J'ai vomi dans mes cornflakes

redstars


(Texte retravaillé)


01/10/14 – 23H40 –
Pensées




Je vis dans un monde où les selfies ont remplacé les photos de famille.


Un monde qui vit sur ses ressources, mais que l'on continue d'imaginer sain, pour lorsque les enfants auront grandi. Un monde qui consomme à outrance et gaspille alors que tout va bientôt sérieusement manquer. Que tout manque... déjà, d'ailleurs.

Un monde où le propre de l'homme s'est effacé : ses pensées et convictions, ses préférences, sa philosophie... pour n'exister qu'en ce qu'il fait.

"Tu fais quoi dans la vie" est devenu primordial, qu'importe le reste, qu'importent tes valeurs, qu'importe qui tu es vraiment, et ce en quoi tu crois. Et t'as intérêt d'avoir un CDI pour pouvoir te plaindre et exister. Sinon, poubelle. Sinon, tais-toi, car t'as pas le droit.


Sur le Hollywood Boulevard, beaucoup tombent sur le bas-côté, ce bas-côté où ils resteront, à défaut de n'avoir trouvé quelque place à l'ombre des étoiles des autres.

Un monde où l'humanité n'existe plus, parmi tous ses individus.

Un monde seul et égoïste, un monde où l'unique moyen de ne pas sombrer est de fixer les étoiles le soir venu, polluées par les lumières inutiles des villes et des guirlandes à Noël, et se dire qu'elles seront toujours là si l'on se sent tomber...


Je vis dans un monde où l'on se gonfle les seins pour une soirée, un monde où les montres permettent d'envoyer des sms, en plus de ceux des smartphones, un monde sur-connecté où plus personne n'a cependant rien à se raconter.

Dans les rues chacun fixe son écran : Miroir, Miroir, dis-moi, dis-moi tout…


Je vis dans un monde où les petites filles se travestissent en pétasses, en putes, en femmes. Les yeux mi-clos, charbonneux, ces gamines ne semblent absolument pas se douter des loups qui rôdent autour de leurs irrésistibles petits corps.


Je vis dans un monde où il faut aller vite, toujours plus vite. Ou il faut courir, à perdre haleine... à perdre pied. Je vis dans un monde qui ne connaît plus la patience, un monde où c'est la course à celui qui sera le plus rapide, le plus efficace, le plus rentable. Le profit, encore, toujours, ici, et là, le profit qui sur son trône donne les ordres.


Je vis dans un monde où le harcèlement est proscrit, mais où l'on vous bombarde cependant d'images publicitaires et qu'importe l'overdose, après tout : faut bien consommer et faire des feux d'artifice avec le fric. Et vous n'imaginez pas combien d'années vous aurez passées en tout, le cerveau dans le tambour de leur machine, à la fin, quand il faudra faire les comptes. Oui, quand y'aura plus d'avenir, juste quelques minutes sur un lit d'hôpital, sans plus personne autour, juste la solitude, la seule qui restera alors pour vous tenir la main.


Un monde où de publicités en publicités, on sent l'humain qui régresse, qui après avoir prôné la connerie comme exemplaire, en applique alors rigoureusement les préceptes.

Et les foules foncent pour le dernier gadget à la mode, et les foules foncent dans le précipice où le premier a sauté : il avait sûrement raison.


Je vis dans un monde où l'on abat les vieux en les oubliant dans un coin, les laissant crever dans l'ombre, un monde où les femmes périment à partir d'un certain âge, et deviennent des fantômes… ces femmes âgées qui suivent les lignes et arrondissent les angles, se faisant toutes petites alors qu'elles sont, sans objection ni doute, les plus grandes d'entre toutes.

Je vis dans un monde où l'on donne les clefs d'or à des enfants qui, sans limites ni interdictions, filent droit dans des directions sans lumière. Parce que dire « non » n'est plus admis : aujourd'hui cool, tout est permis ! Vous n'allez quand même pas les forcer, les instruire, laissez-leur leur enfance bon sang, avec leur Iphone et leur première carte de crédit…


Je vis dans un monde où les jeunes sont blasés, où les rues se remplissent doucement de ceux qui ont échoué dans la catégorie survie : et rêve pas, y'aura personne pour envoyer un texto pour te sauver, on est plus à la télé, là, dans la vraie crasse !


Je vis dans un monde où certains ramassent les mégots de cigarette - laissés pour morts sur le pavé - à défaut de pouvoir payer. Je distingue sur le sol des bouteilles de bière vides ou brisées, dont les reflets d'émeraude ne sont qu'illusion, et se répercutent jusqu'au bar d'en face. Ce bar où d'autres continuent à consommer, ce bar où d'autres - sous le chant des sirènes, sous le chant de l'alcool - espèrent encore se noyer.

Et ces gens-là, gisant à terre, capitulés, les fringues usées autant que les chimères… et qui attendent, fossilisés au paysages, identités invisibles.


Je vis dans un monde où se frôlent inconnus et anonymes, sans cependant jamais ni se voir, ni se sourire. Tous suivent la ligne blanche tatouée sur le sol, cette ligne qu'il faut suivre, et dont on ne doit s'éloigner.


Je vis dans un monde où le mensonge a meilleur goût. Alors on ment à tout va, on édulcore, on améliore, on modifie. T'as perdu le fil ? Écoute, tant pis. T'avais qu'à suivre.


On rajoute sans cesse des paragraphes, à droite à gauche, en bas : paye ici, et là, et ici aussi. T'as plus rien ? C'est ton problème. C'est ton problème, du moment que tu payes…


Je vis dans un monde où lorsqu'une agression à lieu, on filme au lieu d'agir. Un monde où c'est à celui qui écrasera le plus de monde sous ses chaussures bien lacées.

Un monde où l'argent pue, un monde où l'argent tue, un monde où l'argent finit par ne plus avoir de couleur, après régurgitations.


Je vis dans un monde où les comportements implosent et s'entremêlent. Manger trop sainement ou trop tout court, angoisser à tort et à travers, accumuler des étiquettes dans des classeurs en piles bancales. Burn-out, craquages et dépression. Stress en perfusion, mais surtout ferme ta gueule.


Entre ses pressions diverses, l'homme s'étire et ne sait plus ce qu'il veut, écartelé de toutes parts. Il se rend malade, et peut-être bien que d'ici peu, y'aura plus personne pour ramasser les morceaux, peut-être parce qu'il n'y aura plus personne du tout.

Je vis dans un monde où l'on ne peut plus s'enfuir, un monde où les livres perdent leur odeur, numérisés, impersonnels, un monde où l'écriture s'altère, car faut aller plus vite, toujours plus vite. Un monde où les grands classiques sont hachés en SMS : faut bien que les jeunes lisent, vous comprenez.

Un monde où crève la gueule ouverte toute l'imagination qui aurait aimé s'épanouir, où l'image est devenu reine, l'image fausse et mensongère, si retouchée qu'elle en semble presque étrangère...


Je vis dans un monde qui n'a rien compris.

L'Apocalypse, c'est sympa sur les fresques ou dans la Bible, mais en vrai, ce n'est pas Dieu, ni Satan, qui fera que les choses se finiront.

Ni Dieu ni Satan mais bien l'homme.

Pardon : l'Homme.


Je vis dans un monde qui doucement mais sûrement m'étouffe. Où j'ai beau fixer les étoiles la nuit venue, je ne sais plus où j'en suis, parce que plus rien n'a de sens, de morale, de valeur, d'intérêt.


Marche ou crève ?


Désolée, j'ai une crampe.

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