Jake et le mystérieux livre du Tah
aena
Incipit
L’avantage, avec la télékinésie, c’est qu’on peut se débarrasser de n’importe qui sans lever le petit doigt. L’inconvénient, c’est qu’on peut facilement détruire une ville si on ne la maîtrise pas. C’est ce que je me dis là, en regardant Eddie le fou s’avancer vers moi, avec son regard d’illuminé. Non seulement ce type est cinglé, mais en plus, il n’éprouve absolument aucune empathie envers les êtres humains. Il est capable de tuer sans le moindre scrupule. Cela le rend particulièrement dangereux. Mais il a un point faible : son inébranlable confiance en lui. Cet idiot ignore encore que je possède le Tah. Ça va lui faire un choc !
Lorsqu’il n’est plus qu’à une dizaine de mètres devant moi, je tends le bras, serre le poing puis le rouvre d’un coup, comme me l’ont indiqué les Anciens. Ça fonctionne : Eddie le fou est violemment projeté en arrière. Il atterrit sur le dos, au milieu de la chaussée. Mais déjà il se relève -cet enfoiré est du genre solide-, alors je serre à nouveau le poing dans sa direction. Cette fois, il est éjecté vers la droite. Je tente comme je peux de modifier sa trajectoire mais il est trop tard : Eddie atterrit contre l’épicerie de madame Aubert. Les anciens m’avaient pourtant prévenu : il faut des mois, voire de années avant de maîtriser parfaitement ce pouvoir. Mais les événements ne m’ont pas laissé le temps de m’entraîner.
La vitrine explose sous l’impact, projetant vers la rue des milliers de débris de verre tranchant comme des lames. Je lève machinalement le bras pour me protéger. Les bouts de verre me contournent comme si j’étais à l’intérieur d’une bulle. Encore un avantage de la télékinésie. Soudain quelqu’un pousse un cri : madame Aubert. Cela contrarie mes plans, mais je suis obligé d’aller voir si aucun Enard –c’est le nom que nous donnons aux êtres humains sans pouvoir- n’est blessé. Par chance, personne n’imaginera que je suis le responsable de ce bazar. Ici, tout le monde me connaît comme Jake Karlson, le gentil lycéen un peu bouboule qui tremble devant les caïds. Les Enards ignorent la guerre qui se trame juste sous leurs yeux et ils ne doivent jamais rien découvrir. Ma couverture est la plus efficace qui soit.
« Jake, attention au verre ! » me lance madame Aubert lorsque je pose un pied à l’intérieur de la boutique. Un regard circulaire sur la pièce me permet de vérifier que personne n’est blessé. Trois adultes sont agenouillés autour d’Eddie, qui gémit doucement. Il n’a que quelques égratignures superficielles, mais lui aussi doit veiller à sa couverture.
« Mieux vaut que tu rentres chez toi, Jake, c’est dangereux ici », me lance monsieur Aubert. Il a raison, je n’ai pas intérêt à traîner dans le coin. Maintenant, Eddie sait que j’ai le Tah. Il a sûrement eu le temps d’avertir ses sbires, elles ne vont pas tarder à répliquer. Elles sont moins intelligentes que lui mais en nombre, elles peuvent être beaucoup plus dangereuses. Surtout Marco, Wilfried et Georges. Ces trois-là sont presque aussi cinglés qu’Eddie.
A l’extérieur un attroupement de curieux s’est formé. Bon sang, mais d’où est-ce que tout ces Enards ont débarqué ? Il y a vingt minutes encore, la rue était parfaitement vide. Je jette un œil à ma montre : dix-huit heures. L’heure de sortie des bureaux. Ça ne va pas arranger mes affaires : je ne peux pas utiliser le Tah quand il y a trop de monde. J’écarte tant bien que mal les badauds pour m’engouffrer dans une rue perpendiculaire : raté, la foule y est presque aussi dense. Je m’apprête à faire demi-tour lorsque je les vois là, juste en face de moi : Eddie, Marco, Wilfried et Georges. Ils avancent dans ma direction avec sur leur visage, le sourire de cinglé qu’ils tirent toujours lorsqu’ils se préparent à se battre.
