Je l'ai suivi jusqu'au bout

Caïn Bates

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     Je sais que je n'ai pas été très actif récemment, c'est plus une question de mental que de vrai manque d'inspiration. Pourtant, ce que je vais vous raconter ce qui trotte dans ma tête depuis plusieurs semaines. Un passage que je préfère laisser derrière moi, pas vraiment dans l'oubli mais assez loin pour ne pas y penser tout le temps.


       C'est arrivé quelques semaines avant que Maja (le prénom qu'elle portait avant qu'elle ne s'appelle Cara) entre dans ma vie (du moins qu'elle en fasse officiellement partie). Je me promenais encore régulièrement dans les parcs et en foret pour ne pas penser à toute cette paperasse et c'est dans ces rares moments que les voix qui résonnent dans mon crâne s'estompent vraiment. J'ai toujours adoré les vagabondages dans la nature mais, depuis plusieurs semaines, ces ballades avaient un côté plus... enchanteresse disons. On discutait beaucoup des contes et légendes nordiques (un point commun plus qu'évident pour établir une connexion au delà des coutumes contemporaines de nos deux pays d'origines) et elle commençait à se passionner pour les légendes arthuriennes et les contes d'Ulster. Bref, chaque frémissement de feuille me faisait sourire parce que je l'imaginais s'émerveiller de cette marche dans la fraîcheur du printemps.   
       Donc, je me promenais dans la Scarpe (St Amand les eaux pour les intimes), c'était un banal mardi dans le Nord bien qu'anormalement chaud dans les bois désertés pendant que les adultes travaillaient et que les enfants étaient enfermés dans leurs salles de classe. J'avais rendez-vous avec Maja le lendemain et j'avais donc prévu de prendre quelques photos pour lui donner un aperçu du lieu dans l'espoir de l'y emmener un jour (ce que j'ai fait il y a quelques semaines d'ailleurs). Le problème, c'est qu'il est très difficile de s'y repérer et ce n'est pas rare de tomber sur des promeneurs égarés. Et ce jour ci, je suis tombé sur un drôle de phénomène.

        Il avait l'allure d'un mec bloqué entre l'adolescence et un début de vingtaine, il était amoché et visiblement totalement perdu. Quand je me suis approché de lui pour m'assurer qu'il allait bien (du moins, qu'il n'était pas en réel danger) il a essayé de se cacher. Je lui ai demandé s'il avait besoin d'aide ou s'il voulait que j'appelle quelqu'un, il a décliné et a prétendu une pause pour reprendre des forces. Je me suis éloigné, j'ai appelé les pompiers et leur ai donné nos coordonnées au cas où il aurait besoin de soins puis j'ai repris ma route. Quelques kilomètres plus loin, le standard me rappelait pour m'informer que le jeune homme n'était plus là mais qu'ils ratissaient la zone (toujours au cas où) et qu'ils auraient besoin de plus de détails le concernant. Je les ai donc rejoint pour leur proposer mon aide (bien que je n'étais qu'à moitié volontaire pour être vraiment honnête). Et, finalement, je l'ai retrouvé sur le chemin ou, en fait, c'est plutôt lui qui m'a retrouvé.

        Il m'a remercié d'avoir voulu l'aider et m'a assuré qu'il allait parfaitement bien. Son t-shirt semblait prouver le contraire vu la tâche de sang qui ornait sa hanche. Je l'ai donc prévenu qu'on le cherchait et m'a demandé, non, supplié de les appeler pour qu'ils arrêtent et partent secourir des gens qui avaient vraiment besoin d'eux. J'ai d'abord pensé à un fugueur mais il lui été forcément arrivé quelque chose et il avait besoin d'assistance. De toute façon, je comptais rentrer donc, s'il me suivait, je l'amènerai forcément au parking à l'entrée du parc. 
        Sur la route, j'ai tenté de lui soutirer quelques informations sur son identité et ce qu'il faisait là mais il n'a répondu à aucune de mes questions. Cependant, il m'a dit qu'il cherchait sa mère qui était censée venir le chercher depuis un moment. Vu qu'il était très bavard à son propos, je continuais de le questionner au sujet de sa mère pour qu'il ne s'aperçoive pas que l'on s'approchait de la sortie. Soudain, il s'est arrêté de parler et de marcher et m'a longuement regardé avant de faire demi-tour et de s'éloigner. Soit, je l'ai laissé partir et j'ai repris mon chemin vers le parking. Sauf que je suis arrivé à ma voiture des heures plus tard. Il faisait même nuit quand j'ai mis le contact. Et, non, je n'ai pas perdu connaissance mais j'ai juste était pris d'un besoin de retrouver ce gosse pour l'emmener voir quelqu'un qui pourrait l'aider.

