Itinéraire Paradoxal

via-illusio

Episode 1 : Christophe roule sur l’autoroute des vacances avec sa femme et sa fille. Contraint d’emprunter un axe routier inconnu, il finit par s’arrêter sur une aire pour se reposer. A son réveil, sa femme a disparu.

Episode 2 : Alors que la police commence l’investigation, Christophe est pris en charge par le Dr de la cellule psychologique. Le commissaire en charge de l’enquête interrompt l’entretien, la voiture familiale ne contient aucun bagage, mais le coffre  est inondé de sang.

Episode 3 : Christophe ne fourni aucune explication, mais le Dr semblant douter de sa sincérité, décide d’entamer un diagnostic psychologique qui révèle une personnalité paranoïaque . Apres un accès de claustrophobie, Christophe sort pour rejoindre sa fille, mais celle-ci est à son tour introuvable.

Episode 4 : Christophe est placé en garde à vue en tant que suspect numéro 1 dans la disparition de sa femme, mais la question de la disparition de sa fille semble éludée. Dans la salle d’interrogatoire, il reçoit un coup de fil l’alertant d’un coup monté à son égard, une hypothèse qui prend beaucoup de crédit  lorsque le Dr commence à mettre en doute l’existence de sa fille.

Episode 5 : Se sentant acculé, Christophe accuse le Dr et le flic de vouloir le piéger et de travailler pour l’employeur de sa femme. Le commissaire le questionne à ce sujet mais Christophe est sur la défensive. Lorsqu’il évoque le coup monté le Dr lui explique que sa paranoïa lui joue des tours : il n’y a aucun téléphone dans la pièce.

Episode 6 : Doutant de son propre état mental, Christophe se laisse persuader de pratiquer une séance d’hypnose au cours de laquelle il est hanté par sa femme. Le commissaire lui déterre le passé de la famille, et la piste de l’employeur le mène à une mystérieuse berline noire.

 Episode 7 : L’enquête piétine et Christophe est à bout de nerf. Il ne tolère plus la nonchalance des deux hommes quand a la disparition de sa fille et les accuse de le manipuler. Le Dr lui révèle que sa fille ne sera pas retrouvée, puisqu’elle est morte et qu’il le sait très bien: il était tout près d’elle lorsqu’elle a été tuée.

Episode 8 : Se sentant accusé, Christophe cesse toute coopération et le Dr se voit contraint de lui expliquer  que cette aire d’autoroute n’est que le théâtre de son introspection. Il a fait appel au Dr pour une séance d’hypnose visant à retrouver des éléments pour l’enquête du viol de sa femme et du meurtre de sa fille survenus sous son toit alors qu’il dormait. Le Dr décide met fin à l’expérience mais Christophe renie cette réalité et est prêt a tout pour quitter l’aire, il s’empare d’une seringue et prend en otage le commissaire.

Episode 9 : Intrigué par la faible résistance du commissaire, Christophe découvre que ce dernier soupçonne le Dr d’utiliser cette fausse aire de repos pour ses expérimentations. Apres quelques kilomètres, Christophe remonte enfin jusqu’à la berline, et la prend en chasse, mais au moment ou il aperçoit sa fille à l’arrière, les véhicules se percutent et semblent tomber dans le vide.

Episode 10 : Alors que Christophe est rapatrié par les pompiers, il observe par la fenêtre du camion les panneaux de son trajet. On comprend que toute cette histoire n’était que le récit du rêve de Christophe qui s’est endormi au volant entrainant un accident mortel pour sa famille.

Note de structure : les épisodes 2 à 9 s’ouvrent avec des flash backs du trajet, présentant dés éléments qui semblent nourrir  la paranoïa de Christophe (analogie du processus de structure du rêve). Les épisodes 1 et 10, n’étant pas inclus dans le rêve,  s’ouvrent avec la scène de l’accident.