Je cours en sens inverse – avec tous ces kilos en trop ce n’est pas facile. Mon seul espoir est de gagner très vite un endroit isolé, sans aucun Enard, où je pourrai utiliser le Tah. Je réfléchis à toute allure. Le parc ! En cette saison il fait beaucoup trop froid pour que les parents emmènent leurs gosses y faire un tour. De plus, la nuit va bientôt tomber. Je tourne à gauche en évitant tant bien que mal les passants. Macro, Wilfried et Georges ne vont pas tarder à comprendre où je vais. Je parie qu’ils se frottent déjà les mains, et ils ont raison : seuls face à eux, avec ma maîtrise encore incertaine du Tah, le combat sera difficile. Heureusement, eux aussi ignorent quelque chose sur moi. Ils n’ont encore jamais rencontré Lythe.
Je ferme les yeux une demi seconde pour convoquer mon ami. Lythe est doué de télépathie, il entendra mon appel. C’est un animal un peu particulier. Ce n’est ni un chien, ni un loup. Il n’appartient pas non plus à la famille des félins, même s’il a un petit air de panthère. Son pelage est noir comme la nuit, ses yeux sont verts comme l’émeraude et ses dents, longues comme de petits poignards. Il n’existe pas combattant plus puissant. Lythe est le dernier représentant d’une espèce aujourd’hui pratiquement éteinte, les Talaprithes. Il est né le même jour que moi. Nous partageons le Tah.
A la seconde où j’entre dans le parc je ressens sa présence. Lythe est arrivé à temps. Il bondit d’un bosquet et atterrit pile entre les hommes d’Eddie et moi. Ces derniers l’étudient un moment, sans bouger. Ils ne vont pas tarder à ressentir la puissance qui émane de son corps. Ils ne vont pas tarder à avoir peur. Lorsqu’ils comprennent ce qu’est Lythe, ils s’enfuient en courant pour regagner la rue bondée. Je m’occuperai d’eux plus tard. Je m’approche de mon ami et caresse son doux pelage. « Tu m’as manqué, toi ».
* * *
Allez, c’est tout pour aujourd’hui. Je referme le cahier que m’a offert oncle Rob. Sa couverture est douce et épaisse, comme du velours. Mon stylo glisse sur le papier. La première fois que je l’ai ouvert, Rob m’a dit : « Jake, je sais que la vie n’est pas facile pour toi, au lycée. Je sais aussi que tu inventes des histoires dont tu es le héros, pour rendre tout cela un peu plus supportable. Je t’offre ce carnet pour que tu écrives ces histoires à l’intérieur. Cela te libéreras. Tu ne tarderas pas à découvrir que ce cahier a un pouvoir un peu spécial ». Rob est un drôle de type, on ne comprend jamais tout ce qu’il dit parce qu’il ne parle que par énigme. Mais je l’aime bien.
« Jake, à table ! » hurle ma mère depuis le salon. Je range le cahier dans mon tiroir. Soudain un bruit attire mon attention. Une respiration. Il y a quelqu’un d’autre dans ma chambre. Je me tourne doucement vers la fenêtre. Un animal aussi grand qu’un guépard se tient là. Son pelage est noir comme la nuit, ses yeux, verts comme des émeraudes. Lythe.
Synopsis
Jake, 15 ans, est un lycéen pas très bien dans ses baskets. Un peu rond, solitaire, il est régulièrement chahuté par certains élèves de sa classe, Eddie et sa bande, l’ont élu comme tête de turc. Jake supporte ces humiliations en se réfugiant chaque soir dans le monde imaginaire qu’il s’est construit. Il y devient un combattant porteur du Tah, doté de pouvoirs tels que la télékinésie. Sa mission est de protéger le monde contre les représentants du mal : ses camarades de classe, Eddie, Marco, Wilfried et Georges. Leur but est de prendre possession de la terre pour y semer le chaos. Ils ne témoignent d’aucun égard envers les Enards –les êtres humains normaux-, qu’ils tuent sans scrupule.