      Je l'ai retrouvé sans mal, il était juste parti au même endroit où je l'avais rencontré. Il m'attendait, le sourire aux lèvres, assis contre un arbre. Il savait précisément de quel côté j'allais arriver et s'était positionné de sorte à me faire face, presque pour me surprendre. "Mordred, c'est ça mon prénom. Plutôt ridicule, non ?" Un rire nerveux s'est emparé de moi mais son regard s'est fait plus insistant. "Elle est censée venir me chercher au crépuscule, je ne vais plus attendre longtemps." Il s'est levé à se maintenant les côtes, trébuchant même en se tordant de douleur. "Le lac, dis moi où est ce putain de lac !" La candeur avait totalement quitté ses yeux, il n'était plus que haine alors, je l'y ai emmené. Je l'ai soutenu en passant son bras gauche sur mon épaule et on a marché de longues minutes. Il m'a expliqué que ses blessures étaient l'oeuvre de son père, qu'ils s'étaient battus et que sa mère l'avait embarqué après lui avoir promis qu'elle viendrait le récupérer une fois son père endormi. Et ce soir là, ça faisait presque trois ans qu'il attendait qu'elle vienne le chercher.
        Le soleil commençait à disparaître entre les troncs quand on est enfin arrivés devant le lac. Il s'est laissé tombé dans l'eau glaciale mais le froid semblait apaiser sa douleur. Ma chemise était couverte de sang frais et autour de lui, on pouvait apercevoir de fins filets ocre remonter à la surface. "Reste, elle va venir, tu verras." Il se faisait tard et j'avais juste envie de rentrer pour manger et me pieuter mais je suis rester là, je me suis assis sur la rive et j'ai fixé longuement l'étendue d'eau. Cette état de transe a été si longue que je ne m'étais même pas aperçu qu'il ne bougeait plus, il flottait là, immobile. Alors, je me suis levé et je suis parti, sans me presser, marchant machinalement dans les sentiers qui me menaient vers la route.

       Tout ça m'a semblé être un rêve le lendemain mais la police m'a contacté quelques jours plus tard, ils avaient retrouvé le garçon que j'avais signalé lors de ma ballade mais ils n'avaient rien pu faire, il s'était noyé. "Juste... noyé ?" Le fonctionnaire à l'autre bout du file a eu l'air choqué et il m'a répondu qu'il n'y avait aucune piste du pourquoi ou du comment mais qu'il était nécessaire que je l'identifie, pour être sûr que c'était bien lui. Et, non, ce n'était pas lui. Enfin, si, c'est bien le gosse que j'ai emmené jusqu'au lac mais, ce n'était pas ce fameux "Mordred". Lui, il s'était planqué près de chez moi. Il était caché dans ma voiture pendant tout le temps où je traînais avec le gosse. Sa mère était bel et bien venue, mais pas pour lui.

    Maja me disait toujours qu'elle adorait les légendes arthuriennes. Apparemment, Mordred et sa mère sont juste dans ma tête. Et dans celle de Maja aussi désormais, depuis qu'elle s'appelle Cara. Elle me raconte souvent ce rêve, elle le vît à ma place. Mais moi ce n'était pas un rêve.   

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