Isabelle
petisaintleu
Pour l'immense majorité des gens qui me côtoient, vous ne connaissez pas ma sœur, Isabelle. Remarquez, il en est presque de même de mon côté. Enfant, j'étais prisonnier de ma bulle gémellaire dont elle était exclue. Et à bientôt 45 ans, nous n'avons finalement vécu qu'assez peu de temps ensemble. A dix-huit ans et un jour, elle a pris le train pour Braunschweig en Allemagne pour ne plus jamais revenir.
Nous n'avons pourtant que treize mois d'écart. Mais beaucoup de choses nous séparent.
Au niveau de sa personnalité, elle n'a rien du côté extraverti ou provocateur qui me sert de masque pour cacher ma timidité. Je dirais qu'elle a plutôt le profil de la bonne mère de famille. Tout est réglé comme du papier à musique. Les vacances dans le Tyrol depuis vingt-cinq ans en sont un exemple.
Quant à la culture, elle ne s'est pas enfermée dans les lectures interminables du Quid. Je dois avouer très cyniquement que lorsque je lui téléphone, je ne peux m'empêcher d'appuyer sur cette différence et je place toujours quelques références littéraires ou historiques. J'en suis à regretter de lui avoir offert un tome de Kafka dans la Pléiade il y a vingt ans. Bref, je suis un con.
Physiquement, force est d'avouer là encore ma fatuité. Sans me prétendre beau, je n'ai rien à voir avec son ventre avachi (elle n'a eu pourtant qu'un fils, elle pourrait faire un effort), sa face boutonneuse ou sa mise-en-plis qui ferait honte même à la ménagère de plus de soixante ans. En résumé, je qualifierais ma sœur de tue-l'amour.
Mais, je pense qu'une énorme différence nous sépare. Et là, je n'y peux rien. J'aurais beau être le moins fat, le plus inculte ou le plus moche, rien n'y changera. Ma sœur est du sexe féminin.
Cette différence, je ne l'ai réellement comprise qu'il y a cinq ans. Quand Jorg, mon beau-frère, m'a téléphoné pour me dire qu'elle avait fait une tentative de suicide et qu'elle était pour plusieurs semaines dans une maison de repos.
Tout m'est revenu à la tronche.
Le puzzle s'est reconstitué en deux temps trois mouvements. J'ai compris son changement de comportement à douze ans. Que de petite fille sage et effacée, elle se soit transformée du jour au lendemain en petite salope qui devait se faire doigter par la moitié du collège.
Mais ma sœur, je te pardonne que les coups aient soudainement redoublé. Nous n'y pouvons rien si notre papa était jaloux que son amour ne soit pas exclusif.