EPISODE 1

Christophe avait perdu tout repère dans les méandres de son esprit. Errant parmi les formes méconnaissables que projetait son cerveau sur la toile noire de ses paupières fermées,  il repensait le fil des évènements qui l’avaient conduit jusqu’à cet instant précis. L’idée de la réalité extérieure à laquelle il allait indubitablement être confronté généra en lui une angoisse viscérale qui le poussa à résister le plus longtemps possible avant de quitter l’obscurité de sa boite crânienne. Très lentement ses yeux s’ouvrirent, sans qu’il ne parvienne  à reconnaitre son environnement, alors que ses mains déjà palpaient le sol inondant un peu plus son cerveau d’éléments sensoriels incohérents. Il se sentait en décalage avec le moment présent, comme si sa conscience était en retard sur le réel. Il n’entendait rien d’autre qu’un bourdonnement aveugle que venait embrumer l’assourdissante pâleur de la luminosité ambiante. Rien ne lui semblait à sa place, tout était à l’envers. Il essaya tant bien que mal de se mouvoir, mais la moitié basse de son corps ne lui obéissait plus. Il lui fallut un effort considérable pour parvenir à se retourner sur le dos. Il resta allongé comme ça un instant, dans ce silence enivrant, laissant doucement ses yeux faire le point sur les images oniriques que formaient au loin les nuages d’aquarelle. Son esprit le tirait en dehors de cet état hypnotique mais Christophe se laissait docilement bercer par le ralenti de ses sens engourdis, ivre d’une sérénité à laquelle toute sensation négative était étrangère. C’est alors qu’un papillon aux couleurs acryliques pénétra sa fenêtre visuelle. Le battement, décomposé, de ses ailes colorées, était comme une évidence artistique dans la douceur de ce tableau céleste. Christophe reconnu en lui  le monarque de ce royaume, venu saluer son invité dont le départ était imminent. Alors que ce dernier vint se poser sur son bras, Christophe fut parcouru par un frisson qui alla chatouiller jusqu’au plus profond de son subconscient, lui offrant quelque secondes d’un nirvana, qui n’eut d’égal que l’effroyable terreur qui s’empara de lui lorsqu’il prit conscience de la scène qui l’entoura. Le papillon s’envola doucement alors que Christophe rattrapait le retard qu’il avait pris sur la réalité. Toutes les informations lui remontaient d’un coup. Sous son corps le bitume que ses mains avaient palpé. Autour de lui des débris. Du verre. Du plastique. Au loin,  la berline noire qu’il reconnaissait bien, même sur le toit.  Les corps du conducteur et du passager encastrés à l’intérieur. Et devant, à quelques mètres du capot, il reconnut la silhouette inerte du corps démembré qui gisait dans une mare de sang. Le papillon était déjà loin lorsque résonna sur l’autoroute le hurlement de Christophe, criant  le nom de son amour.

C’était une belle journée d’été, chaude et ensoleillée comme les prédisent les gens savants de la météo. L’autoroute était chargée, mais le trafic plutôt fluide comme l’avait prévu le type d’autoroute FM. Le moteur brulant emmenait une mécanique parfaite, tous les niveaux avaient été vérifiés. Les pneus idéalement gonflés laissaient gracieusement glisser le monospace familial sur l’asphalte impeccable de l’autoroute la plus fréquentée de France. Christophe avait déjà avalé 465 km en 5 heures et était donc arrivé à mi-chemin en cette fin d’après-midi, juste comme l’avait calculé le planificateur d’itinéraire du GPS. On peut le dire, tout se déroulait comme prévu pour lui  et sa petite famille, annonçant des vacances des plus reposantes et agréables, et cette idée suffisait à figer un petite sourire satisfait sur le visage du père de famille bien organisé. Le regard au loin sur l’horizon de ses congés payés, il lorgnait de temps à autre dans le rétroviseur central pour croiser les yeux complices de sa fille, princesse du royaume de la banquette arrière.

« Emma remet ta ceinture ». La petite, occupée à attraper les épaules de sa mère devant elle pour l’embrasser sur la joue ne semblait pas entendre, ou plutôt prêter attention aux directives de son père. Elle n’était pas particulièrement désobéissante et aimait beaucoup son papa, mais elle avait une imagination débordante qui lui faisait oublier toute réalité chaque fois qu’avec la complicité de sa mère elle se plongeait dans un jeu qui sollicitait ses facultés cérébrales précoces.

