrer sur elle une mortelle étreinte. Un froid qu'aucune chaleur ne pouvait réchauffer me glaçait le corps. De nombreux frissons m'agitaient. Le moindre bruit me plongeait dans une infinie terreur. Je me terrais comme un criminel en fuite. J'essayais de me rendre invisible. J'essayais de faire croire à ma non existence pour essayer de pouvoir vivre mon existence.

Aucune échappatoire, aucun salut, ne me tendaient la main. Quand soudain une porte s'ouvrit. Une lumière bienfaitrice déchira le voile sombre de l'angoisse. Mes dernières forces m'y précipitèrent. Mais mon élan fut stoppé net. Surpris par une atroce douleur, la paralysie emprisonna mon corps. Livrée aux plus aiguisées des lames, ma tête s'enflamma. Soumis à la plus perfide des tortures, mon cerveau se réduisit en charpie. Des milliers d'aiguilles le transperçaient. Toutes ces aiguilles s'enfoncèrent profondément dans ma chair. Ne supportant plus la douleur, je perdis connaissance. Il me sembla sombrer dans le plus profond des gouffres. Les ténèbres m'engloutissaient.

Bien qu'à bout de souffle, je réussis à réunir quelques forces. Mes yeux s'ouvrirent avec peine. Dans une clarté aveuglante, devant moi se dressait un homme tout de noir vêtu au regard tout aussi sombre. Avec hargne, son doigt désignait le responsable de tous mes malheurs. Derrière lui, une foule où larmes et colère s'élevaient. Soutenu par la vindicte populaire, à la limite de la vocifération, il décrivait tous les crimes commis. De tout son discours enfiévré, seul le mot responsable s'opposant à irresponsable devenait audible.

Soudainement, la vérité sur toutes ces atrocités m'éclaira. Cet être immonde recherché et fui n'était autre que moi sous l'emprise de la folie. Sinon comment tout expliquer. Horrifiant toute l'assemblée, un cri abominable surgit de ma gorge détruisant au passage ce qui me restait de raison.

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