Ma mère contre Kramer

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« Pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre. » - Guy Debord

J'ai du mal à dater précisément cet épisode. Mais je pense, vu les circonstances, qu'il doit se situer en amont de mes premiers émois adolescents.

Une chose est sure, j'étais déjà un cancre et je devais le rester longtemps. Jusqu'à ce qu'un autre livre vienne me sauver la mise. Mais ça c'est une autre histoire.

Un jour ma mère qui s'inquiétait de ne jamais me voir lire décida de prendre les choses en mains.

Je dois avouer que la « Bibliothèque Verte » n'a jamais été mon lot. Et je dois reconnaître aussi que je ne suis pas un grand lecteur, que j'ai la lecture plutôt sélective et que bon nombres d'ouvrages me tombent rapidement des mains.

Récemment j'entendais Philippe Sollers dire dans une interview : « Si j’entends une voix, je continue à lire... ». Ça ce passe également comme ça pour moi, sauf que notre époque doit être spécialement muette, puisque je n'entends généralement pas grand chose.

D'ailleurs c'est pour cela que je me suis mis à écrire, mais ça aussi c'est une autre histoire.

En tout cas, en ce qui concerne ce livre, ce n'est pas une voix dont je me rappelle, ce serait plutôt un son. Un bruit répétitif et régulier pour être exact : « plotch... plotch... plocth... ».

Ainsi un jour, ma mère me tendit un bouquin : « Tiens, tu vas lire ça ! » m'ordonna t-elle. Il s'agissait de « Kramer contre Kramer » d'Avery Corman.

J'avais surement dû faire une connerie pour qu'elle m'oblige à lire. A moins que ce soit un bulletin déplorable qui en soit la cause. Bref, je devais me sentir piteux pour accepter d'ouvrir le livre sans rechigner.

Je ne me souviens pas l'avoir lu en entier. Je me rappelle juste du premier chapitre. Je me souviens seulement d'un homme, dont la femme est enceinte jusqu'aux trous de nez, qui se masturbe dans sa salle de bain : « plotch... plotch... plocth... ».

Je me rappelle qu'en s'astiquant le nœud, lorsqu'il pense à sa femme, il voit une baleine et ça le fait débander. Alors il pense à quelqu'un d'autre, une femme bien roulée, sauf que ça le fait culpabiliser : il a l'impression de commettre un adultère. Alors il se concentre pour, au moment d'éjaculer, visualiser son épouse.

Je devais être bien jeune car ce passage m'a choqué. Vraiment jeune parce que je sais que je suis descendu séance tenante pour dire à ma mère:

- C'est quoi ce truc que tu me fais lire ?

- Ben c'est l'histoire d'un père et de son fils, qu'elle a dû me répondre.

Alors certainement fier de moi, sans doute content de déjouer son autorité, je lui ai lu le passage. Et là vraiment gênée, elle s'est esclaffée : « Oh ! Ben ça y a pas dans le film ! ».

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