« Encore à toi ! »  lança-t-elle en se recalant brusquement au fond de sa banquette, les bras croisés, sa mine fière affichant la victoire qu’elle venait de remporter. Sarah, sa maman regarda en l’air en se pinçant les  lèvres quelques secondes, pensive, avant de répondre satisfaite :

« Hum…. Vas-y c’est bon ! »

« Euh… est ce que c’est un humain ? »

« Oui »

« Est-ce qu’il est réel ? »

« Chérie fais lui attacher sa ceinture s’il te plait » interrompit Christophe.

 « Allez Emma attaches toi !» demanda Sarah.

La petite attrapa sa ceinture et verrouilla la boucle sans perdre une seule seconde sa concentration :

« Est-ce que c’est réel ? »

Sa maman esquissa un sourire amusé,

« Nan c’est pas quelqu’un de réel . »

Le coude posé sur le montant de la portière, Christophe se donnait un air concentré derrière ses lunettes de soleil, feignant de ne pas prêter attention à ce petit jeu d’enquête qui lui titillait déjà les méninges.

Progressivement il enregistrait les indices que distillait subtilement Sarah au rythme calculé des questions précises de leur enfant. La petite adorait ce genre d’activité, elle notait chacune des questions réponses dans son petit calepin et de temps en temps elle venait se gratter le bout du nez avec la pointe de son stylo en plissant les yeux, se donnant un air de détective mystérieux. Après une dizaine de questions elle s’exclama avec certitude : « Alice ! C’est Alice au pays des merveilles ».

Sa mère lui afficha un large sourire qui venait valider son hypothèse. Emma n’avait pas eu beaucoup de mal à identifier son personnage de dessin animé favoris. Satisfaite de cette enquête rondement menée, elle attrapa son doudou et plia ses jambes de coté pour adopter la position qui lui semblait la plus confortable. A l’avant, Christophe restait perplexe. Avec les mêmes informations, il était encore bien loin d’avoir résolu la devinette. Il se demanda ce que cela signifiait, avant de laisser ses  pensées bifurquer vers une autre digression dont seuls les psychologues savent expliquer les mécanismes. Le GPS indiquait près de 600km maintenant et ses jambes avaient du mal à tenir en place. Sa peau le tirait au niveau des joues, ses yeux desséchés par la climatisation l’obligeaient à cligner les paupières à une fréquence plus rapide qu’il n’en avait l’habitude. Il enfonça ses fesses dans le fond du fauteuil, se raidissant le dos, vrillant les épaules pour essayer de retrouver la position confortable qu’il avait adopté au début de son trajet. Sarah remarqua son agitation :

« Ca va comme tu veux ? »

« J’ai soif ma chérie, t’as un truc à boire ? »

Elle se pencha sur le coté pour atteindre avec son bras gauche le sac de pique nique qui était resté sur la banquette arrière, avec les jouets d’Emma. Elle s’en empara délicatement pour ne pas réveiller la petite qui semblait avoir rejoint son héroïne au pays des rêves. Elle attrapa la dernière cannette qui restait et ouvrit l’opercule avant de la tendre à son mari. Christophe lâcha le volant pour attraper le breuvage de sa main droite. Il le porta a ses lèvres avec nervosité sans même s’inquiéter du contenu.

« Eurk, c’est dégelasse ! » s’exclama-t-il en repoussant le récipient de son visage grimacé.

« C’est quoi ce truc là ? »

« Boisson énergétique, c’est des vitamines et de l’eau ça peu pas te faire de mal. » lui rétorqua Sarah.

« Ca a un gout chimique, on dirait un médoc »

Cette réaction semblait avoir affecté Sarah. Comme vexée par ces mots, elle détourna soudainement le regard pour le plonger vers le tapis de sol.

« Qu’est ce qu’il y a ? » s’inquiéta Christophe qui avait noté l’étrange réaction de sa compagne.

« T’as prévenu le docteur ? » répondit-elle le regard vers l’horizon, comme pour ne pas avoir à affronter l’évidente exaspération que cette question déclencha chez son mari.

« Rooo, on est vacances chérie… »

« Tu l’a appelé ? » insista-t-elle en le regardant dans les yeux cette fois.

« Je t’ai dit que je m’en occupais… Tu veux pas penser à autre chose s’il te plait ? »

« Il a dit quoi ? » renchérit-elle angoissée.

