Je l'attends

sylvie69

Ici et là
Je l'attends ici, à l'entrée du hammam, indifférente au soleil de plomb, aux touristes couleur écrevisse, aux rires qui fusent tout autour, pendant que l'impassibilité azur de la piscine reflète ton nom sur les grand azulejos qui pavent le sol et les murs.
Je l'attends avec une lueur de cigarillos - ceux-là mêmes que j'imagine qu'il grillait l'un après l'autre en me regardant d'un air distrait - dans les yeux, afin qu'il me reconnaisse dans la pénombre du hall propice à la détente et aux massages.
Je l'attends dans la seule clarté de ma confusion, happée par les battements trop rapides de mon cœur, bercée par le chuchotis de l'eau et les effluves du benjoin.
Je l'attends, hésitante et fébrile, indifférente au soir qui tombe, aux curistes engoncés dans leurs peignoir de bain, au printemps qui s 'enfuit, le regard rivé sur le mince filet bleu qui coule le long des pierres noires.
 
Les ombres portées des masseuses frôlent les murs de leurs ailes de papillons géants, les acteurs de fumée s'agitent une dernière fois avant le tomber du rideau.
La pendule sonne l'heure de la nuit, une voix retentit dans le brouhaha, je suis machinalement le chemin de la sortie.
Une larme perle au bord de mes paupières, j'évite de me presser contre lui de peur de sentir son absence.
Je l'attends ici, en bas, pendant que la patience des vagues écrit son nom que je ne connais pas à l'encre bleu nuit ; indifférente au fracas des haut-parleurs, des klaxons et des voix aussi bruyants que le silence de mon désir de lui.
 
La nonchalance sur fond de faïence bleue évoque un spa oriental où tout ne serait que beauté, calme et volupté.
 
Au sortir du hammam, je ceins ses hanches d'une serviette en satin. Il s'allonge, ferme les yeux et rêve peut-être de massages exotiques.
Ma main timide, effleure le tissu soyeux et tente, tant bien que mal, de palper son corps au travers de l'étoffe.
Il me semble qu'il guide ma main - probablement malhabile- au long cours, à travers vents et marées.
 
Et pendant que ma main explore le goût de son excitation et ma langue les chemins de sa nonchalance, les mots  :
 « Serais-tu Venus version masculine ? » s'impriment sur la surface lisse et crissante du satin.
 
Je déchire le tissu. Il est beau comme une déchirure.
La raie de ses fesses est une somptueuse déchirure que mes yeux veulent illuminer.
Malgré moi, je sens ma déchirure intime épancher toutes mes envies.
J'ai beau faire une mise en plis à mes pensées, je ne peux m'empêcher de penser à lui.
A ses mots. A ses sourires que je peine à imaginer.
A sa voix, tantôt caressante, tantôt incendiaire.
 
Je l'attends, ici. En haut de ses reins en sueur.
Je l'attends, là-bas, plus bas, au creux de son entre-cuisses que je masse à mains nues.  
 
J'ai beau prescrire le plus strict de tous les régimes à mon coeur, il reste gros de son lourd chagrin.
J'ai beau intimer à mon désir l'ordre de se taire, il ne crie que de plus belle. Sans répit.
Jusqu'à ce soir. Ce soir qui rime avec espoir.
 
Ce soir, je me sentirai dame de coeur, et mon coeur sera aussi léger que le tulle.
Ce soir, je laisserai mes pensées suivre leur cours et mon désir chanter de tout son saoul - quitte à ce qu'il en perde la voix.
Ce soir, je laisserai mes rêves vivre leur vie.
Ce soir, je penserai retourner au hammam pour le pilonner de mes envies.
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