Je fais le Buzz

petisaintleu

Vautré sur mon canapé de confinement, je terminais de m'enfoncer dans la dépression devant L'Homme du Picardie. Je n'ai rien contre le milieu de la batellerie mais force est d'admettre que Christian Barbier, sirène septentrionale, m'invitait de sa voix entraînante à aller me noyer dans le canal du Nord. En supposant être repêché, entre le corona et le choléra, j'avais pris le parti de mourir d'une infection qui avait fait ses preuves depuis des siècles. Je fus sauvé par ma fille qui me laissa le choix entre reprendre le contrôle de la télévision et la cinquantième partie de Uno de la journée.

Quand Andy apparut à l'écran, je me retrouvai l'espace d'un éclair transporté sur les pistes de mon enfance. Pour mes six ans, on m'avait offert Tintin en Amérique et des Playmobil affublés de tenues d'indiens et de cavaliers étasuniens. Je fus arraché de mes rêveries par les 110 décibels de ma barre de son et un tonitruant « Vers l'infini et au-delà ! ».  Il était là, fringant dans son majestueux costume intersidéral, le menton haut et l'air altier. J'eus une révélation ; il était l'Alpha et l'Omega.

Tout commença le 15 octobre 2019. À l'atelier 17 du complexe industriel du Grand Timonier, on s'activait. Les dernières commandes pour Conad, une chaîne de magasins italiens, devaient partir pour la fin de semaine afin de les achalander pour les fêtes de fin d'année. Le souci est que l'on n'avait pas reçu d'un sous-traitant, l'usine du Peuple Uni, une pièce qui formait la carapace de Buzz. Le directeur était sous pression depuis deux jours, sachant pertinemment que s'il ne trouvait pas une solution, il  mettrait à mal la réussite du quinzième plan quinquennal et que son avenir serait tout tracé dans un camp du nord de la Mandchourie. C'était sans compter sur son esprit d'ingéniosité et sur la chance insolente qui l'avait toujours accompagné .

Le marché de Wuhan est un véritable bestiaire. On y trouve tout ce que la cuisine et la médecine traditionnelle chinoise ont besoin pour perdurer, des nids d'hirondelles aux scorpions en passant par les pénis de moutons. Monsieur Chu s'y rendit pour y acheter quelques scorpions avant de se rendre au travail. Ils avaient la réputation, une fois grillés, d'être un puissant euphorisant qui lui permettrait de ne pas perdre le moral. Alors qu'il passait entre un étal d'œufs de cent ans et d'yeux de thons bouillis, son regard fut attiré par des cages d'où s'échappaient d'étranges gémissements. Pensant qu'il s'agissait de gallinacés, il se souvint que son épouse lui avait demandé de ramener une poule pour qu'elle puisse en préparer une délicieuse soupe d'intestins.

Quand on lui ouvrit le panier, l'odeur lui fit penser au fumet si particulier de la fiente de canards. Il s'apprêtait à faire demi-tour lorsqu'il découvrit qu'l s'agissait en fait de pangolins. Mais bien sûr, elle était là la solution ! Il appela immédiatement cinq de ses sbires. En moins d'une heure,  tout le bazar fut vidé de ces manidés. Une fois arrivé à la manufacture, il mit tout le monde à l'œuvre. En à peine une demi-journée, les animaux furent dépouillés de leurs écailles qui vinrent carapacer notre héros galactique.

Comme beaucoup d'Italiens, Mario Grazzi avait une nombreuse famille Outre-Atlantique. Même si elle avait migré dans les années 30, il avait toujours conservé des liens solides avec eux et ne manquait jamais de faire parvenir des cadeaux pour la Noël à la nombreuse descendance de ses cousins d'Amérique. Pour lui, c'était le pays de la technologie et de la conquête de l'espace. Il lui parut donc naturel d'envoyer à ses petits neveux disséminés de New York à Los Angeles toute une escouade de ces figurines. Une fois les paquets ouverts sous les sapins, ils firent la joie des bambins, trop heureux, une fois déballés, de les amener chez leurs camarades pour partager de nouvelles aventures. L'un d'eux, de nature généreuse n'hésita pas à se sacrifier pour en faire don à une association caritative qui s'empressa de l'expédier à Haïti.

Quand j'émergeai de mes pensées, nos héros en avaient presque terminé de leurs aventures. Mais il ne s'agissait que du premier opus. Mon bout de chou me fit des pieds et des mains pour que je la laisse regarder le deuxième. Elle avait elle aussi attrapé le virus.

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