« Qu’est ce que tu veux qu’il dise ? Il a dit que c’était très bien, qu’il fallait que tu profite, que ça te ferai du bien… »

« Et pour les médicaments ? »

Christophe jeta un regard gêné dans le rétroviseur en direction d’Emma et chuchota

« Tu sais bien que j’aime pas que tu parles de ca devant elle. »

« Elle dort » murmura Sarah en retour avec un ton sarcastique, ajoutant manifestement à l’exaspération de Christophe qui lança légèrement énervé :

« Et alors ? Quand on dort on entend quand même… »

Il sembla regretter immédiatement le ton nerveux avec lequel il avait répondu et après quelques secondes de silence, accusant la fatigue de la conduite, il usa d’une grande dose de douceur dans son propos en guise de mea culpa.

« Là –bas c’est l’endroit idéal pour se détendre, tu vas voir, on va bien manger, on va prendre l’air, rigoler… tu vas dormir comme un bébé, j’ai hâte d’y être. »

Le véhicule roulait à vitesse de croisière et Christophe fixait l’horizon, pensif. Il croisa l’un de ces panneaux préventif de la sécurité routière préconisant la bonne conduite à tenir, panneau qui n’avait apparemment pas échappé au regard de Sarah qui lui rappela :

« Tu devrais te reposer, ça va faire deux heures qu’on s’est pas arrêté. »

« On s’est déjà arrêté trois fois, j’ai pas envie de passer la nuit dans la voiture. »

« C’est pas bon pour les yeux tu sais, même moi j’ai envie de dormir. »

« C’est normal, la place du mort sur les longs trajets c’est une vraie berceuse, y a pas meilleur sédatif. »

« Tu peux dire la place passager tu sais… Même une demi heure ça suffit, c’est pas ça qui va nous ruiner les vacances. »

Christophe haussa les sourcils et promit de s’arrêter à la prochaine aire. Rassurée par ces déclarations, Sarah manifesta sa satisfaction en caressant la cuisse de Christophe. Il lui prit doucement la main pour l’embrasser, alors qu’elle tournait la tête vers la vitre passagère. Elle rentra le menton dans son foulard enroulé en écharpe et ferma lentement les yeux. Christophe poussa un léger soupir en repensant à leur petit échange. Il pensait au docteur, il pensait aux médicaments. Il pensait à sa femme, à sa fille, à leur situation. Il se sentit soudainement anxieux quant à l’avenir de sa famille.

Les kilomètres avaient défilé lorsque le véhicule passa le panneau qui indiquait la prochaine aire. Christophe regarda discrètement sur sa droite pour constater que sa femme dormait profondément.

Il en profita pour  détourner les yeux, comme si il n’avait jamais vu ce panneau, soulagé par la satisfaction de finir le trajet dans la soirée. Elle n’avait pas complètement tort, les heures passées à tenir le volant avaient commencé à attaquer son tonus physique, et il ne pouvait pas nier qu’un léger mal de crane le rongeait depuis quelques minutes déjà. Il redoubla de concentration pour pouvoir mener l’embarcation familiale a bon port sans avoir à faire un nouvel arrêt, et l’idée de passer le reste de la nuit dans un vrai lit lui redonna courage.

