Les contes bleus
Sylvia Herbez
Je découvris ce livre un après-midi maussade et pluvieux. Je devais avoir 8 ou 9 ans et avais supplié ma mère pour la millième fois de me laisser aller à la bibliothèque toute seule au lieu de l'accompagner en courses. Elle n'aimait pas beaucoup me savoir livrée à la seule surveillance de la bibliothécaire, mais progressivement nous avions réussi à la convaincre. Les dernières recommandations faites, je quittais la voiture et assurais ma mère d'un dernier coucou de la main avant de pousser la porte vitrée de ce lieu privilégié. Quelle sensation de liberté! Une heure, juste une heure! Sans perdre un instant, je me glissais dans le calme du lieu et laissais traîner mes yeux sur les tranches de cette forêt amazonienne de livres! J'avais rendez-vous avec Mon livre (dont j'ai oublié le nom aujourd'hui). Comme à chaque fois, une crainte me serrait le coeur, celle de m'apercevoir qu'il aurait été emprunté par quelques yeux indélicats...et c'est justement ce qui arriva ce mercredi là. Mon livre s'était "évadé" et je me retrouvais seule, vraiment seule au monde avec un vide au creux du ventre.
Pleurer eut été ce que j'aurais fait instantanément si un des garçons de ma classe ne s'était installé dans la même pièce. Il me fixait des yeux avec un grand sourire (et à 8-9 ans, on sait se méfier des sourires des garçons...). Je décidais d'agir vite, pris la première tranche qui venait, elle était bleue, et me lova dans un de ces poufs orange en forme de vague typique des années 70. Sans regarder le titre, j'ouvrai le livre sauveur et lus le titre du premier chapitre:
LE LOUP: " Caché derrière la haie, le loup surveillait patiemment les abords de la maison. Il eut la satisfaction de voir les parents sortir de la cuisine..." Avec lui, j'entrai cet après-midi là chez Delphine et Marinette! J'allai découvrir mille aventures, partager le langage des animaux, les bêtises, les jeux, les réprimandes sévères des parents, l'oncle Alfred...le chat rusé et sage.
Depuis, j'ai toujours le livre dans ma propre bibliothèque et les relis pour le plaisir de l'enfance.
Ma mère n'a jamais aimé me lire ce livre, elle le jugeait trop sévère envers les parents...et j'ai eu la permission de me rendre régulièrement le lire, seule, comme une grande à la bibliothèque les mercredis maussades et pluvieux. Un vrai bonheur.