IRRÉELLE SUBSTANCE D’UNE VIE

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Étudiante en arts-plastiques, Lucile DELLE a une imagination débordante.  Avec Odile, son amie de toujours elle prépare ses diplômes dans la bonne humeur. Mais un rêve chaotique vient perturber son existence. Comment quelque chose sorti tout droit de son inconscient peut devenir réel ? C’est la question que Lucile se pose est à laquelle elle veut trouver une réponse depuis que le jeune homme qu’elle a vu en rêve est apparu devant elle. Décidée à le retrouver coûte que coûte, Lucile s’engage dans une quête haletante où il devient difficile, pour elle, de distinguer le rêve de la réalité…

Elle s’accroche à lui, elle se pend à son cou. Pourtant, elle sait qu’il est mauvais, malsain. Elle plaque son corps contre lui, met le visage contre son épaule pour respirer son odeur une dernière fois. Lui, il est droit comme un i, dure comme du marbre, il reste stoïque. Elle gémit, il ne lui a apporté que du malheur et il ne pourra rien lui offrir d’autre. Elle souffre, c’est insupportable.

Lucile DELLE ouvre les yeux, elle voit l’heure inscrite en rouge sur le plafond de sa chambre d’étudiante, il est 5 heures. Mon dieu comme ça avait l’air réel. La sensation de dégoût et d’attirance pour cet homme est encore tellement forte dans son corps. Elle déglutit, se retourne et essaie de se rendormir, il reste encore 1h30 avant que le réveil ne sonne, et demain il y a un partiel d’histoire de l’art. L’image de cet homme jeune, élancé, brun, planté au milieu d’une chambre crasseuse et elle qui le supplie de rester alors qu’elle le haie pour ce qu’il est, pour ce qu’il fait, reste figée devant ses yeux. Elle a l’impression d’avoir vécu cette scène, mais ce n’est pas possible, elle ne le connait pas.

6h30, la radio se met en route et tire Lucile d’un sommeil inconfortable et épuisant. Tout de suite le rêve de cette nuit lui revient en mémoire et avec lui son cocktail de sensations étranges et désagréables. Elle secoue la tête pour le chasser et se lève. Elle ouvre son mini réfrigérateur et boit à même la brique de lait, puis va prendre une douche en espérant que ça lui éclaircisse les idées.

— Salut ma belle, tu n’as pas l’air en forme.

— Tu parles, je viens de me taper une demi-heure de bus à côté d’un gros puant et je ne pouvais pas bouger, on était serré comme des sardines. L’ho-rreur ! Et toi, ça va ?

— Ouai, bon comme d’hab, je me fais chier, mais tu me connais…

Ça pour la connaître, elle la connait ! Soupe au lait avec un cœur d’or, voilà comment on pouvait d’écrire Odile MONON, sa meilleure amie.

— Ouai, on y va ?

— Hum. T’as révisé ?

— Bof.

— Tu fais quoi après ? On se fait du shopping ? On l’aura bien mérité après 3 heures à plancher sur Poussin, Ingres et compagnie.

— Oui mais non, j’ai « atelier » on doit travailler l’expression libre avec Latour.

— Latour, beurk, j’aime mieux pour toi que pour moi. Je ne peux pas le piffer ce prof. Je n’ai pas choisi « atelier » à cause de lui, il me débecte.

Lucille hausse les épaules et Odile ricane.

— Installez-vous aux tables à dessin. Aujourd’hui vous allez expérimenter « l’écriture automatique », mais je vous préviens ce sera sans substances illicites. Vous posez votre fusain sur le papier et quand je dis : « Top », vous fermez les yeux et vous laissez le geste se faire tout seul. Et quand je dirai d’arrêter, nous découvrirons ce qui se cache au fond de vous.

Des brouhahas s’élèvent, plus de la moitié des étudiants prennent Latour pour un fou, mais s’ils veulent valider leur semestre, il faut en passer par là. C’est parti, Lucile est confiante, elle n’a jamais eu de mal à réaliser les travaux excentriques demandés par ce prof.

— Stop !

En ouvrant les yeux, Lucile est muette de stupeur. Alors qu’elle a laissé son imagination vagabonder vers des paysages bucoliques, elle découvre qu’elle a représenté la scène déchirante de son rêve. Un profond malaise la saisit, la pièce commence à tourner, elle se tient à la table à dessin pour ne pas tomber. Personne ne remarque son étourdissement et quand Latour passe à côté d’elle, il la félicite pour la qualité de son travail comme si de rien n’était. Le cours est fini, Lucile range précipitamment sa feuille dans son carton à dessin et sort de la salle de classe. Elle a besoin d’air.