Tout le monde dormait dans la voiture lorsqu’un violent flash fit sursauter Christophe. Un éclair était venu s’écraser dans un champ au loin laissant le conducteur comme unique témoin. La puissance du phénomène était telle que Christophe garda l’image de ce halo lumineux en double exemplaire sur chacune de ses rétines pendant plusieurs secondes. Il n’avait pas particulièrement l’habitude de regarder les éclairs électrifier la terre, mais pour des motifs qui lui échappaient, la forme qu’avait prise celui-ci lui semblait parfaitement étrange. Peut-être était-ce le fait de voir l'éclair descendre si bas, peut-être était-ce le silence qui l’avait suivi, mais cette vision avait communiqué une émotion qu’il pouvait ressentir au plus profond de ses organes, comme si l’énergie mystique dégagée par cette manifestation cosmique avait parcouru les kilomètres de champs qui l’entouraient pour venir enlacer ses viscères et resserrer sa cage thoracique. Il laissa échapper une imperceptible exclamation que personne ne remarqua dans la voiture. Il éprouvait une intense frustration de ne pas pouvoir partager cette expérience. Il actionna la première vitesse des essuies glaces, et les balais vinrent récolter les gouttes fracturées qui étaient venues s’écraser de tout leur poids sur le pare-brise du véhicule, il pouvait presque ressentir les vibrations de leurs impacts jusque dans le volant. Il eut comme un spasme dans le bras droit, redressant brusquement la trajectoire de la voiture, qu’était venue perturber une bourrasque de vent, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le réaliser, il se retrouva au beau milieu d’une tempête si intense qu’elle semblait avoir effrayé le soleil et réveiller la noirceur du crépuscule. Il alluma les phares et fronça les sourcils pour mieux cerner la route qui se dissimulait à lui. Il ressentit une intense angoisse à l’idée de percuter involontairement un obstacle sur son indéchiffrable trajectoire, mais bizarrement il n’éprouvait pas le besoin de réduire sa vitesse, au contraire.  Il crut un instant voir un nouvel éclair au loin lorsque son regard capta le gyrophare orange d’un véhicule de la voirie stoppé au beau milieu de la voie de gauche. Il tombait des cordes désormais. Il longea l’alignement diagonal des cônes à rayures qui venaient peu a peu réduire puis supprimer sa voie  de circulation.  Au dessus du fourgon, une gigantesque flèche clignotante imposait de serrer à droite. Christophe s’exécuta. Perturbé par la soudaineté de cet imprévu, il ne pris pas la peine de vérifier les panneaux, et après quelques minutes à rouler seul dans l’obscurité, il commença à se demander s’il suivait toujours la bonne route. Il alluma le GPS du monospace et lança la localisation par satellite. Apres quelques dizaines de secondes, l’appareil n’affichait toujours rien, puis il se figea sur un message d’erreur qui laissa Christophe perplexe : « localisation impossible / itinéraire paradoxal».  Il s’avoua vaincu face à cette accumulation de galères, et enclenchant son clignotant droit, il s’engouffra dans ce qui semblait être une aire de repos. Aucune indication, ni lampadaire pour venir éclairer sa situation. Il songea un instant à réveiller sa femme, mais une fois le moteur et les feux coupés, il fut lui-même rapidement gagné par la fatigue accumulée. Il s’enfonça lourdement dans son fauteuil et se laissa emporter par le sommeil.

