J'avais douze ans ...

lull

Ce serait mentir si je disais que j'ai toujours aimé lire depuis toute petite. Tout simplement parce que je ne me rappelle pas le moment où j'ai commencé à aimer ça. Lorsqu'on est petit, on nous apprend à lire, on part à la découverte des mots, des sons. Le plaisir est dans la nouveauté. On patauge dans un nouvel univers, c'est bancale. Et je crois que ce qui m'a toujours plu dans les livres, c'est leur capacité à me déstabiliser. Je me rappelle, la première fois qu'un livre m'a changée. J'avais douze ans. J'étais chez ma tante, et je fouillais avec son accord, dans ses nombreux coffres à bijoux. S'affairant à la cuisine, elle me laissait seule dans sa chambre, ce qui représentait à mes yeux, l'occasion d'une chasse aux trésors plus approfondie. Finissant l'essayage de tous ces breloques, j'attardais mon regard sur la petite étagère qui faisait guise de bibliothèque. M'en tenant d'abord aux titres, je m'arrêtait subitement sur un livre qui me paraissait taillé pour moi. J'avais douze ans ... de Nathalie Schweigoffer. Il est un peu gros pour moi, mais en feuilletant les pages rapidement, je vois que l'écriture est plutôt grosse. Je me décide à le commencer lorsque ma tante m'appelle de loin.

"Ta mère est arrivée..

- Je peux t'emprunter un livre ?

- Bien sûr sers-toi !"

Je mîs le gros bouquin dans mon sac à dos et rentrai chez moi avec hâte.

Ce livre, je l'ai commencé, et je me suis bien vite rendue compte de l'horreur qu'il contenait. J'aurai pû m'arrêter, j'aurai dû. Elle avait douze ans, la petite fille, et le peignoir marron de son père, j'en faisais moi-même des cauchemards. Pourtant je l'ai terminé, le combat de cette enfant devenue femme par la pire des manières, j'avais l'impression de le mener aussi. Je voulais qu'elle s'en sorte. Ce livre, je m'en souviendrai toute ma vie. Il m'a volé quelque chose. Mais il a provoqué quelque chose de grand pour moi, l'envie d'écrire, de dire, jamais plus se taire sa douleur, toujours écrire, c'est déjà ça.

Ce que ce livre a détruit, tous les suivants, le reconstruisent de différentes facettes, l'atrocité de ce livre m'a ouvert des portes.

Aujourd'hui, les livres qui me marquent sont encore ceux qui me bousculent, me traduisent, me remettent en question, m'évadent, m'écrivent.

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