En fin de journée, une fois rentrée dans sa résidence universitaire, elle monte directement dans sa chambre en espérant ne croiser personne. Depuis 2 mois qu’elle est entrée à l’université, elle a déjà fait quelques connaissances, du genre bonjour, bonsoir. En général, elle passe plutôt inaperçue, sans pour autant refuser les prises de contact. Mais ce soir, elle n’est pas en état de rencontrer quelqu’un. Surtout pas son enquiquinante voisine de palier qui va, à tous les coups, lui demander de l’accompagner au restaurant universitaire, si elle la voit.

Une fois à l’abri dans sa chambre, elle ouvre d’une main tremblante son carton à dessin et observe son œuvre. C’est incroyable la précision des détails. Le visage du jeune homme est beau mais avec une expression glaciale. Il porte une chemise avec les manches retournées jusqu’aux coudes et son pantalon à pinces tient avec des bretelles. Ses bras sont plaqués le long de son corps, on voit que ses muscles sont tendus. La femme qui se pend à son cou est de trois quarts. On ne voit pas son visage car il est enfoui dans l’épaule de l’homme, Lucile sait qu’il s’agit d’elle-même. Elle a les cheveux longs relevés en un chignon souple dont s’échappent de nombreuses mèches bouclées. Elle est vêtue d’une robe comme en portaient les femmes au XIXe siècle.

Son cerveau turbine, mais ça ne sert à rien, l’explication la plus logique c’est que c’est son imagination qui lui joue des tours : elle n’a jamais rencontré ce garçon et encore moins il y a plus de 100 ans. Affaire classée !

Après cet épisode troublant la vie reprend son cours entre les études d’arts-plastiques, Odile, les soirées étudiantes et le retour, à chaque période de vacances, chez ses parents.

Dans un mois Lucile a 20 ans, tout un programme. Odile a prévu une sortie : diner entre copines dans un nouveau restaurant. Il parait que cette brasserie a plus de 150 ans et qu’elle a été rénovée en conservant au maximum le style de l’époque.

Quand le grand jour arrive, Odile entraîne Lucile dans une boutique de farces et attrapes pour louer des costumes d’époque. Elle semble avoir tout prévu dans les moindres détails pour que cette soirée reste inoubliable. Une séance d’essayage commence alors avec force rires et commentaires scabreux. Finalement, après 2 heures épuisantes, elles repartent habillées de pied en cap comme des dames du monde dans leurs robes à tournures.

C’est bras dessus, bras dessous qu’elles entrent, ce soir-là, dans la brasserie. L’atmosphère est bruyante, enfumée, mais tellement joyeuse et colorée, on dirait que tout le monde s’est donné le mot pour permettre à l’établissement de ressembler à ce qu’il avait dû être au temps de sa splendeur. Bien décidées à en profiter au maximum, les deux amies suivent le serveur tiré à quatre épingles et s’installent à une table. Lucile sort son carnet à dessin de son réticule et commence à croquer différentes scénettes, c’est plus fort qu’elle. Ici un gros homme moustachu en gilet avec une montre à gousset, là une femme portant un chapeau à plumes à faire frémir les plus beaux perroquets. Odile la regarde avec insistance pour lui faire comprendre qu’elle doit ranger son attirail. Lucile s’exécute à regret.

La soirée s’écoule à merveille, Lucile est comblée, elle qui adore ce qui sort de l’ordinaire est servie. Les mets sont succulents ce qui rajoute encore, si c’était possible, au charme du lieu.

— Je vais au petit coin, ça risque d’être un peu long car je n’ai pas l’habitude de porter tous ces harnachements !

— Oui vas-y, j’irai après toi.

Lucile se lève et se dirige vers les toilettes des dames, se faisant elle passe à côté du vestiaire et aperçoit un homme au fond du couloir. Interdite, elle le fixe et il la regarde en retour, durement. Elle écarquille les yeux et l’instant d’après il s’éclipse par une porte. Lui, c’était lui, l’homme de son rêve, ce n’est pas possible !

— Madame, je peux vous aider ?

Lucile sort de sa torpeur, elle ne sait pas combien de temps elle est restée là à contempler le couloir.

— Les toilettes s’il vous plait.

— Par ici madame.

Peu de temps après son retour à table, les lumières s’éteignent. Les clients s’exclament d’une seule voix. Lucile qui a perdu de sa bonne humeur suite à l’incident des toilettes, sursaute. Elle scrute le noir dans l’espoir de distinguer quelque chose. L’angoisse commence à l’étreindre. De petites lumières vacillantes apparaissent à l’autre bout de la pièce, se rapprochent. Des voix de basse s’élèvent : « Joyeux anniversaire… ». Quelle idiote ! Elle a eu la frousse de sa vie, encore un coup tordu d’Odile. Elle l’adore.