Un jour, son mystérieux oncle Rob lui offre un carnet, où il lui conseille d’écrire ses histoires. Jake se met alors, chaque soir, à coucher ses aventures sur le papier. Jusqu’au jour il s’aperçoit que certains éléments des récits qu’il invente prennent forme dans le vrai monde. Cela commence avec Lythe, l’animal avec qui il partage le Tah. Bientôt, il manifeste également certains pouvoirs.
D’abord grisé par le mystérieux phénomène, Jake en profite pour améliorer son quotidien de lycéen. Il se venge d’Eddie et sa bande en leur tendant des mauvais coups. Il profite de son don de télépathe pour obtenir de meilleures notes, puis pour gagner à des jeux qui lui ramènent de l’argent. Il est d’autant plus euphorique que le carnet est doté d’une autre caractéristique : à mesure qu’il écrit, de nouvelles pages apparaissent, tandis que les premières s’effacent. Le cahier est, en d’autre terme, infini. Jake exulte.
Pourtant, les choses lui échappent peu à peu. Il se rend compte que certains des monstres de ses histoires commencent eux aussi à apparaître dans la « vraie vie ». Des phénomènes étranges se manifestent un peu partout en ville : seul Jake sait qu’il s’agit-là de l’œuvre des émissaires du chaos.
Pris de panique, il tente alors de retrouver oncle Rob, afin que celui-ci l’aide à se sortir de ce mauvais pas. Plus il écrit, plus il acquiert de nouveaux pouvoirs, mais plus le chaos étend son emprise sur le monde. Comment mettre un terme à ce cauchemar ? Rob accepte de l’aider mais il ne lui répond qu’en lui posant de nouvelles énigmes.
Les choses se compliquent un peu plus encore lorsque Eddie subtilise le carnet à Jake. Il lit les histoires de ce dernier et en profite pour le tourner en ridicule au lycée. Mais il comprend vite lui aussi le pouvoir de l’objet. Et se met à l’utiliser. Jake panique un peu plus encore : après Eddie, le cahier pourrait passer dans d’autres mains, plus mal intentionnées encore. Qui sait ce qu’un être vraiment diabolique pourrait faire s’il avait ce carnet entre les mains ? Déclencher des guerres, anéantir des peuples ? Et si cela c’était déjà produit ?
Le garçon se met alors en tête de retrouver le cahier, avec un objectif bien précis : le détruire. Avec l’aide de Lythe et du mystérieux Rob –qui est-il vraiment ?-, il se lance à la poursuite d’Eddie, qui a fuit la ville avec ses trois sbires. Ceux-ci ne cessent de tendre des pièges à Jake, dont il se sort chaque fois de justesse.
Par chance, celui-ci finit tout de même par récupérer son bien.
Rob lui fait alors une offre diabolique. Jake a le choix : soit il détruit le carnet et perdra tous ses pouvoirs, mais il sera assuré que personne ne l’utilisera jamais pour faire le mal. Soit il le remet à Rob, qui l’offrira alors à une autre personne, quelque part dans le monde. Et Jake gardera ses pouvoirs.
Celui-ci, après une douloureuse réflexion – pour rien au monde il n’a envie de redevenir le lycéen que tout le monde malmène-, l’adolescent choisit de détruire le cahier. Il reprend son ancienne vie, la mort dans l’âme. Lythe va beaucoup lui manquer.
Mais à sa grande surprise, plus rien ne se passe comme avant au lycée. Il a gardé de son aventure une force de caractère et une assurance grâce auxquelles plus personne n’ose s’attaquer à lui. Il se fait même des amis. Il a gardé un peu du Tah en lui.