A son réveil, Christophe avait beaucoup de mal à reconnaitre le décor qui s’offrait à lui. Sa tête lourde lui donnait l’impression d’avoir été assommé par un sommeil de fer aux pas de velours.  Les sourcils froncés, il jeta un coup d’œil autour de lui, ébloui par la luminosité ambiante, pour constater qu’il était seul dans la voiture. Il ne savait pas exactement combien de temps il avait passé assoupi mais il faisait jour déjà.  Il prit une lourde inspiration en massant lentement ses globes oculaires avec les paumes de ses mains. Il n’était pas coutumier de ce genre de réveil  pesant, à part peut être les lendemains vaseux de soirée éthyliques. Il mit ça sur le compte de la position inconfortable qu’offrait son siège, ou du vacarme de la tempête peut être. Ca et là des branches arrachées par le vent occupaient les espaces de stationnement, qu’aucun autre véhicule que le sien n’était venu encombrer. Sur le sol la fine couche humide reflétait chacun des rayons qui transperçaient le ciel opaque, renforçant un peu plus le témoignage de cet orage nocturne. Il contempla quelques instants l’immensité de cet espace vide et désolé. Atteignant la poche intérieure de sa veste avec sa main encore engourdie, il composa maladroitement dans son portable le numéro de sa femme, avant de constater qu’il n’avait aucune couverture réseau.  Ce réveil solitaire l’angoissa déraisonnablement, et l’idée de rejoindre ses proches se  fit si urgente dans son esprit, qu’en claquant la portière du monospace, il ne pris pas la peine d’activer le verrouillage centralisé. Il ne s’attendait pas particulièrement à croiser âme qui vive dans cet aire de repos aux allures de ville fantôme. Machinalement il entreprit de traverser le parking, désert, qui semblait démesuré eu égard aux infrastructures apparentes. Il marchait le long des lignes blanches qui dessinaient au sol les emplacements destinés à l’organisation géométriquement optimale des véhicules des usagers, et chaque fois que sont pied s’apprêtait à fouler une de ces délimitations, il ressentait systématiquement un irrépressible élan dans sa jambe qui l’empêchait de venir piétiner ces délinéations d’albâtre.  Cette sensation spasmodique gênera en lui une frustration telle qu’il concentra toute sa volonté pour s’assurer que son prochain pas écraserait profondément ce blanc liseré dans son goudron détrempé. Alors qu’il levait consciencieusement la jambe, il fut extirpé de ses pensées vagabondes par un son éloigné et a peine audible mais qui lui était des plus familier. Il releva la tête et jeta son regard au loin vers une petite butte herbeuse qui supportait un  bâtiment de plain pied aux couleurs ternes et au crépis usé. A mesure que ses pas lents le rapprochaient de la colline, il entendait plus nettement un rire qui lui réchauffait les entrailles. Il gravit quelques mètres avant de rejoindre sa fille qui jouait gaiement avec sa corde a sauter. Il figea un instant cette image dans son esprit, ses petits sauts légers donnaient l’impression qu’elle rebondissait doucement sur du coton vert au rythme ralenti des passages de sa corde. Son rire imperturbable semblait résonner jusque dans les murs froids du bâtiment voisin, qui ne pouvait avoir d’autre prétention que d’abriter les latrines. « Emma ?» lança-t-il calmement vers sa fille. La corde continuait de passer au dessus de sa chevelure aérienne, puis sous ses pieds graciles,  caressant ses cheveux, frôlant ses orteils. « Emma ? » insista-t-il avec douceur, pressentant sans vraiment y songer que sa fille devait avoir attendu un certain temps devant le bâtiment auquel elle tournait maintenant le dos en riant. Face au mutisme de la petite, il senti un effroyable malaise l’assaillir, et il du ravaler sa salive sèche avant de demander« Elle est où maman ? » d’une voix qui laissait transparaitre une profonde appréhension.  La corde de la petite vint accrocher le bout de son pied droit.  Son père ne pris pas vraiment la peine d’attendre une réponse, que déjà ses pieds s’étaient tournés vers le bâtiment lugubre, alors qu’Emma indiquait nonchalamment du doigt l’entrée des toilettes, se penchant pour ramasser son jouet et reprendre sa rythmique, sans même se retourner vers lui.  Alors qu’il posait le pied sur les marches qui menaient aux commodités, Christophe senti ses cotes entenailler ses poumons, lui écrasant le cœur, lui coupant le souffle. Il lança un inaudible « Sarah? » sans conviction, dont l’écho vint le frapper si lourdement qu’il manqua de trébucher. Le rythme de la corde était d’autant plus soutenu, et ses claquements stressants alors que Christophe passait l’arche voutée de cette entrée sans porte. Son regard fut instantanément attiré par les seules marques de couleur qui teintaient cette cellule. Du rouge. Vif. Voyant. Visqueux. Violent. Il suivi lentement les trainées qui jonchaient le sol à mesure que son esprit se laissait vaincre par la terreur.  Le tournoiement de la corde était effréné, les claquements assourdissants venaient se confondre avec ceux de son pouls frénétique. Il pouvait ressentir à chacune de ses pulsations cardiaques les coups de fouet sous lesquels l’herbe se courbait à chaque saut de la fillette. Il poussa lentement la porte du cabinet où les traces menaient. Son malaise fit place à une détresse brutale lorsqu’il fut confronté à la vision de la cuvette couverte d’hémoglobine qui ruisselait en une flaque dans laquelle baignait un foulard qu’il identifia sans la moindre hésitation. Il du s’accrocher aux parois, défaillant un instant lorsqu’il réalisa que si le corps de sa femme était absent de la scène, la présence du foulard elle ne laissait que peu de doute quand à la provenance du sang. Il aurait voulu crier comme dans les films, mais il n’y avait pas de corps auquel s’agripper, pas de regard à capter, sa bouche resta muette. Dehors, le bruit de la corde avait cessé, Emma ne riait plus.

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