Quatre serveurs arrivent en chantant avec un gâteau d’anniversaire, ils le déposent sur la table devant elle. Il ne lui reste plus qu’à souffler les bougies, mais avant, elle fait un vœu. Les lumières se rallument, toute la salle applaudit, Lucile sourit. Comme attirée, elle tourne la tête. Elle le voit. Elle esquisse un geste pour se lever, mais il a déjà disparu.

Quelques semaines plus tard, alors qu’elles attendent l’heure du prochain cours, Odile relate pour la énième fois à Lucile sa soirée d’anniversaire, la tête qu’elle faisait au moment du dessert, ..., c’était trop drôle et aussi émouvant selon elle. Lucile s’en moque. C’est vrai, la soirée était merveilleuse, mais depuis elle est hantée par le souvenir d’un regard. Et quel regard, il a les yeux gris et froids comme du métal. Un air sombre et ennuyé, comme s’il ne voulait pas qu’elle soit là. Et ce visage, comme sculpté dans du marbre, d’une beauté sans pareil…

— Hé ! Tu m’écoutes ?

— Quoi ? Oui, oui, c’est juste que… Je réfléchissais.

— Oui, bah au moins fais semblant d’écouter, ce sera moins vexant !

— Excuse-moi, d’accord ?

— M’ouai. Allez viens, on va être en retard en esthétique.

Dans l’appartement attenant à la brasserie « La belle époque », Julien DE MIRBEC, assis à son bureau, a du mal à se concentrer sur ses comptes. Contre toute attente, à 25 ans il est devenu chef d’entreprise. Son idée de remettre au goût du jour une brasserie dans le style « art nouveau » a marché au-delà de ses espérances et son restaurant est devenu un lieu incontournable pour toutes les générations confondues. Une fois par mois, une soirée costumée est organisée et pour être dans le coup il faut y avoir été vu.

Bien que son logiciel de comptabilité soit dès plus performant, si les données saisies sont erronées, il ne fera pas de miracle et c’est ce qui est en train de se produire tant Julien est distrait.

— Bon sang ! Ce n’est pas vrai !

— Que dis-tu mon chéri ?

Julia STANO, sa copine du moment, est un peu envahissante au goût de Julien. Les filles vont et viennent dans sa vie si bien que dès que cela pourrait devenir sérieux, il prend ses distances.

— Rien !

Cette fille lors de la soirée costumée voilà l’objet de ses pensées. Châtain clair, délicate, les yeux bleus foncés, la peau très blanche, elle pourrait bien être son bourreau et sa rédemption à la fois. Faut-il la rechercher où l’oublier ? Mais l’oublier cela voudrait dire continuer à vivre de nouvelles vies, sans arrêt. Il en est déjà à sa cinquième depuis qu’elle lui a jeté cette malédiction et c’est la première fois qu’il la croise depuis 1880. Peut-être a-t-elle commencé à lui pardonner ? Peut-être va-t-il pouvoir être libre et cesser de se réincarner pour revivre sans cesse une nouvelle vie au fils des années, des siècles même ? Le seul avantage qu’il en tire, c’est qu’une fois à l’âge adulte, la mémoire de ses vies passées lui revient. Il évite donc certains pièges et ses connaissances s’accroissent de vie en vie. Ainsi, il peut modestement penser qu’il a acquis une certaine sagesse. Mais jamais, il n’a vécu pleinement ses vies, pas une fois il n’a pu se marier ni construire un foyer, même si c’est seulement la deuxième vie pendant laquelle il pense à cela. Jusque-là, il était un débauché notoire avec pour seule devise : argent, sexe et drogue, sauf lorsqu’il est mort à 18 ans sur le front de la première guerre mondiale, là, il n’en a pas eu le temps.

  • Il en est déjà à sa cinquième depuis qu’elle lui a jeté cette malédiction et c’est la première fois qu’il la croise depuis 1880.
    Effectivement il manque une ligne, pb d'affichage. Merci.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    100 0342 300

    mv0

  • oups... j'etais suspendu au fil de l'histoire et attendais impatiement son dénouement mais j'ai comme l'impression qu'il manque quelque chose entre la page 7 et la 8 ?! je pense... dommage j'aimerais bien en savoir plus sur ce mystérieux jeune homme aux plusieurs vies!

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Ciel d'%c3%a9t%c3%a9 1

    nonada

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